L’ancien Gandhara: art grec et statues bouddhistes

Par Da Yan
9 mars 2023 15:41 Mis à jour: 9 mars 2023 15:41

Lorsque les fidèles de Bouddha Shakyamuni ont représenté pour la première fois « l’éveillé » sous une forme visuelle, c’est vers l’art grec qu’ils se sont tournés, apporté par Alexandre le Grand dans le nord‑ouest du sous‑continent indien. Dans la région connue de Gandhara, une culture bouddhiste en plein essor a adopté la sculpture grecque, mais en lui conférant une dimension divine que la Grèce n’avait jamais connue auparavant.

Une des premières représentations du Bouddha sous l’empire Kushan (30-375 ap. J.-C.) dans la région historique du Gandhara, au Pakistan. (Gumpanat/Shutterstock)

Dans un exemple extraordinaire conservé au Musée national de Tokyo, le Bouddha se tient sur un piédestal orné de fleurs s’appuyant sur un large halo. La draperie ondule comme un voile fin, tandis que le contour de son corps se dissimule subtilement, ne dépassant qu’au niveau de la poitrine, de l’abdomen et du genou gauche. On pourrait penser que cette technique n’est qu’une forme dérivée de l’art grec, qu’on ne peut comparer avec les proportions musculaires d’un athlète athénien ou le dynamisme d’un soldat hellénique. Mais pour l’artiste du Gandhara, le corps statique et frontal ne servait que de contrepoids au visage du Bouddha, qui exprimait l’esprit transcendantal. Ses traits sont idéalisés, ses yeux baissés. Bien que dépourvu d’émotions humaines, il dégage une attitude rassurante et paisible, empreinte de compassion et de droiture, que l’on ne peut trouver que chez un être éveillé, qui ne se laisse pas troubler par les apparences terrestres.

L’art grec et son chemin vers l’Orient

Le canon de Polyclète (canon esthétique de la proportion) est le mieux représenté par son Doryphore ou « Porte-lance » du Ve siècle avant J.-C. (Photo recadrée par Following Hadrian/CC BY-SA 2.0)

Lorsque la sculpture est arrivée à maturité dans la Grèce classique (480‑323 av. J.‑C.), les artistes disposaient d’une norme précise en matière de beauté. Influencés par les formes sculpturales austères des dieux et des pharaons égyptiens, les artistes grecs ont porté l’art vers un nouveau naturalisme en s’intéressant aux subtilités de l’anatomie humaine et de la pose figurative.

Polyclète, sculpteur antique du Ve siècle av. J.‑C., a établi son célèbre canon sur les proportions mathématiques idéalisées et l’équilibre. Son Doryphore, ou « Porte‑lance », largement reproduit, en est la meilleure illustration. Il s’agit d’un guerrier nu, dont chaque muscle est clairement défini mais au repos. Sa hanche s’incline légèrement, détendant une jambe tout en reposant son poids sur l’autre. La courbure en forme de S de son torse crée une posture classique de « contrapposto », qui donne une impression d’aisance et de désinvolture du corps. Ses yeux fixent le vide, montrant une immunité stoïque aux ignobles passions humaines.

La courbure en forme de S connue sous le nom de contrapposto dans la posture du « Porte-lance ». (Jerry/CC BY-SA 2.0)

Cet idéal artistique de l’ère classique s’est toutefois transformé lorsqu’Alexandre le Grand a unifié les cités‑États grecques et introduit l’art grec dans son empire transcontinental. Durant cette période hellénistique (323‑31 av. J.‑C.), l’action et l’émotion sont fréquemment représentées, notamment dans les sculptures représentant des scènes de bataille. Sur un sarcophage découvert dans l’actuel Liban, Alexandre lui‑même est représenté sur un cheval cabré, au milieu d’un combat acharné. Son bras levé est prêt à frapper un soldat perse dont le cheval est déjà à genoux, épuisé par la défaite. Dans cette scène unique, le tragique du champ de bataille est exprimé non seulement à travers les visages des personnages, mais aussi grâce aux torsions dramatiques que subissent leurs corps enchevêtrés.

Le sarcophage d’Alexandre à Istanbul, illustrant la bataille d’Issus (333 avant J.-C.), où Alexandre est représenté à l’extrême gauche sur un cheval cabré. (nathings/Shutterstock)

À la suite des expéditions d’Alexandre à travers l’Europe, l’Afrique et l’Asie, l’art grec s’est fait connaître à travers le monde, jusqu’au nord de l’Inde. Mais après sa mort prématurée, l’empire d’Alexandre s’est immédiatement effondré. Les royaumes d’Asie centrale et du Moyen‑Orient sont rapidement devenus indépendants, tout en conservant l’influence de la Grèce antique, comme la langue, l’écriture et la monnaie. Ainsi, lorsque les bouddhistes du Gandhara ont voulu représenter leur maître spirituel sous forme physique, c’est la sculpture hellénistique qui a été retenue pour être adaptée.

Le bouddhisme dans la région du Gandhara

Statue de Bouddha datant du deuxième ou troisième siècle, de l’empire Kushan au Gandhara, Pakistan. (Gumpanat/Shutterstock)

L’adaptation du langage visuel grec à un autre type de spiritualité exigeait néanmoins un nouveau mode de représentation artistique. Tout en s’imprégnant des techniques de figuration et de draperie, l’artiste du Gandhara s’est éloigné des émotions extrêmes et de l’indifférence et a tenté d’exprimer l’esprit intérieur du Bouddha à travers des formes manifestes, qui dégagent une aura inégalée de sérénité et de rectitude.

Cet esprit intérieur saisi par le sculpteur ne peut être appréhendé qu’à la lumière de l’enseignement du Bouddha. Un prince qui a vécu dans le nord de l’Inde (l’actuel Népal) entre le milieu du VIe et le milieu du IV e siècle av. J.‑C., Shakyamuni a été bouleversé par les souffrances humaines causées par la maladie, la vieillesse et la mort, et a décidé d’abandonner toutes ses possessions matérielles pour rechercher un état au‑delà de ce cycle inéluctable. Inébranlable face aux désirs et aux tribulations, il a atteint l’illumination à travers la méditation et a réalisé que les vicissitudes de la vie humaine résultaient de ses propres actes passés. Il a donc enseigné une voie permettant de transcender les souffrances en comprenant le cycle de la réincarnation, en éliminant les désirs non vertueux et en cultivant un comportement et un esprit justes.

Ayant conquis un grand nombre de disciples, Shakyamuni s’est fait connaître sous le nom sanskrit de « Bouddha » (« l’Eveillé »), et la méthode de développement spirituel qu’il a enseignée s’est imposée sous le nom de « bouddhisme », qui s’est répandu le long de la route de la soie jusqu’en Iran et au Japon. Situé au milieu de ce vaste réseau de culture et de commerce, le Gandhara a prospéré sous l’égide de puissants empereurs bouddhistes et est devenu un centre majeur pour la religion et le commerce pendant près de six siècles.

Aujourd’hui, les nombreuses statues du Bouddha et des bodhisattvas produites par cette civilisation unique nous rappellent la diversité culturelle et artistique de l’Orient hellénistique et témoignent de la façon dont la spiritualité bouddhiste a transformé la sculpture grecque en un nouveau type d’image divine – à savoir celle de la grande compassion.

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