Le Bourget 2025, vitrine des ambitions aéronautiques civiles et militaires de Pékin

Par Etienne Fauchaire
3 juillet 2025 18:17 Mis à jour: 5 juillet 2025 18:43

Avec plus du double de participants par rapport à l’édition précédente, la Chine a marqué de son empreinte la 55e édition du Salon international de l’aéronautique et de l’espace (SIAE), qui s’est tenue du 16 au 22 juin au Bourget. Une montée en puissance industrielle qui va au-delà de la simple vitrine technologique : pour certains observateurs, il s’agit d’un jalon stratégique dans une politique d’influence globale, sur fond de recomposition progressive des équilibres géopolitiques mondiaux.

Les médias chinois n’ont pas manqué de s’en féliciter. Avec 76 entreprises représentées cette année, contre 29 en 2023 selon le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), organisateur du salon, la délégation chinoise a plus que doublé. « Le nombre d’exportateurs chinois présents était tel qu’il a permis, pour la première fois dans l’histoire du salon, la formation d’un pavillon national de facto », s’est réjoui le South China Morning Post.

À titre de comparaison, les États-Unis comptaient plus de 300 entreprises en 2023, un chiffre porté à 450 en 2025.

Affichage militaire, ambition civile

Dans les halls du Bourget, Pékin a mis en scène sa double ambition : s’imposer comme puissance militaire technologique d’un côté, et conquérir le ciel civil de l’autre. Le C919, avion civil du constructeur COMAC, censé rivaliser avec les Airbus A320 et Boeing 737, a partagé la scène avec les maquettes des produits militaires phares du conglomérat d’État AVIC (Aviation Industry Corporation of China). Étaient notamment exposés les chasseurs J-10CE, J-35A et J-20, le transporteur militaire Y-20, l’hélicoptère Z-20 ainsi que le drone furtif GJ-11.

« Quand on connaît les enjeux du marché de l’armement, le salon du Bourget est un rendez-vous incontournable, dont il vaut mieux ne pas être exclu », analyse Emmanuel Lincot, sinologue et professeur à l’Institut catholique de Paris, interrogé par Epoch Times. « Pour la Chine, c’est une aubaine stratégique. »

Gérard Vespierre, géopolitologue, abonde : « Il y a une dimension de communication, bien sûr, mais aussi un positionnement politique. Le Bourget est une scène mondiale, et Pékin entend y affirmer ses ambitions. »

Diplomatie économique et contre-offensive narrative

Sur place, les officiels chinois ont affiché leur volonté de nouer des « partenariats mutuellement bénéfiques » avec leurs homologues français, tout en profitant de l’événement pour critiquer certaines « représentations erronées » de la Chine dans la presse occidentale. L’occasion également de dénoncer la politique commerciale du président américain Donald Trump, accusée d’entraver les échanges bilatéraux, bien qu’ils disent anticiper avec une certaine confiance un climat économique plus favorable après la fin de son mandat, a constaté Epoch Times.

Malgré les restrictions imposées par les États-Unis et l’OTAN sur les exportations chinoises d’équipements militaires vers l’Occident, un optimisme prudent régnait également dans les rangs chinois sur d’éventuelles perspectives d’ouverture en Europe, à long terme.

Une hypothèse peu crédible à court terme, confirme Gérard Vespierre : « Je ne vois aucun produit militaire chinois parvenir à pénétrer le marché européen. L’OTAN demeure un bloc cohérent et fermé sur ce plan. »

Cependant, Emmanuel Lincot n’exclut pas, un jour, un retournement : « Historiquement, en temps de crises mondiales, deux secteurs prospèrent toujours : le luxe et l’armement. À ce titre, une remise en question de l’embargo européen sur les armes à destination de la Chine, imposé après Tiananmen en 1989, ne serait pas totalement surprenante. »

Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires mondiales ont atteint 2700 milliards de dollars en 2024, soit la plus forte hausse annuelle depuis la guerre froide. Parallèlement, la Chine est aujourd’hui l’un des cinq plus grands exportateurs d’armement au monde, derrière les États-Unis, la Russie et la France. Ces vingt dernières années, elle a fourni des équipements militaires à plus de 40 pays, principalement au Pakistan, au Bangladesh, au Myanmar et à l’Algérie.

Fait notable : entre 2020 et 2024, ses importations d’armes ont chuté de 64 % par rapport à la période 2015–2019, ce qui, indique Newsweek, traduit des avancées majeures dans la production nationale de moteurs, d’avions de combat et d’hélicoptères, mettant fin à une longue dépendance vis-à-vis des technologies russes et européennes.

Vers un tournant stratégique européen ?

Pour mémoire, entre 2003 et 2005, Paris, Berlin et Londres avaient tenté de faire lever l’embargo européen sur les ventes d’armes au régime chinois. Cet embargo, instauré après la répression sanglante de la place Tiananmen, demeure politiquement contraignant mais n’est pas inscrit dans le droit européen, contrairement à l’embargo américain. L’initiative, menée à l’époque par la France, avait finalement échoué face à l’opposition de Washington.

En 2010, Barack Obama s’était lui-même dit favorable à la vente à Pékin d’avions de transport militaire Hercules C-130, officiellement destinés à lutter contre les fuites pétrolières. Une décision vivement critiquée outre-Atlantique. « Toute la logique de cette affaire m’échappe », avait alors lâché Larry Wortzel, membre de la Commission d’examen économique et sécuritaire États-Unis–Chine, qualifiant cette dérogation d’« approche irréfléchie ».

Aujourd’hui, les signaux d’un réajustement stratégique européen se perçoivent, estime Emmanuel Lincot : « On sent que la coopération transatlantique vacille. C’est dans l’air. » Pour les dirigeants de l’UE, « la Chine n’est pas vraiment considérée comme une menace sécuritaire. Leur priorité reste la Russie ».

Et de conclure : « Ce ne sont encore que des hypothèses, mais si nos gouvernements devaient conclure qu’un rapprochement avec Pékin, même dans des domaines stratégiques sensibles, peut contribuer à affaiblir Moscou, cela ne serait pas si surprenant. »

Un tel scénario heurterait les intérêts américains, souligne-t-il, mais il pourrait aussi traduire « la volonté européenne d’affirmer une autonomie stratégique et de tracer une voie distincte de celle des États-Unis vis-à-vis de la Chine ».

La question de l’autonomie stratégique européenne revient régulièrement dans le débat public. En avril 2023, Emmanuel Macron plaidait pour une politique européenne indépendante sur la question de Taïwan, avant de rétropédaler face aux critiques américaines. Plus récemment, le 30 mai 2025, il a défendu l’idée d’un partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’Asie du Sud-Est, non aligné ni sur Washington, ni sur Pékin.

La France se démarque également des États-Unis sur d’autres fronts, comme sur le dossier israélo-palestinien. Ainsi, les entreprises de défense israéliennes ont été empêchées de présenter des armements offensifs lors du salon du Bourget de cette année. Le Premier ministre François Bayrou a justifié cette décision en invoquant la situation « moralement inacceptable » à Gaza. Une initiative vivement critiquée par des élus américains en visite, notamment la gouverneure de l’Arkansas, Sarah Huckabee Sanders, qui l’a qualifiée « d’inacceptable ».

C919 : dépendance occidentale et soupçons de contrefaçon

Le Salon du Bourget 2025 devait aussi constituer une vitrine majeure pour les ambitions aéronautiques civiles de Pékin avec la présentation très attendue du COMAC C919, un avion moyen-courrier conçu pour rivaliser avec les Airbus A320 et Boeing 737. Certains espéraient même une démonstration en vol dans ce qui reste, symboliquement, le fief d’Airbus.

Mais l’appareil n’a finalement pas pris son envol. Malgré l’invitation officielle des organisateurs et le feu vert des autorités françaises, l’Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne (EASA) n’a pas accordé l’exemption requise pour autoriser son transfert depuis Shanghai, siège de COMAC. Résultat : la présence du C919 s’est limitée à une maquette statique.

Selon Patrick Devaux, ancien cadre d’Airbus et spécialiste du secteur, interrogé par Epoch Times, « le principal défi de la Chine aujourd’hui est d’obtenir la certification internationale du C919. Et tout l’enjeu réside là. »

Une certification européenne est en cours, encadrée par l’accord bilatéral signé entre l’UE et la Chine en 2019. Le directeur de l’EASA, Florent Guillermet, a estimé en avril dernier que l’approbation pourrait intervenir « d’ici trois à six ans ». À ce jour, aucune procédure n’a été lancée auprès de la Federal Aviation Administration (FAA) américaine.

L’obtention du précieux sésame européen est jugée essentielle pour espérer conquérir non seulement l’Europe, mais aussi les marchés tiers : Asie, Afrique, Amérique latine. Sur le salon, les représentants de COMAC ont affiché leur confiance, affirmant avoir rencontré plusieurs acheteurs potentiels, selon une source industrielle.

Pour autant, malgré un positionnement comme fleuron de l’ingénierie chinoise, près de 80 % des composants du C919 proviennent de fournisseurs européens ou américains. En tête : les moteurs LEAP, conçus conjointement par le groupe français Safran et l’américain GE Aerospace.

À cette dépendance s’ajoutent de sérieux soupçons sur l’originalité de l’appareil. Patrick Devaux se souvient qu’un Airbus A320 vendu à la Chine avait disparu du suivi opérationnel au début des années 2000. Selon lui, tout porte à croire qu’il a été intégralement désossé à des fins de rétro-ingénierie.

« Quand le C919 est apparu, on s’est immédiatement dit : c’est un A320 ! », se souvient-il. « Personne n’imaginait que les Chinois démonteraient cet avion pièce par pièce pour le copier. On pourrait parler de contrefaçon ». Selon France info, Airbus aurait décidé de ne pas rendre l’affaire publique pour ne pas compromettre ses relations commerciales avec Pékin.

Ces pratiques s’inscrivent dans un contexte plus large de tensions liées à l’espionnage industriel chinois. En 2022, un tribunal fédéral américain a condamné Xu Yanjun, agent du ministère chinois de la Sécurité d’État, à vingt ans de prison pour tentative de vol de secrets industriels visant GE Aviation et Safran, deux fournisseurs du C919. Pour les services de renseignement américains, l’espionnage économique orchestré par le Parti communiste chinois représente une menace directe pour la sécurité nationale des États-Unis.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.