Le casse-tête des chaînes d’approvisionnement chinoises
La prise de conscience de la dépendance américaine vis-à-vis de la Chine pour des chaînes d’approvisionnement stratégiques a été lente.
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Des conteneurs maritimes venus de Chine et d’autres pays asiatiques sont déchargés au port de Los Angeles, à Long Beach, Californie, le 14 septembre 2019.
Pendant des décennies, depuis l’« ouverture » de la Chine orchestrée par le président américain Richard Nixon dans le cadre de la grande stratégie asiatique de Henry Kissinger, le régime chinois s’est imposé comme leader mondial dans la fabrication, la transformation et l’exportation de matières premières essentielles, de composants intermédiaires, de briques de base et de produits chimiques spécialisés nécessaires dès le début des chaînes d’approvisionnement pour produire une multitude de biens indispensables à l’économie américaine et mondiale.
Le fait le plus important pour le Parti communiste chinois (PCC) : Washington et Pékin signent en 1979 un accord bilatéral attribuant à chacun le statut réciproque de « nation la plus favorisée » (NPF), ouvrant directement à la Chine l’accès au marché américain et octroyant un traitement de faveur commercial, comprenant la réduction des droits de douane et la suppression des quotas d’importation.
Encore plus décisif pour Pékin : l’octroi du statut de « relations commerciales normales permanentes » avec les États‑Unis en vertu de la loi US–China Relations Act de 2000, coïncidant avec l’adhésion officielle de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce en décembre 2001.
Comme le note la Heritage Foundation, « entre 2001 et 2021, la valeur des biens importés de Chine a quadruplé pour atteindre 500 milliards de dollars. Les exportations américaines vers la Chine ont également atteint un niveau record en 2021. » Ainsi, selon les sources officielles et les experts, les importations chinoises sont passées de 15 % à 21,5 % du total américain entre 2000 et 2018. Corrélativement, le déficit commercial américain avec la Chine est passé de 83 milliards de dollars en 2000 à 295 milliards en 2024.
Par ailleurs, selon un rapport de l’Economic Policy Institute (EPI) de 2018, l’externalisation de la production américaine vers la Chine a coûté près de 3,7 millions d’emplois aux États‑Unis entre 2001 et 2018. Incroyable : le nombre d’entreprises américaines ayant des liens commerciaux avec la Chine est passé d’environ 3.000 en 2000 à plus de 30.000 (!) en 2018 (estimation basée sur les analyses EPI sur la sous‑traitance et sur les estimations du Bureau of Economic Analysis des investissements américains en Chine sur la période).
Cette délocalisation était entièrement prévisible — et représente l’héritage honteux des prétendus partisans du « libre-échange américain », les entreprises ayant exploité le faible coût du travail en Chine pour augmenter leurs bénéfices. En chiffres : le salaire moyen chinois était de 0,60 $/h en 2000, montant à 6 $/h en 2024, contre 15 $/h aux États‑Unis en 2000 et 28 $/h en 2024.
Alors que ces bouleversements économiques gargantuesques s’opéraient, le PCC a lancé une campagne pour capter et contrôler les chaînes d’approvisionnement critiques pour les États‑Unis et le reste du monde. Pékin avait parfaitement conscience que la perturbation de ces chaînes pouvait lui fournir un levier géopolitique colossal lors de futures crises internationales. Des chaînes d’approvisionnement sans entrave sont vitales pour maintenir la préparation militaire américaine, la résilience économique et la supériorité technologique — particulièrement en temps de crise ou de conflit.
Et la politique américaine du « libre-échange » avec la Chine sur les cinquante dernières années a rendu les États‑Unis vulnérables à des ruptures sur les chaînes à caractéristiques chinoises.
Examinons plus en détail ce problème.
Chaînes d’approvisionnement
La notion de chaîne d’approvisionnement a évolué au fil de l’histoire : logistique de l’armée romaine, concepts de production de masse à l’ère industrielle, révolution « intégration verticale » chez Ford, et développement de la logistique stratégique par l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. Le terme « supply chain management » (gestion de la chaîne logistique, ndlr) est introduit en 1982 par le logisticien britannique Keith Oliver dans le Financial Times.
Une chaîne d’approvisionnement regroupe toutes les étapes du processus de production, les personnes, les ressources, la logistique, les moyens de transport et les technologies utilisés pour sourcer, fabriquer et livrer un produit ou service, depuis la matière première jusqu’au consommateur final.
Il existe des chaînes d’approvisionnement pour tout : automobiles, nourriture, médicaments, café, pétrole et gaz, dispositifs médicaux.
Chaînes critiques américaines dépendantes de la Chine
Voici les principales chaînes critiques américaines dépendantes de la Chine, dont la perturbation serait dramatique pour les États‑Unis.
Un conducteur de tractopelle déplace de la terre contenant des minerais de terres rares, à charger au port de Lianyungang, province du Jiangsu (Chine), 5 septembre 2010. (STR/AFP via Getty Images)
Terres rares et minerais critiques
Les terres rares regroupent 17 éléments métalliques similaires du tableau périodique, répartis sur toute la planète mais rarement concentrés en quantités facilement exploitables. Elles sont incontournables pour les aimants, les pots catalytiques, les objectifs de caméra, les batteries de voiture, les écrans de télévision, etc.
La Chine contrôle plus de 70 % de la production mondiale de terres rares, ainsi que plus de 60 % de la production des autres minerais critiques indispensables à l’industrie moderne : gallium, antimoine, fluorine, titane, vanadium, indium, tellure, graphite, bismuth, tungstène et magnésium.
Comme ces chaînes représentent un levier géopolitique majeur dans la guerre commerciale et technologique entre le PCC et les États‑Unis, Pékin a investi 13,8 milliards de dollars par an dans l’exploration géologique depuis 2022, et 57 milliards en crédits miniers et d’exploitation via au moins 26 institutions publiques depuis 2000, notamment en Afrique.
Batteries lithium-ion et composants de véhicules électriques
Grâce à des investissements massifs depuis 15 ans, la Chine produit aujourd’hui plus de 80 % des panneaux solaires, plus de 60 % des véhicules électriques et plus de 75 % des batteries lithium-ion et cellules mondiales.
Les États‑Unis importent ainsi près de 73 % de leurs batteries lithium‑ion de Chine ; les batteries de réseau électrique d’origine chinoise représentent 65 % des importations américaines au premier semestre 2025. La moindre perturbation risquerait d’arrêter la production dans des usines comme Tesla ou GM, de retarder projets éoliens et solaires, et d’augmenter les prix des smartphones, ordinateurs portables et composants technologiques.
Semi-conducteurs et composants électroniques
Ces éléments entrent dans la fabrication d’une immense variété de dispositifs : satellites, drones, smartphones, ordinateurs, robots industriels, armes militaires, caméras numériques, infrastructure 5G, et bien plus.
La Chine contrôle aujourd’hui 40 % à 60 % des intrants de semi‑conducteurs et composants électroniques, et 22 % des exportations mondiales de produits électroniques vers les États‑Unis. Toute rupture affecterait le développement des data centers, du cloud computing, des systèmes d’armes et d’électronique militaire, de l’automatisation industrielle, du contrôle aérien ou encore des communications satellites américaines.
Pharmaceutiques et principes actifs
Les médicaments sont employés pour diagnostiquer, traiter ou prévenir les maladies, et pour restaurer ou corriger certaines fonctions organiques. Un principe actif (API) est le composant biologiquement actif d’un médicament, responsable de son effet thérapeutique.
Une matière première clé (KSM) désigne un élément essentiel entrant dans la fabrication de l’API, qui influence la structure, la qualité et la conformité réglementaire du médicament. La Chine détient actuellement 80 % de la production mondiale de KSM et 33 % de la capacité mondiale de principes actifs (API).
Une perturbation dans cette filière pourrait provoquer des pénuries de médicaments génériques indispensables, une hausse des prix et des problèmes de qualité et de sécurité. Ce serait le cas pour la pénicilline, l’amoxicilline, l’atorvastatine, la metformine, le paracétamol et l’ibuprofène, mais aussi de nombreux agents de chimiothérapie comme le cisplatine.
La Chine pèse également lourd dans d’autres chaînes : télécommunications, électronique grand public, textile et habillement, machines et outils, panneaux solaires et autres renouvelables.
Actions américaines
La première mesure significative prise par les États‑Unis pour limiter la mainmise chinoise sur les chaînes critiques date de juillet 2017 : le décret présidentiel 13806 de Donald Trump, intitulé « Évaluation et renforcement de la base industrielle de fabrication et de la résilience des chaînes d’approvisionnement aux États‑Unis ». Le texte désigne les « chaînes résilientes » comme « essentielles à la puissance économique et à la sécurité nationale américaines », et rappelle que plus de 60.000 usines américaines ont fermé au profit de la Chine depuis 2000.
Donald Trump et Xi Jinping (non visible) s’adressent à des représentants économiques à la Grande salle du peuple de Pékin, le 9 novembre 2017. (Thomas Peter-Pool/Getty Images)
Ce décret a servi d’alerte ; d’autres mesures concrètes ont suivi, dont l’adoption d’une législation bipartisan visant à corriger, dans la durée, les dépendances des chaînes sous domination chinoise… Dès 2012, la communauté du renseignement américain jugeait Huawei et d’autres firmes chinoises dangereuses pour la sécurité nationale, les équipements Huawei pouvant contenir des portes dérobées indétectables permettant à Pékin d’espionner ou de paralyser les réseaux américains. En outre, l’article 7 de la loi chinoise sur le renseignement national (2017) oblige tout individu ou organisation à « soutenir, aider et coopérer » avec les services de renseignement.
Un consensus bipartisan a permis l’adoption de la Loi sur l’autorisation de la défense nationale (NDAA : National Defense Authorization Act, loi McCain 2019) interdisant l’achat ou l’utilisation de certains équipements télécom et de vidéosurveillance chinois.
Face au déficit commercial croissant avec la Chine, au vol de propriété intellectuelle, au transfert technologique forcé et aux pratiques commerciales déloyales (subventions d’État, accès limité au marché chinois pour les entreprises américaines), l’administration Trump a été la première à vouloir réinitialiser la politique commerciale avec le régime chinois.
Sous Trump, un accord commercial est négocié, révélant au grand public la dépendance américaine aux médicaments chinois, notamment aux principes actifs. Résultat : l’application de droits de douane sur des produits clefs chinois, Pékin n’ayant pas tenu ses promesses d’achat de denrées agricoles et énergétiques convenues lors de l’accord « de première phase ».
Cette inflexion politique a continué sous Biden, avec le CHIPS Act en 2022. Cette loi, soutenue par les deux partis, œuvre au retour de la domination américaine sur la fabrication de puces, grâce à des incitations fiscales et à d’autres mesures visant à réduire, voire supprimer, la dépendance aux chaînes de semi-conducteurs chinois.
À ce jour, plus de 400 milliards de dollars d’investissements privés ont été engagés grâce au CHIPS Act : 65 milliards par TSMC pour des usines en Arizona, plus de 100 milliards par Intel dans plusieurs États, 45 milliards par Samsung au Texas, 100 milliards par Micron dans l’État de New York.
Conclusion
La dynamique américaine pour réduire la domination chinoise des chaînes critiques s’accélère.
Relocalisation (« Reshoring »)
La relocalisation consiste à rapatrier la fabrication et les services aux États‑Unis. Portée par le CHIPS Act et les droits de douane du second mandat Trump, plus de 200 projets d’entreprises (Apple, Intel, Nvidia, GE, GM, Micron, Lockheed Martin, etc.) ramènent leur production, selon la Reshoring Initiative.
Proximisation (« Nearshoring »)
Portée par les droits de douane, la proximisation désigne le transfert d’activités (fabrication, assemblage, sourcing ou services) depuis la Chine vers des zones géographiques proches. Bénéfices : économies de coûts, meilleure coordination, dépendance moindre : résultat, le Mexique a dépassé la Chine comme premier fournisseur des États‑Unis en 2023. L’industrie automobile ambitionne de porter la proximisation au Mexique à +20 % ou +30 % en 2026.
« Friendshoring »
Cette stratégie consiste à transférer production et sourcing depuis la Chine vers des pays alliés ou partageant des valeurs économiques et démocratiques pour mieux sécuriser les chaînes. L’administration Trump a renforcé cette approche par des droits de douane et des négociations avec le Vietnam, l’Inde, la Corée du Sud, le Japon, Taïwan et l’Australie (notamment pour les terres rares et minerais).
Quelles conséquences pour le PCC ? : Baisse des exportations vers les États‑Unis, instabilité des chaînes chinoises, ralentissement généralisé de l’économie et risque de troubles civils.
Quels bénéfices pour les États‑Unis ? : Moindre dépendance à la Chine, augmentation des recettes douanières, alliances consolidées, recul de la domination industrielle chinoise.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
Stu Cvrk a pris sa retraite en tant que capitaine après avoir servi 30 ans dans la marine américaine dans diverses fonctions d’active et de réserve, avec une expérience opérationnelle considérable au Moyen-Orient et dans le Pacifique occidental. Fort de sa formation et de son expérience en tant qu’océanographe et analyste de systèmes, Stu Cvrk est diplômé de l’Académie navale des États-Unis, où il a reçu un enseignement libéral classique qui sert de base à ses commentaires politiques.