Epoch Times : Au sein de la société civile comme de la classe politique israéliennes, le rejet de la décision d’Emmanuel Macron de reconnaître un État palestinien fait-il l’objet d’un consensus, ou se manifeste-t-il surtout à droite de l’échiquier politique ?
Emmanuel Navon : Il faut mesurer l’ampleur du rejet que suscite la décision d’Emmanuel Macron dans la société israélienne : c’est une quasi-unanimité. Ce n’est pas seulement la réaction de quelques responsables politiques, mais un sentiment largement partagé, au-delà des clivages partisans.
La preuve est que même Yaïr Lapid, chef de l’opposition et proche allié de longue date de Macron, tout comme Yaïr Golan, leader du nouveau parti de gauche sioniste Les Démocrates, ont condamné ce choix. Tous deux pointent le même problème majeur : le timing. Reconnaître un État palestinien, dans le contexte actuel – après le 7 octobre, alors que des otages israéliens sont encore détenus et que le Hamas n’a pas été neutralisé – est un contre-sens politique.
L’erreur d’analyse d’Emmanuel Macron a été de croire qu’en critiquant Benyamin Netanyahou et sa politique, il rallierait ses opposants israéliens. Or, c’est tout le contraire : même les plus fervents adversaires du Premier ministre rejettent massivement ce geste, car la question des modalités d’une reconnaissance palestinienne dépasse les querelles internes.
Il faut ajouter qu’avec le décalage horaire, cette reconnaissance est survenue le soir du 22 septembre, au tout début des célébrations de Roch Hachana, le Nouvel An juif. Ce hasard de calendrier, le président français aurait pu le rectifier. Il ne l’a pas fait. À cela se sont ajoutées des images symboliquement lourdes : Emmanuel Macron, tout sourire, serrant la main d’Ahmed al-Charaa, dirigeant syrien lié au djihad, aux côtés d’un Premier ministre qatari également rayonnant.
Autant dire que le divorce entre Emmanuel Macron et la société israélienne est désormais consommé. Tant qu’il restera président de la République, une réconciliation avec elle me semble définitivement hors de portée.
Emmanuel Macron s’est, par le passé, présenté comme un progressiste. De même, les États occidentaux qui viennent de reconnaître un État palestinien à l’ONU – Royaume-Uni, Canada, Australie – sont actuellement tous gouvernés par la gauche. Est-ce que, selon vous, l’idéologie socialiste a tenu un rôle déterminant dans cette décision de reconnaissance ?
Les gouvernements occidentaux à gauche subissent une forte pression de leur électorat sur la question israélo-palestinienne. Cela se vérifie tout particulièrement en Grande-Bretagne avec Keir Starmer. Certes, le Parti travailliste n’est plus celui de Jeremy Corbyn, mais il n’a pas été « décorbynisé » aussi profondément qu’on pourrait le penser.
Le cas d’Emmanuel Macron est caractérisé par son « en même temps » : tantôt centriste, tantôt de gauche, parfois de droite, son gouvernement veut incarner un peu de tout à la fois.
Sa décision paraît dictée par un calcul politique plus que par une conviction doctrinale, car la contradiction est manifeste : il affirme dans son discours que la reconnaissance d’un État palestinien constitue « une défaite pour le Hamas », alors même que le groupe terroriste salue publiquement cette décision et la revendique comme une victoire.
Emmanuel Macron présente cette décision comme une défaite du Hamas, semblant y voir avant tout une victoire de l’Autorité palestinienne.
Emmanuel Macron commet une erreur d’analyse, car l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dirigée à l’époque par Yasser Arafat puis ensuite par Mahmoud Abbas, également présidents de l’Autorité palestinienne, n’a jamais véritablement accepté la solution à deux États. La différence entre l’OLP et le Hamas ne tient pas tant aux objectifs finaux qu’aux méthodes employées. Le Hamas proclame ouvertement vouloir anéantir les Juifs, au-delà même des seuls Israéliens. L’OLP, elle, poursuit la même finalité, mais par une stratégie graduelle, dite « par étapes ».
Il suffit de se souvenir de ce que signifie son nom : Organisation de libération de la Palestine, et non de la seule Cisjordanie et de la bande de Gaza. Fondée en 1964, soit trois ans avant la guerre des Six Jours et bien avant qu’Israël ne contrôle ces territoires, l’OLP a adopté dès 1974 son fameux « plan des étapes ». Celui-ci prévoit d’accepter, dans un premier temps, la création d’un État en Cisjordanie et à Gaza, mais uniquement comme une étape vers la « libération » de l’ensemble de la Palestine. Cette logique n’a jamais été officiellement abandonnée. Contrairement à ce qu’affirment certains, la Charte de l’OLP n’a jamais été amendée pour renoncer à cet objectif.
C’est là que réside l’illusion dans laquelle s’enferme Emmanuel Macron. En reconnaissant un État palestinien sans conditions, il devient en réalité le dupe de la stratégie des étapes de l’OLP. Loin de favoriser une paix durable, il risque au contraire de renforcer cette logique de conquête progressive.
Or, une défaite claire du Hamas aurait peut-être contraint l’OLP à confronter ses objectifs idéologiques à la réalité. Elle aurait également affaibli l’influence de l’Iran et de l’axe chiite, tout en consolidant les pays sunnites qui ont déjà normalisé leurs relations avec Israël. Une telle dynamique aurait pu ouvrir la voie, à terme, à une normalisation plus large.
En agissant de la sorte, Emmanuel Macron prend donc le risque d’aboutir à l’effet exactement inverse de celui qu’il prétend rechercher : éloigner la paix au lieu de l’approcher.
Le président français fait toutefois valoir que Mahmoud Abbas « a condamné avec force » les attentats du 7 octobre, qu’il s’est dit favorable au désarmement du Hamas et qu’il lui a promis d’offrir aux Palestiniens « un cadre d’expression démocratique, renouvelé et sécurisé ». On imagine que vous répondriez au président français que de telles promesses n’engagent que ceux qui y croient ?
D’abord, il faut savoir que Mahmoud Abbas n’a pas « condamné avec force » les attaques terroristes du 7 octobre. J’ai pris la peine de lire son courrier à Emmanuel Macron : il ne dit pas « nous condamnons » les attentats du 7 octobre, mais seulement qu’ils sont « condamnables ». La nuance est fondamentale. Qualifier un acte de « condamnable » ne revient pas à le condamner soi-même. Et surtout, pourquoi avoir attendu près de deux ans pour en arriver à cette formule minimale ? Ce n’est qu’après des pressions insistantes venues d’Emmanuel Macron que Mahmoud Abbas s’y est résolu.
Ensuite, quand on évoque la « démocratisation de la Palestine », il y a de quoi sourire. Voilà trente ans que l’Autorité palestinienne fonctionne comme une dictature de fait. Mahmoud Abbas n’a été élu qu’une seule fois, il y a vingt ans, pour un mandat de quatre ans… et il est toujours au pouvoir à près de 90 ans. Comment croire qu’un tel régime, figé depuis deux décennies, se transformerait soudainement en démocratie ?
L’histoire récente du monde arabe ne plaide pas non plus en faveur d’une telle hypothèse. Sur les 21 États arabes actuels, aucun n’est une véritable démocratie. La Tunisie avait esquissé une exception après le printemps arabe, mais elle est depuis retombée dans l’autoritarisme. Penser que l’Autorité palestinienne, sans tradition démocratique et gangrenée par la corruption, suivrait une autre voie relève de l’illusion.
Dans ce contexte, entendre Emmanuel Macron et ses relais politiques, comme Jean-Noël Barrot, se féliciter d’avoir obtenu trois prétendues avancées : « condamnation du 7 octobre », « démocratisation » et « désarmement du Hamas », prête aussi à sourire. Ce discours n’a tout simplement aucun rapport avec la réalité.
Le président français a affirmé que « le temps est venu d’arrêter la guerre à Gaza » et que le désarmement du Hamas, l’un des objectifs de guerre de Tsahal, serait assuré par une « administration de transition intégrant l’Autorité palestinienne », épaulée par « la jeunesse palestinienne, accompagnée de forces de sécurité dont nous accélérerons la formation ». Cette administration, a-t-il précisé, « mettra en œuvre le démantèlement et le désarmement du Hamas, avec le soutien des partenaires internationaux et les moyens nécessaires à cette mission difficile ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Qu’on ne sait jamais s’il faut rire ou pleurer des déclarations d’Emmanuel Macron. Avant de se lancer dans de tels effets d’annonce, celui qui prétend pouvoir « désarmer le Hamas » devrait déjà réussir ne serait-ce qu’à faire libérer Boualem Sansal, emprisonné en Algérie, ou encore Cécile Kohler, Jacques Paris et Lennart Monterlos, toujours prisonniers en Iran. Ces dossiers restent sans issue, car le président français se comporte plus comme le directeur d’une ONG qui multiplie les grandes déclarations sans impact réel que le chef d’État d’une grande puissance.
Nous en avons eu un nouvel exemple à l’ONU : devant les médias, il a serré la main du président iranien et déclaré qu’il « exige » la libération des otages français. Résultat ? Rien. La France reste pourtant la cinquième puissance mondiale. Si elle décidait de faire pression réellement, l’Iran ne pourrait pas rester insensible.
Rappelons par ailleurs que le Hamas a pris le pouvoir par la force en 2007 en massacrant les militants du Fatah. Emmanuel Macron, lui, n’ose même pas envoyer la police rétablir l’ordre dans certaines banlieues françaises. Avant d’envisager de désarmer le Hamas à Gaza, qu’il commence déjà par rétablir l’autorité de l’État face aux milices islamistes et aux trafiquants qui imposent leur loi à Marseille ou à Paris.
Emmanuel Macron est d’ailleurs tellement peu pris au sérieux que Donald Trump, lorsqu’il a réuni récemment les dirigeants arabo-musulmans pour discuter du « jour d’après » à Gaza, ne l’a même pas invité à cette réunion.
Emmanuel Macron a déclaré que « la promesse d’un État arabe reste inachevée » et que c’est au nom de « la paix entre le peuple israélien et le peuple palestinien » que la France reconnaît l’État de Palestine. Pourtant, les Palestiniens ont à plusieurs reprises rejeté les propositions qui leur avaient été faites. Selon vous, Israël porte-t-il malgré tout une part de responsabilité dans ces refus, notamment en raison de la qualité des offres présentées, comme certains l’affirment ?
Le premier point à rappeler est qu’il n’existe pas, historiquement, de « peuple palestinien ». Parler de « peuple palestinien » d’un côté et de « peuple israélien » de l’autre relève d’un contresens sémantique. D’un côté, nous avons avant tout un peuple arabe, de l’autre le peuple juif.
Le monde arabe constitue une vaste nation, répartie aujourd’hui entre 21 États souverains. Certes, il existe des différences linguistiques, culturelles ou régionales entre un Marocain, un Saoudien ou un Irakien. Mais tous se rattachent à une même identité arabe. Sur ce plan, il est donc difficile de soutenir qu’un peuple arabe aurait été privé de son autodétermination.
Ensuite, l’idée même d’un « peuple palestinien » est une construction politique récente, apparue dans les années 1960 sous l’influence de la propagande soviétique. L’objectif était alors de transformer le projet de destruction d’Israël en une revendication présentée comme légitime : celle du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sous le vocabulaire séduisant de « paix », « autodétermination » et « droit international ». Cette stratégie a largement porté ses fruits : slogans et discours contemporains reprennent cette vision sans en interroger l’origine. Ainsi, le fameux « Free Palestine » se présente comme un appel à la liberté, alors qu’il signifie en réalité l’élimination pure et simple d’Israël.
S’agissant des négociations passées, il convient de rappeler que même Bill Clinton, président démocrate et ardent défenseur d’un compromis, l’a reconnu : il a tout tenté pour donner un État à Yasser Arafat et Israël était alors même prêt à offrir un contrôle palestinien sur le mont du Temple ainsi qu’une souveraineté sur l’ensemble du futur territoire. En vain. Pourquoi ? Parce que ces propositions excluaient ce que la partie palestinienne appelle le « droit au retour ».
Il faut bien saisir ce que cela signifie. Les dirigeants de l’OLP ne parlent jamais de « deux États pour deux nations ». Ils parlent simplement de « deux États ». Mais dans leur vision, le futur État palestinien serait le 22ᵉ État arabe, déclaré judenrein, « sans un seul Juif », selon l’expression même de Mahmoud Abbas. Quant à Israël, il deviendrait de facto un État binational, submergé par près de cinq millions d’Arabes revendiquant le statut de descendants des réfugiés de 1948.
Or, ce « droit au retour » n’a aucun fondement en droit international. Dans les faits, il s’agirait de transformer Israël en un second État arabe par submersion démographique. Voilà pourquoi toutes les propositions de paix ont été rejetées : elles ne répondaient pas à l’objectif réel, qui n’est pas de vivre côte à côte avec un État juif, mais bien d’en finir avec lui.
Le 15 novembre 1988, Yasser Arafat proclamait au nom de l’OLP l’indépendance de la Palestine à Alger, entraînant dans son sillage une reconnaissance par plusieurs pays. Depuis, l’Algérie, qui refuse toujours de reconnaître l’État d’Israël, n’a cessé de presser la France de reconnaître la Palestine. Selon vous, Emmanuel Macron vient-il d’offrir à Alger une énième victoire symbolique ?
Le penchant d’Emmanuel Macron pour la complaisance vis-à-vis de l’Algérie n’est plus à démontrer. Dès sa première campagne présidentielle, avant même son entrée à l’Élysée, il s’était rendu à Alger pour accuser la France de « crimes contre l’humanité ». Aujourd’hui encore, alors que l’écrivain Boualem Sansal croupit en prison, aucune mesure de rétorsion forte n’est adoptée.
Indépendamment de la relation bilatérale entre la France et l’Algérie, la reconnaissance d’un État palestinien fait le jeu de la stratégie insidieuse de l’OLP. Souvent présentée comme une étape historique, la déclaration d’indépendance de la Palestine par l’OLP en 1988 recèle pourtant une omission capitale : Arafat n’y mentionne jamais les frontières de l’État qu’il revendique. Par ce silence, l’OLP sous-entend que l’État palestinien s’étend sur l’ensemble du territoire de l’ancien mandat britannique ; autrement dit, à la place d’Israël.
C’est là que se niche une ambiguïté lourde de conséquences. Emmanuel Macron pourra affirmer que la reconnaissance de la Palestine vise un État dans les « frontières de 1967 ». Mais ce n’est pas ce que dit l’OLP, dont, encore une fois, le nom même, Organisation de libération de la Palestine, indique bien qu’il s’agit de « libérer » toute la Palestine, et pas seulement Gaza et la Cisjordanie.
La décision française pose donc un problème juridique et diplomatique. Selon la convention de Montevideo de 1933, un État doit réunir quatre critères pour être reconnu : une population permanente, un gouvernement effectif, des frontières définies et la capacité de mener une politique étrangère. Or, ces critères ne sont pas remplis par l’entité palestinienne actuelle : pas de frontières établies, pas de gouvernement unifié – l’Autorité palestinienne et le Hamas se disputant le pouvoir –, et aucune structure étatique fonctionnelle.
Dès lors, que reconnaît exactement la France ? Un État sans frontières formellement définies ? Un gouvernement introuvable ? Une fiction diplomatique ? En vérité, la reconnaissance décidée par Emmanuel Macron entérine une ambiguïté dangereuse : elle se montre accommodante avec la stratégie de l’OLP qui consiste à entretenir le flou pour avancer ses objectifs.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.