La nouvelle loi anti-squat ne facilite aucunement l’exécution des décisions d’expulsion, dénonce Me Caroline Laverdet, avocate en droit immobilier

Par Etienne Fauchaire
13 août 2023 09:39 Mis à jour: 13 août 2023 15:49

La loi « anti-squat » du député d’Eure-et-Loir Guillaume Kasbarian (Renaissance) a été promulguée le 27 juillet par le président de la République, après sa validation, la veille, par le Conseil constitutionnel et son adoption, le 14 juin, par le Parlement. Bien que le député se soit réjoui sur Twitter/X de l’adoption du texte en vantant « des sanctions plus fortes contre les squatteurs », « une expulsion plus rapide » et des « étapes judiciaires raccourcies », Me Caroline Laverdet, avocate spécialisée dans le droit immobilier, assure à The Epoch Times, dans la droite file de son dernier entretien du 6 avril dernier, que cette loi reste « un coup d’épée dans l’eau » pour lutter efficacement contre l’occupation frauduleuse des logements. Concernant la polémique autour de la censure de son article 7 par les Sages de la rue Montpensier, la juriste considère cette décision « compréhensible » sur le plan juridique, quand bien même celle-ci peut paraitre « injuste » du point de vue moral. Une querelle politique, à ses yeux, avant tout mal orientée, ne ciblant pas le véritable problème : la nouvelle législation ne contraint pas la préfecture à exécuter les décisions d’expulsion.

Un squatteur peut-il poursuivre un propriétaire si le bien est mal entretenu ?

Il est rare que le Conseil constitutionnel se fende d’un tweet et d’une publication sur son site Internet pour éclaircir une de ses décisions. Des députés de l’alliance de gauche Nupes avaient saisi l’instance pour obtenir la censure de la loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite. Les Sages se seront contentés de retoquer son article 7, qui libérait le propriétaire d’un bien squatté de son obligation d’entretien et l’exonérait en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien. Un arbitrage suffisant pour faire bondir plusieurs personnalités de droite. Par exemple, Marion Maréchal, fustigeant un droit octroyé au squatteur de pouvoir désormais attaquer le propriétaire si le logement est mal entretenu, s’interroge sur Twitter/X : « Les sages sont-ils devenus fous ? ». « On marche sur la tête, invraisemblable décision ! », s’écrie sur le même ton Éric Ciotti.

« Divers commentateurs ont cru devoir affirmer que le Conseil constitutionnel aurait décidé que, désormais, tout occupant illicite d’un logement pourrait obtenir réparation du propriétaire si le bien occupé est mal entretenu. Telle n’est nullement la portée de la décision du Conseil constitutionnel qui, par la censure de l’article 7 de la loi déférée, a pour seul effet de maintenir l’état du droit en ce domaine », se défendent les Sages dans un communiqué publié sur leur site, ajoutant : « Les motifs de la censure prononcée par le Conseil constitutionnel ne privent pas le législateur de la possibilité de réformer ce même état du droit pour aménager la répartition des responsabilités entre le propriétaire et l’occupant illicite. Ils se fondent sur la nécessité que, ce faisant, demeurent protégés les droits des tiers victimes de dommages ».

Identifier la responsabilité légale

« Je comprends la raison derrière cette décision. Le contraire m’eut étonné », réagit Me Caroline Laverdet. « En cas de dommage à un tiers survenant d’un défaut d’entretien du bien, comme la chute d’une tuile sur un passant ou l’apparition d’une fuite d’eau dans une copropriété, il faut que la victime puisse se retourner contre le propriétaire. Or, le maintien de l’article 7 aurait transféré la responsabilité de l’entretien du bien sur le squatteur, généralement insolvable et, par conséquent, en incapacité de s’assurer que celui-ci ne cause pas de dommage à un tiers. Toute la problématique est strictement juridique : elle s’articule autour de l’identification de la responsabilité légale pour que le Code civil puisse être appliqué. » Elle poursuit : « En revanche, comme il est injuste qu’un propriétaire, privé d’accès à son bien en raison de son occupation, soit tenu responsable de l’absence d’entretien, il pourra faire valoir cet argument devant le juge et, ainsi, se retourner contre les occupants. »

Pour l’avocate, cette polémique autour de la censure de l’article 7 traduit la bataille idéologique opposant le droit des propriétaires à celui des squatteurs, mais elle est mal située, car le problème réside avant tout dans le texte de loi promulgué, qui n’apporte nullement la solution indispensable : la facilitation de l’exécution des décisions d’expulsion.

Le préfet, nouveau juge

Si cette loi triple la sanction pénale pour occupation illicite d’un logement (45.000 euros d’amendes et trois ans de prison), en réalité, elle ne pourra être appliquée dans la pratique : « Un procureur n’ira pas réclamer des sous à une personne insolvable et reloger un squatteur derrière les barreaux », souligne-t-elle, rappelant par ailleurs que les actes de destruction et de dégradation survenus pendant le squat ne peuvent souvent, de ce fait, être indemnisés. L’effet dissuasif de la sanction est donc considérablement diminué. « Ce qu’il fallait, c’est une réflexion autour du pouvoir laissé à la préfecture en matière d’expulsion ».

En cas d’occupation illicite de son domicile, le propriétaire doit engager une procédure judiciaire pour obtenir la délivrance d’un commandement de quitter les lieux. Du fait de l’encombrement des tribunaux, « un problème qui persistera tant que l’État n’injectera pas des moyens financiers et humains pour soutenir les magistrats », le délai d’attente est long de plusieurs mois. Quand la justice ordonne enfin l’évacuation de l’occupant, si celui-ci refuse d’abandonner le logement, le propriétaire doit alors solliciter la préfecture pour que celle-ci accorde le concours de la force publique dans cette entreprise. Mais, régulièrement, « selon son bon vouloir », le préfet refuse, notamment pour des motifs liés à la situation sociale du squatteur. « C’est une forme de deuxième jugement », cingle Me Laverdet. Dans ce cas, il ne reste au propriétaire qu’un seul recours : engager la responsabilité de l’État devant le tribunal administratif, « une nouvelle procédure coûteuse en temps et en argent ».

Lorsqu’un délinquant s’introduit et se maintient dans un domicile à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, dans un délai d’une durée générale de 48 heures après la commission de l’infraction, le propriétaire du bien peut faire valoir ses droits auprès de la préfecture par le biais d’une procédure administrative d’évacuation forcée, sans décision de justice préalable. Mais dans cette configuration-là également, le préfet refuse parfois de mettre en demeure l’occupant de sortir du logement, ce qui oblige la victime à se reporter sur la voie judiciaire traditionnelle pour obtenir un commandement de quitter les lieux. Victoire judiciaire qui peut déboucher sur… un nouveau refus du préfet : « La préfecture se pose comme un nouveau juge. La non-exécution des décisions d’expulsion représente un véritable problème qui n’est pas adressé par cette loi ».

Pour appuyer la nécessité d’un projet de loi qui prenne en compte cette problématique, Me Caroline Laverdet tient à nouveau à rappeler la situation de détresse dans laquelle sont plongés des propriétaires dont le logement est squatté. « Certains sont confrontés à des remboursements de crédits alors qu’ils n’encaissent pas de loyer durant la période du squat. S’agissant des biens hérités, au-delà du préjudice moral qui résulte des actes de destruction très souvent commis, ils ne peuvent ni être vendus ni même être entretenus. Ces propriétaires se retrouvent dans des situations ubuesques qui durent souvent deux ans. Ce n’est pas normal. Aussi, le législateur doit intervenir ».

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