Opinion
Hauts-de-France : la « vallée de la batterie » peut-elle devenir une « vallée de la mort » ?

Le président Emmanuel Macron et le fondateur et PDG du groupe Envision, Lei Zhang, dévoilent le premier module fabriqué en France lors d'une visite de l'usine de production de batteries pour voitures électriques, Envision AESC, à Douai, dans le nord de la France, le 3 juin 2025.
Photo: TERESA SUAREZ/POOL/AFP via Getty Images
La production de batteries pour voitures électriques est devenue un enjeu clé de souveraineté pour les pays occidentaux, désireux de réduire leur dépendance à la Chine dans ce secteur.
Pour atteindre cet objectif, une « vallée de la batterie » française est en train de voir le jour entre le Nord et le Pas-de-Calais. ACC, AESC, Verkor, etc., des « gigafactories » pour véhicules électriques y essaiment même si le secteur est en plein doute après la faillite du géant suédois Northvolt.
Un pari à plusieurs milliards d’euros assumé par la France qui veut être un pionnier européen et qui compte sur les nouvelles technologies pour tirer son épingle du jeu. Au risque de créer de faux espoirs.
Une nouvelle gigafactory dans le Bassin minier du Nord
Début juin, Emmanuel Macron saluait le coup d’envoi d’une usine de batteries électriques flambant neuve à Douai, dans le Nord, un site du groupe sino-japonais AESC détenu en majorité par le groupe chinois Envision. Une manière de plus en plus répandue pour les groupes chinois d’échapper aux taxes européennes sur les voitures électriques.
Les batteries vont équiper les nouvelles Renault 5 (R5) produites juste à côté, deux symboles du renouveau industriel du bassin minier du Nord/Pas-de-Calais, un territoire parmi les plus pauvres de France.
La « gigafactory », qui compte 650 salariés, entend recruter 350 personnes supplémentaires d’ici fin 2025. Elle aura le potentiel d’équiper jusqu’à 200.000 véhicules électriques par an, pour un investissement de 1,3 milliard d’euros – alors que le marché du tout électrique est en berne, boudé par les consommateurs.
Une « vallée de la batterie », pleine de promesses
Automotive Cells Company (ACC), coentreprise de Stellantis, Mercedes-Benz et Saft (filiale de TotalEnergies) a été la première « gigafactory » française à avoir démarré sa production, début 2024, à Billy-Berclau, dans le Pas-de-Calais. Le site compte 800 salariés, et en prévoit 2000 d’ici 2030 – si l’Europe continue à suivre son agenda zéro carbone en 2050. Elle vise à équiper 150.000 véhicules électriques dès l’an prochain et 250.000 en 2026. Sur les sept milliards d’euros d’investissements pour ce projet colossal, ACC a reçu plus de 1,2 milliard de subventions européennes, dont 845 millions d’euros de la France.
Le groupe taïwanais ProLogium prévoit de lancer sa production de batteries en 2027 à Dunkerque. Sa première usine à l’étranger représente un investissement de 5,2 milliards d’euros, dont une subvention de 1,5 milliard d’euros de l’État français. L’usine devrait créer à terme 3000 emplois directs avec une capacité de production pour équiper 500.000 à 750.000 véhicules par an. L’entreprise a la particularité de développer des batteries à électrolyte semi-solide, présentées comme plus performantes que la technologie lithium-ion qui domine actuellement le marché.
Fondée en 2020 en Isère, Verkor a aussi choisi Dunkerque pour implanter son premier site industriel, qui doit démarrer courant 2025, avec Renault pour principal client. L’investissement est estimé à 1,5 milliard d’euros. Verkor vise d’ici à 2027 une production de batteries lithium-ion capable d’équiper 300.000 véhicules électriques par an. Quelque 1200 emplois directs devraient être créés d’ici la fin de cette première phase.
En tout, ce sont près de 3 milliards d’euros qui ont déjà été investis par l’État dans la région sur les batteries.
Un bassin d’entreprises se crée
Un écosystème d’entreprises technologiques, avec des emplois à la clé, est en train de naître autour de ces usines de batteries, notamment sur leur recyclage.
Orano, le spécialiste français du cycle du combustible nucléaire, s’est associé au chinois XTC New Energy pour construire un site dans le Dunkerquois intégrant recyclage et production de matériaux pour batteries. Le projet devrait générer 1300 emplois directs à l’horizon 2030.
Le groupe français Axens a confirmé en novembre son intention de construire une usine de matériaux actifs de cathodes, un composant clé pour les batteries, avec 400 emplois à la clé. Basée sur une friche industrielle près de Valenciennes (Nord), la production devrait démarrer en 2028, pour 500 millions d’euros d’investissement.
Près d’Arras, l’entreprise française Battri prévoyait de démarrer son usine de « prétraitement » (tri et broyage des matériaux de batteries en fin de vie) au premier trimestre 2025. Le norvégien Hydrovolt compte aussi implanter une petite unité de recyclage dans le Nord en 2026.
Axée sur le recyclage des matériaux critiques composant les batteries pour les réutiliser, la start-up lyonnaise Mecaware compte elle s’implanter à Béthune d’ici 2028.
Mais il y a également des rétropédalages, reflet des incertitudes dans le secteur : en octobre, Eramet a suspendu son projet d’usine de recyclage de batteries à Dunkerque, « faute de montée en puissance en Europe des usines de batteries et de leurs composants », tandis que son partenaire Suez a maintenu le sien. Li-Cycle, spécialiste canadien du recyclage des batteries lithium-ion, a aussi annoncé en mars une « pause » de son projet d’installation dans le Pas-de-Calais.
Un vent de panique venu du nord
Car l’industrie automobile en Europe affronte des vents contraires et une croissance plus lente que prévu de la demande de véhicules électriques. Simultanément, une concurrence chinoise de plus en plus féroce impacte directement la rentabilité des investissements dans les batteries.
Northvolt, la société clé dans les efforts de l’Europe pour développer une industrie de batteries automobiles capable de rivaliser avec les concurrents mondiaux, a annoncé fin 2024 vouloir supprimer 1600 emplois sur son site en Suède – et ce, dans un contexte de faible demande pour les voitures électriques (VE) et de forte concurrence de la part des fabricants chinois. »La dynamique générale de l’électrification reste forte, mais nous devons nous assurer que nous prenons les bonnes mesures au bon moment pour répondre aux vents contraires du marché automobile et du climat industriel en général », avait déclaré le patron de Northvolt, Peter Carlsson.
Les retards de production et le ralentissement de la demande des clients automobiles ont accéléré la dégradation de sa situation financière, selon le quotidien économique Dagens Industri.
Des fabricants européens appuient sur les freins
Alors que la construction de plusieurs dizaines d’usines de batteries est prévue à travers l’Europe, la stagnation des ventes des voitures électriques complique les montages financiers et les choix technologiques.
Au Royaume-Uni, la société Britishvolt a fait faillite début 2023 avant d’arriver à lancer son énorme usine de batteries, faute d’avoir levé suffisamment de fonds.
En France, le fabricant ACC a ouvert sa première usine de batteries en mai 2023, mais TotalEnergies, qui en partage le contrôle avec Stellantis et Mercedes, a annoncé en février 2024 qu’il ralentissait ses investissements.
Quelques semaines plus tard, ACC a annoncé une « pause » dans la construction de ses deux futures usines, à Termoli en Italie et Kaiserslautern en Allemagne, invoquant notamment la nécessité d’une mise à jour technologique des batteries à produire.
« Les projets de gigafactories annoncés sont très ambitieux », a commenté Apostolos Petropoulos, expert à l’Agence internationale de l’énergie (AIE), mais « il faut qu’ils soient accompagnés d’une forte demande pour se concrétiser ».
Les usines françaises avancent malgré la défiance du secteur
Dans la « vallée de la batterie » du nord de la France, les gigafactories devraient créer 13.000 emplois directs et au moins le double d’emplois indirects, d’après l’Aria, qui représente les industriels locaux de l’automobile.
Le secteur s’interroge tout de même sur les difficultés des entreprises à monter en cadence et surtout à trouver des financements. Pour Richard Bouveret, patron de Blue Solutions, « il y a eu un peu d’hystérie » sur les financements et « beaucoup d’actionnaires le paient ». Cette filiale du groupe Bolloré mise sur un modèle de batteries et d’usines moins coûteuses, tandis que d’autres comme ProLogium visent des batteries plus puissantes promettant une recharge très rapide.
« Il faut aller au-delà des produits qu’on a déjà et gagner la confiance des consommateurs comme des investisseurs », a estimé M. Bouveret lors d’une table ronde.
Car la rentabilité de ces projets pharaoniques reste incertaine. Les coûts de production en Europe sont environ 50 % plus élevés qu’en Chine, la chaîne d’approvisionnement liée aux batteries reste relativement faible et le secteur manque de salariés qualifiés, notait l’AIE début mars dans un rapport.
« On est à un moment charnière », a résumé Pierre Bagnon, spécialiste du secteur chez Capgemini.
Après leur construction, les usines doivent faire des tests pendant de longs mois et produire des cellules de batteries qui seront jetées, avant de monter en qualité et passer à la production en série. Le patron d’ACC, Yann Vincent, parle de cette phase de tests comme d’une « vallée de la mort ».
« Le démarrage ne dure pas un an », a précisé M. Bagnon. « Construire une industrie européenne pérenne, durable dans le temps en termes de consommation énergétique, se passe sur le temps long », a-t-il relevé.
« Que ce soit aux États-Unis ou en Asie, les niveaux de soutien ont été considérables. L’Europe n’a pas encore pris conscience de ce dont on parlait », a lancé Benoît Lemaignan chez Verkor.
Comparés à l’argent que l’Europe dépense pour importer du pétrole, « les petits milliards qui ont été mis sur la table pour construire une industrie de la batterie en Europe ne sont pas à la hauteur », selon lui.
Des investissements que l’Europe se montre maintenant plus frileuse à faire, tant les conséquences des restrictions du Pacte vert et de l’objectif zéro carbone en 2050 sont en train de mettre à terre tout l’appareil industriel européen, au profit de la Chine et des États-Unis. Peut-on compter sur plus de restrictions et plus de taxes pour rendre le marché plus attractif d’ici 2030 ? Rien n’est moins sûr.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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