Serions-nous comme des atomes ?

9 janvier 2017 08:16 Mis à jour: 15 juillet 2017 19:14

Après avoir observé pendant des décennies des particules comme les atomes, des physiciens ont commencé à utiliser leurs connaissances et les équations développées afin d’analyser les phénomènes sociétaux n’ayant pas d’explication claire. Certains les utilisent pour prédire les prix et les actions en bourse, d’autres essaient de comprendre ce qui provoque les révolutions et même les guerres.

« J’ai compris que lorsque nous essayons d’expliquer notre monde, nous utilisons encore les concepts et paradigmes du XIXe siècle et du XXe siècle. Nous sommes toujours à la recherche de l’ordre, comme l’ordre du monde minéral et du déterminisme. Mais la physique de ces cinquante dernières années a déjà découvert le chaos, les probabilités et le désordre. Nous n’avons en fait pas vraiment changé le paradigme et avons développé des nouveaux outils et des nouveaux moyens par lesquels nous pouvons observer et comprendre le monde plus largement. Je pense que la sociophysique peut grandement développer ces nouveaux moyens », indique le professeur Serge Galam, directeur de recherche au CNRS et l’un des fondateurs de la sociophysique, lors d’une entretien avec Epoch Times.

Il se passe dans le monde des atomes un grand nombre de phénomènes physiques semblables à ceux de la société humaine. Nous avons donc pensé que s’ils étaient si semblables, nous pourrions peut-être utiliser les outils que nous avons appris en physique mathématique et les appliquer à certains aspects de la société humaine.

Des similitudes peuvent être retrouvées entre le monde des atomes et la société humaine, particulièrement grâce à des outils mathématiques aidant les physiciens à décrire ces phénomènes. Le professeur Galam utilise de nouveaux outils mathématiques permettant d’analyser des phénomènes sociétaux variés n’ayant pas d’explication. Confortés par plus de trois décennies de recherche, le professeur Galam et d’autres physiciens suggèrent de nouvelles idées afin de prédire la valeur future des actions en bourse, ainsi que la compréhension des processus amenant à des guerres et des révolutions.

Un trader de la City à Londres le 27 juin 2016. (DANIEL LEAL-OLIVAS/AFP/Getty Images)

Agir comme un seul corps

Beaucoup des modèles proposés par le professeur Galam et ses collègues se basent sur un phénomène commun du comportement collectif. Le monde physique que nous pouvons voir présente de nombreuses particularités, comme lorsque l’eau se refroidissant se cristallise en glace, les modèles d’eau s’organisant en pattern ordonné. C’est ce qu’explique le professeur Yuval Gefen de la faculté de physique de l’Institut Weizmann en Israël, qui a travaillé sur comment la glace bloque l’interaction moléculaire entre des molécules voisines encore liquides, permettant d’accélérer la formation de glace.

Le monde autour de nous, analyse le professeur Gefen, est fait d’un comportement collectif se développant par le résultat d’interactions entre nous, les humains. Par exemple, si se répand la rumeur qu’une banque a des difficultés et risque une faillite prochaine, tous les clients de la banque agiront comme un corps, et viendront voir la banque pour essayer de retirer leur argent. Un autre exemple en biologie est lorsque les poissons se déplacent en banc. Ils perdent alors leur individualité et décident de nager dans la même direction. Cela est le résultat d’un comportement collectif, fait remarquer Gefen.

Gefen explique que bien que certains chercheurs aient publié leurs travaux, ils ont préféré garder pour eux les connaissances acquises par leur recherche. Ces chercheurs prennent avantage des fluctuations du marché de façon à en obtenir les meilleurs profits.

La sociophysique permet de comprendre au niveau de la société ces phénomènes observés dans le comportement collectif des particules, et de développer des équations pour l’étude de nombreux phénomènes dans la société humaine. « Avec beaucoup de particules, ou dans le cas des humains, chaque acteur veut se comporter d’une certaine façon. Mais lorsque qu’ils sont sur le même terrain et organisent leurs interactions entre eux, comme un seul corps contenant beaucoup d’acteurs, ils peuvent alors agir différemment », explique Gefen.

« L’un des principaux outils amenés par les physiciens dans le monde de la sociologie est la physique statistique. Il s’agit d’un domaine de la physique mathématique traitant de ce qu’on les systèmes en commun ». Lorsque les physiciens cherchent à décrire ce qu’il se passe dans des systèmes complexes, contenant de nombreuses particules, il est difficile de décrire en détail ce qu’il s’y passe. Ils peuvent néanmoins l’estimer pour la plus grande part, avec par exemple des probabilités et des valeurs moyennes pour certaines situations. La physique statistique peut déterminer ces probabilités, et les calculs qu’elle offre peuvent être utilisés pour décrire les systèmes sociaux faits de nombreuses personnes.

Avant de comprendre les applications pouvant être développées par l’usage de ces outils, il nous paraît important de revenir dans le passé afin de comprendre leur origine commune.

25 ans en avance sur la communauté scientifique

De nombreuses conférences sont maintenant tenues chaque année sur la sociophysique, mais le professeur Galam avait encore de nombreux doutes en la considérant à la fin des années 70.

Il raconte qu’en ayant grandi dans une famille juive ayant émigré de la Lybie vers la France dans les années 50, il était intéressé par l’histoire, la politique et la philosophie – les secrets du comportement humain – mais était trop fainéant pour lire tous les livres nécessaires. Après qu’il se soit finalement orienté vers une carrière scientifique dans la physique, il s’est intéressé de plus en plus au comportement des sociétés humaines.

« J’ai à un moment eu la volonté de chercher à déterminer les secrets du comportement humain. Bien que je n’avais aucune idée de comment en saisir ses caractéristiques essentielles, j’étais convaincu que le pouvoir inhérent à la recherche en physique pouvait contribuer à mieux comprendre les déterminantes du comportement humain », écrit-il dans son article.

Durant sa carrière académique dans le domaine de la physique conventionnelle liée aux systèmes désordonnés apparaissant avec les petites particules, le professeur Galam a également développé son idée novatrice de sociophyique qui rencontrera une forte opposition.

En 1982, lors de ses études doctorales à la faculté de physique et d’astronomie de l’Université de Tel Aviv, il rédigea une publication avec Gefen et un autre collègue sur l’analyse du processus menant à la faillite des grandes compagnies. Cet article a également défini les objectifs du nouveau domaine de recherche de la sociophysique.

« Galam et moi effectuions nos études doctorales en physique à l’Université de Tel Aviv et cherchions à expérimenter et à appliquer notre connaissance du comportement sociologique. Lorsque nous en parlions aux gens autour de nous, beaucoup haussaient les sourcils et nous questionnaient. Notre directeur de thèse n’était alors pas très content de notre idée, mais nous avons décidé de nous y tenir et d’écrire cette thèse », se rappelle le professeur Gefen.

« La grande surprise est venue de l’université. Alors que nous approchions de la date limite, il était très difficile de faire accepter nos équations dans des publications imprimées. Lorsque le secrétaire du département de physique a finalement donné son accord pour que nous écrivions les équations nécessaires, l’article a soudainement disparu. Le doyen de la faculté l’avait simplement retiré pour empêcher sa publication et préserver la réputation de l’université. Il a pris l’article et l’a mis dans un placard. Il ne nous en a même pas parlé », rapporte Galam.

Après une lutte de longue haleine au nom de la liberté académique, un autre senior de la faculté a aidé les trois doctorants à publier leur article. Galam a remarqué que leur article avait été totalement ignoré, aussi bien parmi les physiciens que parmi les sociologues.

Gefen s’était alors orienté vers autre chose. Lorsque Galam persista, il reçut le même accueil. Lorsqu’il essaya de publier un article sur le sujet, l’évaluation par les pairs fut très sévère. Ce n’est qu’après plusieurs années de modifications et de perfectionnement qu’il put finalement faire publier un article, mais sans recevoir de réponse non plus. Il avait été presque complètement ignoré.

Mais les difficultés n’ont pas arrêté Galam, qui était déterminé à faire avancer la recherche scientifique. Il a compris que le problème était les conceptions erronées de nos comportements de base. « J’ai réalisé que nous ne pouvons jamais résoudre nos problèmes sans changer notre façon de voir les choses. »

Au début des années 1990, lorsqu’il voulait avoir une réponse à son article, Galam a décidé d’essayer une stratégie alternative. Avec le célèbre penseur social Serge Moscovici, ils publièrent ensemble cinq autres articles sur la prise de décision partagée et sur comment le processus de prise de décision peut mener à un extrême. Mais de nouveau, il n’eut pas de réponse de la part des physiciens et des sociologues.

Comme un banc de poissons nageant dans une direction, les molécules d’eau gelées amènent les molécules voisines à former un bloc de glace. (Thomas Shahan / Flickr)

La physique sur le marché financier

Les choses commencèrent à changer graduellement au milieu des années 1990. Bien que la sociophysique n’emportait toujours pas beaucoup d’intérêt, un domaine de recherche quasiment parallèle commença à prendre de l’importance. Appelé « éconophysique », il cherchait à utiliser la physique statistique avec ses calculs de probabilités de systèmes complexes, afin de permettre un nouvel angle de vue sur ce qu’il se passe dans le marché financier.

« Si nous prenons par exemple l’action de Google, nous pouvons voir que son prix varie à chaque minute. Les prix de ses valeurs varient également chaque seconde, et même chaque fraction de seconde. Lorsque vous regardez ces changements cela forme une courbe inégale », explique Gefen.

Les méthodes mathématiques de physique statistique, qui analysent les probabilités des tendances évolutives de systèmes complexes, peuvent néanmoins selon Gefen permettre de déterminer la fiabilité de nombreuses analyses de données. « En connaissant la valeur de cette compagnie, les parts d’autres compagnies et d’autres informations pertinentes je peux alors estimer si dans cinq minutes l’action prendra ou perdra de la valeur. Je peux me servir de cette information en utilisant les outils mathématiques de la physique statistique. »

En 2003, le professeur Gefen a publié ses recherches dans le domaine. Il a avec trois de ses collègues analysé les effets de différents scénarios des prix du marché financier français, aussi bien sur le court terme que sur le long terme. Pour illustrer le potentiel économique de ce domaine, Gefen explique que bien que certains chercheurs aient publié leurs travaux, ils ont préféré garder pour eux les connaissances acquises par leur recherche. Ces chercheurs prennent avantage des fluctuations du marché de façon à en obtenir les meilleurs profits.

Grâce à l’intérêt suscité à la sociophysique par la popularité de l’éconophysique, la sociophysique est devenue quelques années plus tard un domaine de recherche suscitant beaucoup d’intérêt. Depuis 2003, de nombreux chercheurs autour du monde ont rejoint les travaux de recherches de Galam, et des conférences annuelles et des formations sont maintenant organisées. « Le champ de recherche n’est plus simplement limité à la physique », analyse Galam. Il y a quelques années, des scientifiques travaillant dans l’informatique et des programmeurs se sont joints à leurs efforts. « Il n’est maintenant plus nécessaire d’avoir une formation en mathématiques afin de créer des modèles et des simulations. »

Comment répandre une rumeur

Une application de la sociophysique est d’analyser les effets de la « dynamique des classes » : quelles sont par exemple les chances d’avoir une discussion de groupe où chaque participants est affecté à une position hiérarchique. Changez la position de la majorité des membres d’un groupe et ils se mettront d’accord sur une position commune. Des équations similaires aident les chercheurs à analyser les processus menant le public a en avoir assez de la situation actuelle et à monter aux barricades.

En 2005 par exemple, lorsqu’on a demandé aux citoyens français s’ils acceptaient la Constitution européenne, la plupart des commentateurs pensaient que la majorité de l’opinion publique soutiendrait la Constitution, étant donné que depuis le début des délibérations seuls 15 % s’y étaient opposés et que des dirigeants politiques de tous bords y étaient favorables. Le professeur Galam a analysé des modèles basés sur la dynamique des comportements, évaluant des mois avant le vote le résultat comme négatif. Quelques mois plus tard, la minorité avait en effet réussi à convaincre les autres, et le référendum a finalement rejeté la Constitution européenne.

Une étude intéressante menée en 2003 par Galam a examiné la vitesse à laquelle des fausses rumeurs lancées pouvaient être largement soutenues, en particulier si elles correspondaient à la même vision conceptuelle du monde que celle du receveur. Il se réfère au modèle de groupes de discussion de deux à six participants, à l’esprit ouvert, dans lesquels les interlocuteurs sont capables d’accepter les points de vue de leurs partenaires dans la conversation.

Selon les équations de Galam, si en entendant pour la première fois une rumeur 20 % des citoyens la soutiennent, et que chaque personne dans le groupe discute de la rumeur, au bout de six jours plus de la moitié des citoyens croiront en cette rumeur. Après une autre semaine, l’opinion publique pourra accepter la fausse rumeur.

Galam a démontré comment le processus de la théorie du complot pouvait se répandre en France. En 2002, le journaliste français Thierry Meyssan a publié son livre L’Effroyable Imposture, dans lequel il avance que durant la série d’attaques du 11 septembre 2001 aucun avion n’avait touché le Pentagone, et que plus grave encore, la série d’attaques avait été initiée par des éléments droitiers du gouvernement, y compris l’administration américaine, afin de promouvoir une intervention militaire en Irak et en Afghanistan. Le livre s’est rapidement vendu à 200 000 exemplaires, jusqu’à ce que les grands journaux français se mobilisent pour réfuter ensemble la rumeur.

Galam explique que l’idée de cette rumeur s’est répandue efficacement en France car le public français à tendance à considérer l’Amérique comme un pays avec une influence excessive. Comme cela a été observé dans d’autres pays, en Grande-Bretagne par exemple, une telle rumeur a été démentie si largement par le public qu’elle a naturellement décrue.

Ceci permet une réflexion intéressante sur notre penser et notre libre arbitre, ou plutôt sur notre illusion de posséder le libre arbitre. Si nous sommes absolument convaincus de posséder le libre arbitre, mais qu’il se trouve qu’à un certain point nous ne savons pas quoi choisir et que nous échangeons nos arguments avec d’autres, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une situation nouvelle pour nous, il y a des chances que nous baserons finalement notre décision sur ce que nous avons appris par le passé. Différentes conceptions acquises prennent les décisions pour nous et ne désirent pas être « libres ».

Version en hébreu : אנשים הם כמו אטומים?

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