L’horreur, l’héroïsme et une femme nommée Heda

L'histoire d'une femme tchécoslovaque qui a enduré les régimes nazi et soviétique

Par Jeff Minick
18 janvier 2023 14:00 Mis à jour: 18 janvier 2023 14:00

Ces cent dernières années, les régimes totalitaires ont régulièrement condamné l’humanité à récolter des fruits amers. La Russie soviétique, l’Allemagne nazie, la Chine communiste, le Cambodge, Cuba et tant d’autres endroits ont servi, ou servent encore, d’arènes meurtrières au nom d’une idéologie obscène. Dachau, Auschwitz sont des noms connus de la plupart d’entre nous. Nous avons tous entendu parler du Goulag. Cependant, pour un camp de la mort avéré historiquement, il en existe des milliers d’autres que seuls les exécutés et leurs bourreaux ont jamais connus.

Ces régimes ont non seulement meurtri les populations dans leur chair mais aussi dans leur âme. Ils ont corrompu les rêves et la bonté humaine. Ils ont remplacé l’amour de Dieu, des coutumes et de la culture par une soumission totale à un État aux dogmes pervertis. Souvent des gens simples sont devenus des espions, dénonçant leurs voisins, leurs proches, qu’ils considéraient comme des traîtres, des renégats.

Une littérature, qui ne cesse d’augmenter, envoie de longue date des avertissements sur ces horribles déprédations et sur les criminels qui les perpétuent. Anne Frank, Elie Wiesel et Alexandre Soljenitsyne ne sont que trois des écrivains dont les œuvres ont relaté les massacres, les arrestations, la torture, la suppression des libertés et des droits fondamentaux. Derrière eux se tiennent un nombre infini de victimes ayant enduré des conjonctures brutales et survécu pour témoigner de la sauvagerie totalitaire.

Parmi eux, Heda Margolius Kovaly (1919‑2010).

Une voix que je ne connaissais pas

Fin juillet, un ami m’a recommandé le livre « Under A Cruel Star: A Life In Prague 1941‑1968 » [Sous une Étoile cruelle : Une vie à Prague 1941‑1968, ndt.], d’Heda Margolius Kovaly. Sa fille, récemment diplômée de l’université, le lui avait conseillé. J’ai été surpris de voir que la bibliothèque possédait un exemplaire de ces mémoires. Le livre en soi m’a bouleversé.

Je l’ai dévoré en moins de deux jours. Je le lisais pendant les pauses au travail jusque tard dans la nuit. En un sens, c’est un livre qui se lit facilement. Il est relativement court. Heda Kovaly construit un récit d’une grande fluidité pour relater les événements. Il y a aussi beaucoup de suspens. Il ne s’agit cependant pas d’un suspens préfabriqué propre aux thrillers d’aujourd’hui.

Mais la vitesse à laquelle j’ai lu Heda Kovaly n’a pas grand‑chose à voir avec ma volonté de promouvoir son livre. C’est plutôt le message porté par ce témoignage qui m’a motivé, un message du passé envoyé dans le présent, comme une lettre contenue dans une bouteille jetée à la mer. Cela s’est agrippé à moi et m’a guidé.

Des années de peur et de terreur

Juifs d’Europe centrale rassemblés pour être déportés hors du ghetto de Lodz en mai 1942. (Domaine public)

La première page de ces souvenirs nous plonge directement à l’automne 1942. Dans le hall d’exposition de Prague, les nazis ont commencé la déportation massive des juifs comme Heda. L’intérieur du hall est « comme un asile de fous sorti du Moyen Âge ». Emmenée à Lodz en Pologne, elle et d’autres sont jetées dans un ghetto décrépit où les habitants affamés vivent comme des animaux.

Plus tard, Heda est affectée dans une briqueterie. Suite à une avalanche de plaintes, qui auraient pu la condamner, son patron décide de la faire asseoir dans une pièce sombre. Il lui dit : « Raconte‑moi. » L’homme est évidemment au fait du sous‑rationnement et des maladies qui touchent les prisonniers, mais il écoute en silence les horreurs sans fin dont elle a été témoin : les morts, les filles enceintes et les vieillards massacrés, les chambres à gaz. À la fin de sa longue et tranquille litanie de tueries et de sévices, le patron reste assis. Alors qu’elle sort de la pièce, il se cache le visage entre les mains. « Cet homme vivait dans l’Allemagne nazie et avait un contact quotidien avec un camp de concentration et ses détenus, et pourtant, il ne savait rien. Je suis tout à fait sûre qu’il ne savait rien. »

Elle parvient ensuite à s’évader avec quelques amis alors que les Allemands éloignent leurs prisonniers à mesure que les Russes avancent. À plusieurs reprises, elle frôle la mort. Cependant, elle retourne à Prague. Là, ses amis, terrifiés à l’idée d’être découverts, refusent de l’héberger ou de l’aider. Finalement, un membre de la résistance prend contact avec elle et la voilà sauvée.

Mais seulement des nazis…

La suite de ses mémoires se consacre alors à la montée rapide du communisme en Tchécoslovaquie, soutenu par l’Union soviétique, et à la fin apparente de tout espoir de liberté. Rudolf, l’homme qu’elle aime depuis toujours et qu’elle épouse après la guerre, rejoint le Parti et la persuade d’en faire autant. C’est un idéaliste, convaincu que le communisme apportera la paix, la prospérité et la fraternité humaine. Heda Kovaly exprime ici un sentiment qui, aujourd’hui, serait probablement considéré comme politiquement incorrect :

« Si je n’ai pas succombé moi‑même à l’attrait de l’idéologie, ce n’est certainement pas parce que j’étais plus intelligente que Rudolf, mais parce que j’étais une femme, un être beaucoup plus proche de la réalité et des choses fondamentales de la vie que lui. (…) Rudolf pouvait décider sur la base de statistiques – la plupart du temps falsifiées, bien sûr – que sous le communisme les gens vivaient mieux et étaient plus heureux. J’ai vu de près et de mes propres yeux que ce n’était pas vrai. »

Rassemblement des militants communistes tchécoslovaques dans le centre de Prague, le 28 février 1948, afin de prouver leur victoire dans le coup d’État politique qui les a portés au pouvoir pendant plus de 41 ans. (STR/ACME/AFP via Getty Images )

Finalement, Rudolf ouvrira les yeux. Capable, travailleur et fonctionnaire du gouvernement, il est arrêté malgré sa fidélité, avec d’autres, sous de fausses accusations de trahison, déclaré coupable et pendu. Du fait de sa mort, Heda n’a plus droit à la sécurité sociale, son jeune fils non plus. La voilà condamnée à errer d’un endroit à l’autre en cherchant du travail. Être au chômage est un crime. Les mensonges que l’État a diffusés au sujet de son mari la suivent comme son ombre.

Heda Kovaly termine sa chronique en relatant certains événements dont elle a été témoin à l’automne 1968, lorsque les troupes soviétiques sont entrées en Tchécoslovaquie et ont brutalement réprimé le mouvement de réforme en plein essor.

Alors que son fils vit en Angleterre et que son second mari est en tournée et fait des conférences aux États‑Unis, elle réussit à se faufiler en train hors du pays et s’échappe.

Le livre se termine par ce paragraphe :

« Le train ne s’est pas arrêté longtemps à la frontière et, lorsqu’il a commencé à avancer, je me suis penchée par la fenêtre aussi loin que possible, en regardant derrière moi. La dernière chose que j’ai vue, c’est un soldat russe qui montait la garde, baïonnette au canon. »

Cela peut arriver ici … ou ailleurs

Adolf Hitler (au c.) au Château de Prague, le 15 mars 1939. Archives fédérales allemandes. (Bild Bundesarchiv/CC BY-SA 3.0 de)

Heda Kovaly écrit : « Nous n’avions écouté qu’à moitié lorsque nos professeurs d’histoire parlaient de torture ou de persécution d’innocents. Ces choses ne pouvaient se produire qu’il y a très longtemps, à l’âge des ténèbres. Lorsque cela s’est produit à notre époque et sous une forme bien pire que ce que nous pouvions imaginer, nous avons eu l’impression que c’était la fin du monde. »

Quand j’enseignais l’histoire mondiale et européenne lors de cours organisés pour des élèves faisant l’école à la maison, ceux‑ci étaient souvent consternés au moment où j’évoquais les massacres durant les croisades, les exécutions pendant la Réforme. La plupart semblaient penser que l’homme moderne était incapable d’un tel mal. Mais je devais leur rappeler que nous venions de terminer le siècle le plus sanglant de l’histoire de la race humaine. Je regrette maintenant de ne pas avoir connu « Under a cruel Star » à cette époque, nous aurions pu le lire ensemble.

Les Américains disent souvent : « Cela ne pourrait jamais arriver ici. » Pourtant, Heda Kovaly offre des aperçus qui s’appliquent sans peine aux États‑Unis aujourd’hui. En voici quelques‑uns.

À propos des communistes, elle mentionne : « Il n’est pas difficile pour un régime totalitaire de maintenir les gens dans l’ignorance. Une fois qu’on renonce à sa liberté au nom de la ‘nécessité entendue’ … on renonce à son droit à la vérité … On s’est volontairement condamné à l’impuissance. » Cela fait vibrer une corde sensible face à la pandémie, ses confinements musclés, ses fermetures d’écoles et d’églises, et l’obéissance aveugle de la majorité.

L’intrusion de l’idéologie communiste dans le foyer et la famille a changé la façon de penser de nombreuses personnes. « Je ne connaissais rien à la politique et encore moins à l’économie. Mais j’ai commencé à comprendre que la vie était devenue politique et que la politique était devenue la vie », écrit Heda Kovaly. C’est une description pertinente de nombreux Américains aujourd’hui, qui placent la politique au‑dessus de l’amitié ou même des liens familiaux.

Vingt ans après l’exécution de son mari, Heda Kovaly a appris le sort de sa dépouille. Ses cendres et celles de 13 autres personnes ont été emmenées pour être évacuées à la campagne. « À quelques kilomètres de Prague, la limousine a commencé à patiner sur la route glacée. Les agents en sont sortis et ont dispersé les cendres sous ses roues. » En Amérique, nous méprisons également la vie, avec l’euthanasie et l’avortement. Certains utilisent les restes humains (pour l’heure, avec le consentement du mourant) comme du compost.

En évoquant la vie sous le communisme, Heda Kovaly insiste sur la capacité du régime à étouffer les conversations, même les plus ordinaires, lorsqu’un mot trop libre peut être signalé aux autorités. Elle ajoute : « La discipline du Parti exigeait que nous nous analysions constamment nos pensées, nos souhaits, nos inclinations. » Nombreux sont ceux qui, dans la société occidentale actuelle, se sentent enchaînés dans ces mêmes contraintes, craignant l’ostracisme ou, plus terrible encore, le retour de bâton des autorités pour avoir dit ou écrit quelque chose d’inacceptable.

Le courage est primordial

Monument à la mémoire de Jan Hus sur la place de la Vieille Ville, à Prague. (Oyvind Holmstad/CC BY-SA 3.0)

Pendant la révolte de Prague en 1968, Heda Kovaly passe devant une statue de Jan Hus, exécuté pendant la Réforme protestante. Sur le piédestal, on peut lire les mots « la vérité prévaut ». Elle s’interroge : « Est‑ce le cas ? La vérité seule ne prévaut pas. Lorsqu’elle se heurte au pouvoir, la vérité est souvent perdante. Elle ne prévaut que lorsque les gens sont assez forts pour la défendre. »

En dépit des épreuves sinistres et des horreurs, « Under a Cruel Star » est un témoignage empreint d’héroïsme. Lorsqu’Heda Kovaly demande justice pour son mari aux hommes qui ont contribué à sa purge, elle fait preuve d’un réel courage. Certains des amis qui l’aident sous ces dictatures agissent contre leurs intérêts personnels, risquant l’emprisonnement ou la mort par altruisme.

Heda Kovaly nous envoie un dernier message : à plusieurs reprises dans « Under a Cruel Star », elle souhaite une « vie ordinaire et tranquille », mais elle finit par conclure : « Vous ne pouvez pas construire une vie privée heureuse dans une société corrompue, pas plus que vous ne pouvez construire une maison dans un fossé boueux. Il faut d’abord poser des fondations. »

Selon elle, ces fondations ce sont des droits, des libertés et la justice. Si ce sont les pierres de construction que nous souhaitons nous‑mêmes préserver, nous devons trouver en nous la force, la pureté et la persévérance d’Heda Kovaly.

Une dernière remarque : Heda Kovaly a vécu aux États‑Unis, a pris sa retraite en tant que bibliothécaire de la Harvard Law School et est retournée en République tchèque avant sa mort.

« Under a Cruel Star : A Life in Prague 1941–1968 » (Holmes & Meier Publishers, 1986, 192 pages).

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