Loi Sapin II : des moyens dérisoires pour une noble cause

4 avril 2016 08:59 Mis à jour: 4 avril 2016 10:11

Avec la réforme de la loi El Khomri, la loi Sapin II présentée mercredi dernier au Conseil des ministres est le dernier dossier du quinquennat de François Hollande. La mesure, emblématique, tend à répondre à un laxisme envers la corruption soulevé à plusieurs reprises aussi bien par la Commission européenne que par l’OCDE ou Transparency International. Elle comprend aussi quelques nouvelles réglementations sur l’activité économique, héritées des mesures présentées par Emmanuel Macron.

Au classement de la lutte anti-corruption, la France est au 23rang mondial. Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique doit, en théorie, permettre à l’Hexagone de rattraper son retard. Mais malgré les avancées évidentes du texte, les experts s’interrogent sur sa réelle capacité à résoudre les problèmes de fond.

Ce que prévoit le projet

En 15 ans, Total est la seule entreprise française à avoir écopé d’une condamnation sur le sol français pour des faits de corruption internationale. Pourtant, d’autres entreprises tricolores ont fait l’objet de condamnation à l’étranger ; aux États-Unis, Alstom a admis avoir reversé pour 772 millions d’euros de pots-de-vin pour un marché.

Pour redresser la barre, le ministre du Travail a prévu la création d’une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption, qui selon ses mots, sera « un organisme aux larges pouvoirs, chargé de conseiller, former, contrôler et sanctionner le cas échéant ». Celle-ci devrait disposer de moyens renforcés avec 70 agents et remplacer l’existant Service central de prévention de la corruption. Pour mieux poursuivre les délits de corruption ou de trafic d’influence d’un agent public étranger, le projet de loi prévoit également la possibilité pour la ou les victimes de se constituer partie civile. Les étrangers domiciliés en France pourront aussi être condamnés pour des faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger.

Étant donné les enjeux liés à l’optimisation fiscale, la modicité de l’amende a de quoi faire sourire.

Grande absente du texte, la « transaction pénale ». À l’origine, un dispositif prévu dans la loi aurait prévu la possibilité pour les entreprises frauduleuses d’éviter le procès moyennant une amende plafonnée à 30% de leur chiffre d’affaires sur les trois dernières années. Mais la mesure a été retoquée par le Conseil d’État car « non conforme avec la culture française ».

Les représentants d’intérêts privés sont eux aussi visés dans le dispositif. Ils seront désormais tenus de s’inscrire dans un registre de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique lorsqu’ils s’adressent aux membres du gouvernement – ministres, secrétaires d’État, cabinets, etc. Ce fichier sera accessible à tous via Internet. Les cadeaux – voyages, restaurants, bouteilles de vin, etc. – seront interdits. « En cas d’infraction, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique pourra mettre en demeure le représentant d’intérêt et, en cas de réitération, rendre publique cette mise en demeure et infliger au contrevenant une amende de 30 000 euros maximum ».

Critiques

L’invalidation du volet sur la transaction pénale a été une première déception pour ceux qui attendaient que la France se range derrière les États-Unis, donnés en exemple dans leur législation en ce domaine. Pierre Gattaz, patron du Medef, parle d’une belle occasion manquée : « Quel dommage ! C’était une belle occasion de rattraper notre retard et de donner à nos entreprises toutes leurs chances dans la mondialisation ».

Sur l’efficacité même des dispositifs qui vont entrer en action, un doute persiste sur la volonté et la capacité du gouvernement à se doter d’outils puissants pour réellement renverser la vapeur. Sont notamment cités, la lutte contre l’influence des lobbies, ou encore la prise d’initiative envers les entreprises ne respectant pas les règles du jeu.

Un exemple pourrait illustrer le manque d’efficacité de la législation française en la matière : l’épisode de l’amendement 340, voté dans la loi des finances 2016. À l’origine, le texte prévoyait des mesures contre les entreprises frauduleuses, mais le gouvernement a finalement mobilisé les députés pour faire invalider le premier vote. Suite au scandale, l’exécutif a reculé et a coupé la poire en deux en proposant un texte déclarant que toute « entreprise faisant un chiffre d’affaires consolidé de plus de 750 millions d’euros » devrait faire une déclaration confidentielle et exhaustive, et qu’un défaut de déclaration serait sanctionné de 100 000 euros.

Or d’après Max Alain Obadia, expert comptable et commissaire aux comptes, « quand on connaît le montant des enjeux liés à l’optimisation fiscale (on parle de 60 à 80 milliards d’euros de manque à gagner annuel pour l’État), la modicité de l’amende (100 000 euros), vu la taille des groupes concernés, a de quoi faire sourire ». De plus, cet amendement ne s’appliquera que dès 2017 et pourra facilement être « affadi » ou « supprimé » par le prochain gouvernement.

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