Népal : Sushila Karki, première femme Première ministre, face à une crise sans précédent

La nouvelle Première ministre du Népal, Sushila Karki, s'est engagée dimanche 15 septembre à répondre aux revendications des jeunes protestataires qui réclament "la fin de la corruption", après les émeutes meurtrières du début de la semaine qui ont contraint son prédécesseur à la démission.
Photo: PRABIN RANABHAT/AFP via Getty Images
La nouvelle Première ministre du Népal, Sushila Karki, s’est engagée dimanche 15 septembre à répondre aux revendications des jeunes protestataires qui réclament « la fin de la corruption », après les émeutes meurtrières du début de la semaine qui ont contraint son prédécesseur à la démission. Une semaine après sa nomination historique, cette juriste de 73 ans doit affronter une crise politique et sécuritaire d’une ampleur inédite dans ce pays himalayen.
L’ex-juge en chef de la Cour suprême du Népal prend les commandes du pays après des manifestations violentes qui ont contraint son prédécesseur KP Sharma Oli à la démission. Sushila Karki a prêté serment en tant que Première ministre par intérim le 12 septembre 2025, devenant la première femme à occuper ce poste dans l’histoire du Népal.
« Nous devons travailler en accord avec la pensée de génération Z » qui est à l’origine de la contestation, a déclaré Mme Karki lors de sa première allocution publique. « Ce qu’ils réclament, c’est la fin de la corruption, une bonne gouvernance et l’égalité économique », a exposé la cheffe du gouvernement provisoire, déterminée « à atteindre cet objectif ».
Un bilan humain particulièrement lourd
Après une semaine sanglante qui a fait au moins 72 morts lors de manifestations, la capitale Katmandou porte encore les stigmates des violences. Ce nouveau bilan, communiqué dimanche par le secrétaire en chef du gouvernement, Eaknarayan Arya, révise à la hausse un précédent décompte de 51 personnes tuées et fait état de 191 blessés.
La crise – la plus meurtrière survenue au Népal depuis l’abolition de la monarchie en 2008 – a débuté lundi 9 septembre, lorsque la police a ouvert le feu sur les jeunes manifestants qui dénonçaient le blocage des réseaux sociaux et la corruption endémique. Les troubles, les plus meurtriers survenus au Népal depuis l’abolition de la monarchie en 2008, ont débuté lundi, lorsque la police a ouvert le feu sur des jeunes protestataires.
Mme Karki, chargée de rétablir l’ordre et de répondre aux revendications des manifestants, a observé une minute de silence dimanche à la mémoire des victimes, dans le complexe gouvernemental de Singha Durbar où plusieurs bâtiments avaient été incendiés lors des manifestations de mardi.
Une évasion carcérale sans précédent
Au-delà du bilan humain, c’est une crise sécuritaire majeure que doit gérer la nouvelle Première ministre. Plus de 13 500 détenus se sont évadés des prisons népalaises pendant les émeutes antigouvernementales, constituant la plus grande évasion carcérale de l’histoire du pays.
« Environ 13 500 détenus se sont échappés. Certains ont été repris, 12 533 sont toujours en cavale », selon un porte-parole de la police, Binod Ghimire. Selon les informations disponibles, des évasions massives se sont produites dans 25 prisons de différentes villes du Népal. Parmi les évadés figurent des condamnés pour meurtres, viols, enlèvements et traite d’êtres humains.
Plus de 200 des 13 500 détenus qui se sont échappés des prisons du Népal à la faveur des violentes émeutes ont été repris, notamment en Inde, selon des sources militaires. 60 détenus échappés des prisons népalaises ont été arrêtés sur le sol indien et « remis à la police locale », selon un responsable des gardes-frontière.
Cette situation sécuritaire exceptionnelle pèse lourdement sur les relations avec l’Inde voisine, qui doit faire face à l’afflux de fugitifs sur son territoire.

« Le président du Népal Ram Chandra Paudel (à.g) fait prêter serment à la nouvelle Première ministre du pays Sushila Karki lors de sa cérémonie d’investiture à la Maison présidentielle de Katmandou le 12 septembre 2025. ( SUJAN GURUNG/AFP via Getty Images)
Un mandat de transition limité dans le temps
Nommée vendredi 12 septembre au soir après trois journées de tractations, l’ex-cheffe de la Cour suprême du Népal, Sushila Karki, a entamé au pas de charge son mandat à la tête d’un gouvernement provisoire. Sa nomination a fait l’objet d’intenses négociations entre le chef de l’armée, Ashok Raj Sigdel, et le président, Ram Chandra Paudel.
« Quelque soit la situation, nous ne resterons pas ici plus de six mois, nous assumerons nos responsabilités et promettrons de transmettre (le pouvoir) au prochain Parlement et aux ministres », a-t-elle affirmé dans son allocution dimanche. Le président népalais Ramchandra Paudel a dissous le Parlement et convoqué de nouvelles élections le 5 mars 2026.
« La situation dans laquelle je me trouve, je ne l’ai pas souhaitée. Mon nom a émergé dans les rues », a-t-elle confié, faisant référence à sa popularité spontanée parmi les jeunes contestataires qui la voient comme une figure d’intégrité.
Un profil qui fait consensus
Connue pour son indépendance et son franc parler durant sa carrière de magistrate, sa nomination a fait l’objet d’un accord entre toutes les parties politiques. Son nom avait émergé en début de semaine sur les réseaux sociaux, semblant faire l’objet d’un certain consensus parmi les jeunes contestataires pour diriger le gouvernement provisoire.
Cette ancienne présidente de la Cour suprême âgée de 73 ans incarne une génération de juristes respectés pour leur probité, qualité particulièrement appréciée dans un pays rongé par la corruption. Sa longue carrière judiciaire et sa réputation d’intégrité en font un choix de compromis entre les différentes forces politiques.
Les défis d’un gouvernement intérimaire
L’agenda de la première femme chargée de diriger le Népal s’annonce particulièrement chargé. La génération Z, durement frappée par le chômage et contrainte à l’exil pour trouver un emploi, avait fait exploser sa colère dans les rues contre un gouvernement jugé corrompu et incapable de répondre à ses besoins.
Conscients de l’ampleur de la tâche qui attend le gouvernement, les Népalais rencontrés par l’AFP ont dit espérer des changements. « Les problèmes à traiter sont complexes », reconnaît Satya Narayan, un épicier de 69 ans, dans le village de Pharping, situé à environ une heure de la capitale. « Il doit également veiller à préserver l’unité du pays en fédérant la population ».
Les soldats étaient moins présents dimanche dans les rues de la capitale, où ils avaient été déployés en grand nombre après les manifestations, signe d’un retour progressif au calme. Cependant, la gigantesque opération de recherche des évadés mobilise encore d’importants moyens sécuritaires.
Des soutiens internationaux prudents
. Ces félicitations diplomatiques traduisent l’espoir des puissances régionales de voir se stabiliser rapidement ce pays stratégiquement situé entre les deux géants asiatiques.
Le président Paudel a affirmé samedi soir qu' »une solution pacifique avait été trouvée à l’issue d’un processus difficile ». Il a qualifié la situation de « très difficile, compliquée et grave » dans ce pays himalayen de 30 millions d’habitants. « Je lance un appel sincère à chacun pour tirer le meilleur parti de cette opportunité (…) pour réussir les élections du 5 mars », a-t-il déclaré.
Un test pour la démocratie népalaise
Cette crise marque un tournant dans l’histoire politique récente du Népal. Les archives administratives sont parties en fumée, comme les dossiers de la Cour suprême, et de la Haute Cour de Katmandou, compliquant encore la tâche du gouvernement intérimaire.
Le défi pour Sushila Karki sera de restaurer la confiance des institutions tout en répondant aux aspirations légitimes de la jeunesse népalaise. Son succès ou son échec pourrait déterminer l’avenir démocratique de ce pays enclavé, pris en étau entre ses puissants voisins indien et chinois.
La prochaine échéance électorale du 5 mars 2026 apparaît désormais comme un test crucial pour la stabilité politique du Népal, dans un contexte régional marqué par les tensions géopolitiques entre New Delhi et Pékin. L’héritage que laissera ce gouvernement intérimaire pourrait façonner l’orientation politique du pays pour les années à venir.

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