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Obésité et cerveau : un cercle vicieux entre fringales, inflammation et déclin cognitif

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Photo: Flotsam/Shutterstock

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Durée de lecture: 19 Min.

L’obésité, un fardeau pour le corps… et pour le cerveau

Si les effets physiques de l’obésité sont bien connus, la recherche montre de plus en plus clairement que l’excès de graisse corporelle transforme aussi le cerveau, influençant notre manière de penser, de ressentir et de comprendre.

Ce lien est aggravé par le fait que les aliments très riches en calories et particulièrement savoureux peuvent détourner le système de récompense du cerveau, les rendant presque impossibles à résister.

Un cercle vicieux

La relation entre obésité et cerveau dépasse les simples changements physiques. Elle s’alimente d’un cercle continu et auto-entretenu : certains comportements favorisent la prise de poids, laquelle, à son tour, renforce ces mêmes comportements.

Notre cerveau est programmé pour éprouver du plaisir à consommer des aliments riches en calories — un réflexe évolutif ancien qui nous protégeait autrefois des périodes de famine. Mais dans notre environnement actuel, où la nourriture abonde, ce câblage neuronal devient problématique.

Les aliments riches en sucre, en graisses et en sel provoquent une forte libération de dopamine dans le cerveau, procurant une intense sensation de plaisir et renforçant le désir d’en consommer davantage. Les produits ultra-transformés sont spécifiquement conçus pour surstimuler cette voie de récompense, détournant nos signaux naturels de satiété et rendant plus difficile la perception du moment où nous avons assez mangé.

Des recherches montrent aussi que les personnes obèses ont tendance à prendre plus de risques dans des situations où les conséquences négatives semblent limitées. Cela pourrait expliquer certains choix alimentaires, même lorsque les effets sur la santé sont connus.

À cela s’ajoute le marketing incessant des produits malsains. En moyenne, une personne est exposée à environ 2000 publicités alimentaires par jour, explique au journal Epoch Times le Dr Eric Akin, neurochirurgien qui a lui-même inversé son prédiabète. La majorité de ces publicités concernent des produits très caloriques, pauvres en nutriments et riches en sucre. « Ils vous atteignent à la fois sur le plan subconscient et métabolique, surtout si vous avez mal mangé pendant un certain temps, » observe le Dr Akin. « L’avantage est clairement de leur côté. »

L’obésité perturbe profondément les fonctions exécutives du cerveau, notamment l’autocontrôle. Cette difficulté à résister à la gratification immédiate compromet les choix alimentaires, même lorsque les conséquences à long terme sont connues. Cette altération est en partie liée à un dysfonctionnement du cortex préfrontal, une région clé du cerveau impliquée dans la prise de décision et la maîtrise de soi.

Avec le temps, la suralimentation émousse la réponse du cerveau au plaisir procuré par la nourriture, rendant la satisfaction plus difficile à atteindre. Une étude animale publiée en 2025 dans Nature a montré que les régimes riches en graisses réduisent un neuropeptide associé à la récompense alimentaire, la neurotensine, favorisant ainsi la surconsommation.

Ce « syndrome de déficit de récompense » crée un cercle vicieux : on mange davantage pour retrouver le même plaisir. Pour obtenir la même satisfaction, certaines personnes recherchent des aliments encore plus intenses, souvent plus malsains, renforçant ainsi les comportements alimentaires excessifs et contribuant à la prise de poids.

L’inflammation chronique de bas grade associée à l’excès de graisse corporelle atteint également le cortex préfrontal et en altère le fonctionnement. Cette inflammation rend plus difficile la résistance aux envies de manger. Le déficit cognitif qui en découle conduit à des choix alimentaires encore plus mauvais, aggravant la prise de poids et ses effets sur le cerveau.

Les déséquilibres hormonaux liés à l’obésité amplifient ce cercle. La leptine, hormone libérée par les cellules graisseuses, signale normalement au cerveau que l’organisme a suffisamment mangé. Mais chez les personnes en surpoids, le cerveau devient résistant à la leptine : il ne perçoit plus ces signaux de satiété. Résultat : une sensation constante de faim, un dérèglement du système de récompense et une plus grande propension à trop manger.

La résistance à l’insuline, autre conséquence courante de l’excès de graisse, provoque des fluctuations de la glycémie susceptibles de stimuler l’appétit, notamment pour les aliments sucrés et riches en glucides.

Selon le Dr Akin, le système de la faim et de la satiété du cerveau est extrêmement sensible à l’alimentation. Les pics d’insuline répétés et les chutes de glycémie, souvent causés par une mauvaise hygiène alimentaire, surstimuleraient le centre de la faim, provoquant des envies constantes même lorsque le corps dispose de suffisamment d’énergie.

Quand la graisse modifie le cerveau

L’excès de tissu adipeux peut remodeler le cerveau de plusieurs façons.

Un nombre croissant d’études indique qu’un poids excessif affecte la structure cérébrale. Les personnes en surpoids ou obèses ont en moyenne un volume cérébral total plus faible, ce qui donne l’impression d’un cerveau « vieilli » prématurément.

Une étude publiée en 2019 dans Neurology a montré que la graisse corporelle — surtout abdominale — est liée à une réduction de la matière grise, responsable du mouvement, de la mémoire et des émotions. Les chercheurs ont également observé une diminution du volume dans certaines zones cérébrales impliquées dans le contrôle du comportement et la récompense, des régions associées à la régulation de l’appétit. Reste à savoir si ces altérations précèdent ou découlent de l’obésité.

Une étude publiée en mars dans JAMA a révélé qu’un tour de taille plus faible à la quarantaine est associé à une meilleure structure cérébrale et à un fonctionnement cognitif plus sain à un âge avancé, notamment en matière de mémoire de travail et de fonctions exécutives. Ce lien semble en partie s’expliquer par la santé de la substance blanche du cerveau, dont l’obésité pourrait réduire l’intégrité, perturbant ainsi la communication entre les régions cérébrales.

Ces résultats suggèrent que notre alimentation et notre tour de taille entre 40 et 60 ans peuvent influencer nos capacités de mémoire et de réflexion à 70 ans.

La recherche montre également qu’un flux sanguin cérébral réduit est corrélé à un poids corporel plus élevé, ce qui augmente le risque de déclin cognitif et de démence.

Les effets cognitifs de l’obésité s’entremêlent souvent avec la santé émotionnelle et mentale. Les personnes en surpoids présentent des taux plus élevés d’anxiété, de dépression et de faible estime de soi. Ces états émotionnels altèrent à leur tour l’attention, la mémoire et la concentration, créant une interaction complexe entre santé physique, mentale et cognitive.

« Les preuves émergentes montrent qu’une production d’énergie cérébrale déréglée pourrait contribuer à de nombreux troubles psychiatriques et autres pathologies cérébrales », explique dans un entretien avec Epoch Times le Dr Bret Scher, cardiologue et expert en santé métabolique.

Le Dr Scher estime qu’il existe un lien fort entre dysfonction métabolique et troubles mentaux, un lien de plus en plus étayé scientifiquement.

Il met toutefois en garde contre la tentation de culpabiliser les individus : « Ce n’est pas la faute des gens », dit-il. « Mais savoir qu’en améliorant notre santé métabolique, nous pouvons aussi améliorer notre santé mentale, c’est une source d’espoir. »

La santé mentale, rappelle-t-il, repose sur un équilibre complexe entre la génétique, l’expression des gènes et l’environnement.

Ces effets cérébraux ne concernent pas seulement les adultes : ils peuvent apparaître dès l’adolescence et laisser des traces durables.

Risques pour les enfants

L’enfance est une période cruciale pour le développement du cerveau, notamment dans les zones liées à la mémoire et au contrôle de soi. Durant cette phase, le cerveau grandit rapidement et se montre particulièrement sensible aux influences extérieures. Si cette plasticité facilite l’apprentissage, elle augmente aussi la vulnérabilité aux déséquilibres métaboliques et à l’inflammation chronique liée à l’obésité.

Le Dr Scher alerte : ces dysfonctionnements précoces du métabolisme peuvent perturber le fonctionnement cérébral pendant les étapes critiques du développement, entraînant potentiellement des troubles durables — cognition affaiblie, altération des fonctions cérébrales, voire risque accru de déclin cognitif à l’âge adulte.

Les fonctions exécutives — essentielles à l’apprentissage, à la régulation de soi et à la prise de décision — peuvent être compromises. Ces déficits entravent la capacité d’un enfant à apprendre, à maîtriser ses impulsions (y compris alimentaires) et à planifier.

Certaines recherches indiquent que l’obésité et la résistance à l’insuline précoces peuvent provoquer des modifications épigénétiques irréversibles, altérant l’expression des gènes et favorisant des troubles cognitifs ultérieurs. L’obésité infantile est aussi associée à des taux plus élevés d’anxiété, de dépression et de faible estime de soi, autant de facteurs susceptibles d’entraver les apprentissages et les compétences sociales.

« Je crains qu’une vie entière de résistance à l’insuline ne prédispose les enfants à des troubles psychiatriques, voire à un déclin cognitif précoce », confie le Dr Scher. « Nous avons encore peu de recherches sur ce sujet, mais il semble que nous menions une expérience à grande échelle en temps réel, sous nos yeux. »

Malgré tout, des études suggèrent que les effets négatifs de l’obésité sur le cerveau des enfants peuvent être inversés ou atténués grâce à une perte de poids et à des changements de mode de vie — surtout parce que leur cerveau est encore en développement. La prévention et l’intervention précoce sont donc essentielles.

Briser le cercle

Comprendre les effets délétères de l’obésité sur le cerveau souligne l’importance d’agir pour briser ce cycle, chez l’adulte comme chez l’enfant.

Le lien complexe entre graisse corporelle et fonctions cérébrales peut sembler décourageant, mais la bonne nouvelle, c’est que des changements positifs sont possibles. En comprenant les mécanismes à l’œuvre, il devient possible d’intervenir de manière stratégique.

Des études montrent que perdre du poids — et surtout le maintenir — peut réinitialiser le système de récompense du cerveau. Lorsque la perte de poids s’effectue progressivement et durablement, les envies d’aliments gras ou sucrés diminuent, probablement parce que le cerveau retrouve sa sensibilité aux signaux naturels de satiété et réagit moins aux décharges de dopamine que ces aliments provoquent.

Accorder au cerveau le temps de s’adapter à des habitudes plus saines est crucial pour un succès durable et permet de réapprendre à préférer des aliments plus nutritifs.

Cependant, le Dr Scher rappelle : « L’une des plus grandes idées fausses, c’est que la perte de poids rime forcément avec santé. »

Selon lui, les stratégies doivent viser avant tout l’amélioration de la santé métabolique, la durabilité et le bien-être mental. Il souligne les effets bénéfiques des régimes pauvres en glucides et cétogènes.

Renforcer activement l’autocontrôle face à la nourriture aide aussi à briser le cycle. L’alimentation consciente — c’est-à-dire prêter attention aux signaux de faim et de satiété — augmente la lucidité et limite les prises alimentaires impulsives. Éviter les aliments « déclencheurs » et réduire l’exposition aux produits malsains permettent également de diminuer la tentation.

Adopter une hygiène de vie plus équilibrée — activité physique régulière, alimentation variée — améliore le fonctionnement du cortex préfrontal, la zone clé du contrôle de soi.

« L’autocontrôle devient bien plus difficile lorsque nous consommons des aliments qui stimulent nos centres de récompense sans nous apporter les nutriments et la satiété dont nous avons besoin », rappelle le Dr Scher.

Les régimes pauvres en glucides ou cétogènes réduisent la faim et les fringales, facilitant ainsi le contrôle de soi, ajoute-t-il.

L’activité physique régulière est un levier puissant pour rompre le lien entre obésité et dysfonction cérébrale. Au-delà du contrôle du poids, elle soutient la santé métabolique et cérébrale, notamment la régulation de l’humeur. En réduisant le stress et l’anxiété — souvent à l’origine des envies de « réconfort alimentaire » — et en améliorant la sensibilité à l’insuline, elle contribue à limiter les pics d’appétit et à mieux stabiliser les émotions.

Le Dr Akin souligne que l’exercice intense déclenche une forte libération d’interleukine 10, une molécule anti-inflammatoire bénéfique pour le cerveau, qu’il qualifie de « fontaine de jouvence ». Il recommande particulièrement la musculation, qui favorise une meilleure flexibilité métabolique, surtout avec l’âge. « L’exercice est la meilleure chose que vous puissiez faire pour votre cerveau », insiste-t-il.

Nourrir le cerveau autrement

Adopter une alimentation équilibrée joue un rôle clé dans la stabilisation de la glycémie, ce qui aide à réduire les fringales souvent déclenchées par les produits sucrés et ultra-transformés. Les aliments bruts rassasient plus longtemps et limitent la surconsommation. Des repas réguliers et équilibrés aident à stabiliser les hormones, à apaiser les envies et à rétablir une relation plus saine à la nourriture.

Pour le Dr Scher, les changements alimentaires représentent le facteur le plus déterminant pour soutenir la santé physique, cognitive et émotionnelle. Il recommande de privilégier les aliments entiers et d’éliminer ceux très caloriques et à forte récompense, souvent ultra-transformés.

« Le changement alimentaire le plus marquant consiste peut-être à entrer en cétose », précise-t-il, « car cela fournit au cerveau une autre source d’énergie, les corps cétoniques, capables de contourner la résistance à l’insuline et de rétablir une production énergétique efficace. »

Les effets cognitifs de l’obésité

Si vous craignez que votre surpoids n’affecte vos capacités mentales, le Dr Akin invite à surveiller certains signes : « Si vous avez du mal à faire de simples calculs mentaux, comme déterminer un pourboire de 15 ou 20 %, et que vous devez sortir papier et stylo pour y arriver, c’est peut-être le signe d’un problème. »

Les oublis occasionnels — un prénom, un téléphone égaré — sont normaux et ont de multiples causes, dit-il. Mais des difficultés quotidiennes répétées ou des problèmes de calcul mental à 20 ou 30 ans peuvent révéler un trouble plus sérieux.

Et la relation entre obésité et santé cérébrale est d’autant plus complexe que la graisse corporelle n’est pas toujours un indicateur fiable. Certaines personnes à indice de masse corporelle normal peuvent aussi présenter des altérations cognitives. D’où l’importance de rester attentif aux signaux subtils et de faire un bilan biologique, quel que soit le chiffre sur la balance.

« Les conséquences cognitives ne sont pas forcément liées au surpoids lui-même, mais plutôt à la dysfonction métabolique qui l’accompagne », souligne le Dr Akin.

Quant à savoir si la perte de poids peut restaurer les capacités cognitives, le Dr Akin reste prudent mais optimiste :

« Comme toujours, il existe un point de non-retour », dit-il. « Mais il y a aussi une vraie capacité de récupération. Beaucoup constatent une nette amélioration de leurs fonctions cognitives dès qu’ils changent enfin leur comportement et leurs habitudes alimentaires. »

Jennifer Sweenie est une journaliste spécialisée dans la santé basée à New York. Elle est praticienne en thérapie nutritionnelle et chef de cuisine formée en faveur de la santé et axée sur la nutrition fonctionnelle et le pouvoir des aliments naturels et entiers. Jennifer siège au conseil d'administration de Slow Food NYC et est une ancienne membre du conseil d'administration de la Farm-to-Consumer Foundation.

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