« On crée une énorme tromperie où des gens se croient compétents grâce à l’intelligence artificielle » selon l’écrivain Oskar Freysinger

Par André Costa, NTD
30 octobre 2023 10:39 Mis à jour: 15 avril 2024 12:53

Les résultats scolaires des étudiants français sont au plus bas, pour preuve le classement PISA qui montre que les résultats de la France sont en train de dégringoler. Afin d’identifier les causes de cette catastrophe, NTD s’est entretenu avec Oskar Freysinger, ancien enseignant, ancien député et conseiller d’État suisse, écrivain.

NTD : Il y a actuellement une baisse générale du niveau scolaire en France mais aussi en Suisse. Selon vous, quelles sont les causes de ce phénomène ?

OSKAR FREYSINGER : Les causes sont très simples. En forçant l’inclusion d’élèves d’horizons disparates, que ce soit au niveau des handicaps, que ce soit au niveau de de leur provenance ou des connaissances linguistiques, il se crée une sorte d’énorme melting-pot dans les classes, ce qui détruit la cohésion du groupe.

Pour travailler en commun, les élèves doivent avoir plus ou moins le même niveau. Quand vous avez des disparités énormes entre des élèves qui ne savent pas deux mots de français et ceux qui le maîtrisent parfaitement bien, comment le professeur veut-il arriver à un enseignement qui soit plus ou moins cohérent ? Il se sent dépassé et se voit contraint de pratiquer une sorte de domptage s’il veut calmer le jeu. J’ai souvent assisté à des situations de classe de ce type, lors d’échanges scolaires en tant qu’enseignant ou de visites en tant que conseiller d’État et je vous jure que c’est déprimant.

L’enseignent ne parvient plus du tout à réaliser ce à quoi l’école est prédestinée, c’est-à-dire à transmettre un certain savoir et des compétences. Pour moi, les compétences, ça consiste à travailler son livret ou ses gammes. Même Mozart, pour devenir le grand musicien qu’il fut, a dû travailler ses gammes. Les compétences, ça s’acquiert par un travail régulier et assidu. De nos jours, les exigences se limitent de plus en plus aux compétences sociales. Il faut être gentil, il faut être tolérant, il faut être ouvert. Mais ce sont des choses qui vont de soi lorsque l’éducation d’un enfant se passe bien. Si les parents éduquent correctement leurs enfants, le comportement social ne pose pas de problème, il ne doit même pas être thématisé, il coule de source.

Dans une société intacte, les parents éduquent leurs enfants à être sociables, puis l’école s’inscrit dans la continuité de l’éducation parentale. Or, de nos jours, l’école met à tel point l’accent sur les compétences sociales qu’elle néglige l’acquisition d’un savoir et de compétences élémentaires. De ce fait, l’enfant n’apprend pas à maîtriser correctement l’écriture et la lecture. Ces deux piliers sont négligés – tout autant que le calcul élémentaire – parce qu’en transformant la salle de classe en fourre-tout d’élèves ayant des niveaux extrêmement disparates, le processus d’apprentissage est ralenti, le programme est bâclé et les exigences sont baissées au nom d’un concept d’égalité erroné.

Pourtant, les lettres et les mathématiques sont les deux piliers sur lesquels se construit le savoir. Si vous ne savez pas écrire, comment voulez-vous accéder à la connaissance ? Même problème pour les sciences naturelles, si vous ne savez pas compter. Cette dérive s’accentue d’année en année. J’ai quitté l’enseignement il y a environ 10 ans et n’y suis plus retourné après la fin de mon engagement politique, car ce n’était plus le même métier qu’auparavant. Je n’avais aucune velléité à devenir dompteur et ne voulais pas perdre mon énergie dans un combat perdu d’avance, puisque chaque réforme scolaire aggravait la situation au lieu d’y remédier.

Pourquoi ? Parce que les hiérarchies scolaires et le système politique lui-même induisent cette décrépitude de l’école publique. C’est à croire qu’ils trouvent de l’intérêt à produire un maximum d’idiots pour pouvoir mieux les manipuler par la suite.

S’ajoute à tout cela un élément qui est exogène au système scolaire et à la classe, c’est l’influence de l’image mobile, du portable, des jeux vidéo, des réseaux sociaux etc. Cette dérive se démultiplie actuellement à travers l’intelligence artificielle (IA) qui permet à des idiots de croire qu’ils sont intelligents, parce qu’un mécanisme externe rédige et travaille pour eux. Cela empêche toute créativité, toute individualité. On se complait dans une énorme tromperie où les gens se croient compétents parce qu’il y a un instrument qui fait les choses à leur place.

Tenir un discours improvisé, individualisé et critique, pouvoir répondre aux défis du quotidien en utilisant son propre cerveau, voilà les prérequis de l’affranchissement selon Kant et les autres penseurs du siècle des Lumières. Or, tout ça passe actuellement à la poubelle. Le système qui est en passe d’être mis en place pense, écrit et calcule pour vous, il va te donner tous les moyens qu’il te faut pour compenser ton ignorance, à condition que tu sois socialement compatible, c’est-à-dire que tu te conformes à la pensée commune du dogme dominant. Voilà l’inquiétante évolution du système éducatif européen.

Sur le fait de mélanger des élèves de différents niveaux, on a vu des réfugiés ukrainiens intégrés dans des classes normales. Quelles seraient, selon vous, les manières de pallier ce problème ?

Dans le temps, lorsqu’une personne venait d’ailleurs et qu’elle avait un déficit linguistique ne lui permettant pas de suivre les cours normaux, elle était intégrée dans une classe palier, où elle était spécifiquement stimulée à acquérir les compétences linguistiques qui lui permettaient ensuite, après une année ou deux – selon l’évolution de l’élève en question – d’intégrer les classes régulières. Il existait donc une phase de transition, un SAS qui lui permettait de progresser rapidement dans l’acquisition des connaissances et de ne pas handicaper les autres par son incapacité à s’exprimer et à comprendre. Il suffit d’un peu de bon sens pour réaliser que ce mode de faire n’est pas discriminatoire du tout et qu’il favorise l’intégration par l’élévation et non par le nivellement. C’est une chance pour l’élève allophone. Or, l’inclusion immédiate à tout prix et sans prérequis crée plus de problèmes qu’elle n’en résout et génère un chaos dans les classes.

Parlons maintenant de la pédagogie et de sa mue artificielle en science exacte qui est devenue le problème numéro 1 de l’éducation en Occident. Or, la pédagogie n’est pas une science exacte et ne doit pas être considérée comme telle. Car si elle est pratiquée comme une science exacte, n’importe quel élève devient un objet scientifique, puisque la science ne connaît que des objets à analyser, étudier et transformer. Cependant, un élève autiste ou non, handicapé ou non, est d’abord un individu avec sa logique propre, avec ses droits individuels et sa dignité inaliénables. Vous ne pouvez donc pas le soumettre à une théorie abstraite et en faire un objet d’expérimentations diverses.

Il fut un temps où le domaine médical considérait les êtres humains comme des cobayes. Cette triste époque risque de revenir par la petite porte. Si vous considérez que le rapport entre un enseignant et un élève est une science exacte, l’élève sera déshumanisé en devenant l’objet d’une démarche scientifique. Cela ouvre la porte à toute sorte d’expérimentations, comme ce fut le cas dans les systèmes éducatifs occidentaux ces dernières années.

Prenons un exemple : ce sont actuellement des Drag Queens qui sont engagées pour faire la lecture aux enfants. Pourquoi précisément des Drag Queens ? Ce qui compte, ce n’est pas l’orientation sexuelle du lecteur, mais que le texte soit de valeur et bien lu. D’un point de vue littéraire, que le lecteur masculin soit habillé en femme, qu’est-ce que ça vient faire là ? Mais voilà, dans le monde moderne, c’est la forme qui est essentielle et non plus le contenu, c’est le lecteur qui prime sur la lecture. Ceci est une tendance générale parce que toute la société subit un appauvrissement linguistique, et cela non seulement au niveau de la lecture.

Selon vous, est-ce qu’il y a un moyen de remonter la pente ?

Il faut absolument mettre fin au nivellement par le bas. Pour cela, il faut recréer des classes avec une certaine cohérence, des niveaux plus ou moins homogènes qui permettent d’avoir des exigences crédibles. Une classe ne sera jamais totalement homogène, mais il faut aller dans le sens d’une certaine homogénéité. Ensuite, il faut réintroduire les grands classiques dans les manuels scolaires et les cours. Quel est l’avantage des grands classiques ? Qu’apportent les romans de Stendhal, Victor Hugo et Proust à l’esprit humain ? En dehors du facteur poétique, c’est surtout le monologue intérieur, parce qu’il va permettre à l’élève de lire les pensées des personnages, pensées qui ne sont pas perceptibles dans la réalité vécue. Cette technique littéraire lui fait comprendre que les paroles, la mimique et la gestuelle d’un individu ne correspondent pas nécessairement à ses pensées.

Ainsi, l’élève sera moins facilement manipulable dans la réalité vécue. C’est une très belle leçon de vie. Il y a aussi tout le travail sur la communication que permet d’effectuer la poésie. Apprendre par cœur un poème, cela permet de l’appréhender vraiment, puis de le déclamer de manière convaincante. Un poème bien dit permet de toucher l’auditoire, à lui faire ressentir le côté esthétique du langage. Un poème de Baudelaire, Rimbaud ou Verlaine, c’est beau, ça touche l’âme, ça exprime quelque chose qui dépasse le simple quotidien et sa banalité. Il faut redonner aux jeunes l’envie de découvrir ce monde-là.

C’est pour cela que je préconise de limiter le plus longtemps possible l’accès à internet aux tout-petits. Il faut d’abord qu’ils apprennent à utiliser leur propre « ordinateur », c’est-à-dire leur cerveau, car on ne peut pas faire travailler un ordinateur si on n’y a pas mis d’informations au préalable. On ne peut pas se contenter de dire « Google sait tout ». Il faut être capable de réfléchir in situ face à des individus particuliers, et pour cela, il faut avoir nourri son ordinateur personnel de connaissances, d’expériences et d’erreurs commises qui nous donnent des clés pour affronter le monde réel. Je ne suis pas contre la technologie, mais chaque chose doit rester à sa place. La technologie est un outil, un moyen ce n’est pas un contenu se suffisant à lui-même.

L’essence de la connaissance est en nous, dans notre cœur. L’ordinateur, lui, n’a pas de cœur. Or, c’est cette dimension que nous devons préserver. Quelque part, nous sommes en train de créer des handicapés, non seulement en termes d’intelligence et d’émotions, mais aussi en termes d’expérience de vie.

Je suis convaincu qu’il faut laisser les enfants jouer le plus longtemps possible, car l’enfant crée un monde à lui, il est capable de recréer un monde à travers son jeu. Lorsque j’écris des poèmes, je me sens comme un enfant qui joue. Que ce soit en utilisant les mots, des Lego ou de la pâte à modeler, le principe est le même. Cette innocence et cette joie de pratiquer le jeu du savoir et des mots, voilà le paradis perdu, voilà ce que nous avons malheureusement sacrifié sur l’autel des prétendues sciences pédagogiques.

D’ailleurs, de nos jours, plusieurs scientifiques en neurosciences alertent sur les dangers liés aux écrans mais aussi au manque de lecture. Avez-vous aussi fait ce constat ?

Ayant publié 25 livres en français et en allemand, je fais beaucoup de lectures publiques. Récemment, j’ai commencé à publier en anglais. Or, 80 à 90 % de mes lecteurs sont des femmes. Les femmes lisent des romans, les hommes beaucoup moins. Les hommes liront ce dont ils ont besoin pour le travail, des manuels ou des journaux. J’ai donc relativement peu d’hommes qui assistent à mes soirées. C’est dommage et c’est grave. On en revient presque à Madame Bovary, qui, au contraire de son mari Charles, lisait trop de romans. Les femmes actuelles lisent encore, les hommes de moins en moins, en raison du système éducatif.

Comment expliquez-vous cela ?

Cela s’explique en partie par le fait que les filles vivent la période de la puberté un peu plus tôt que les garçons. Or, c’est à ce moment que s’établissent les bases pour la vie professionnelle. Les garçons ont du mal à suivre les cours, les filles sont souvent plus studieuses. Elles s’adaptent plus facilement à la construction du savoir proposé par le système scolaire. Les garçons, en revanche, y sont moins enclins à cette étape de leur évolution.

Pour moi, l’éducation devrait être avant tout un apprentissage de la vie en commun, de la communication entre êtres humains. Transformer cela en une science exacte est une erreur. En parlant d’humain à humain, la relation est simplifiée : c’est une question de cœur d’abord, puis de cerveau qui communique avec un autre être humain qui est un égal – bien que le maître détienne bien plus de compétences et d’informations. Cela lui donne de l’autorité dans le processus d’apprentissage, mais rien de plus. Du point de vue humain, c’est une relation d’égal à égal, un échange entre deux intelligences.

Mépriser les élèves ou les considérer comme des objets scientifiques a conduit à la situation actuelle. La haine du « socialisme scientifique » envers la nature est surtout motivée par le fait que la nature ne repose pas sur le principe d’égalité. De plus, la nature impose des limites aux désirs prométhéens du socialisme tentant d’imposer le concept de l’homme-Dieu. Les lois de la physique et de la nature entravent ce grand projet. D’où une haine de la nature qui conduit le socialisme à nier tout aspect naturel de l’être humain qui, selon les socialistes, n’est qu’une feuille blanche (a blank sheet) à sa naissance. Ensuite, c’est la société qui le forme, le manipule et le formate.

Vous évoquez des lectures de Drag Queen et l’influence croissante de la gauche, voire de l’extrême gauche, dans le système éducatif. Pourquoi pensez-vous que ces éléments sont intégrés à l’école et quel est leur objectif ?

Il y a actuellement une tendance à sexualiser très tôt les enfants, et cela ne date pas d’hier. Dans les années 1980, les Verts, par exemple, promouvaient déjà cette idée. L’objectif était de susciter le désir sexuel le plus tôt possible, de créer des incertitudes quant au rôle traditionnel des parents. On ne parle plus de papa et maman, mais de parent un et de parent deux. De plus, on ne peut plus être sûr du genre d’une personne.

Cette complexité crée de la confusion chez les enfants, car à la maison, les parents leur disent souvent des choses différentes de ce qu’ils apprennent à l’école. D’où une incertitude grandissante dont la tête des enfants. Cela va au-delà d’une simple question de genre, ça concerne la nature en général. Pourquoi le socialisme déteste-t-il la nature ? Parce que la nature ne se conforme pas au principe d’égalité. En outre, la nature lui impose des limites et empêche ainsi l’avènement de l’homme-Dieu. Par conséquent, le socialisme n’aime pas l’idée que quelque chose de naturel soit inhérent à l’être humain à la naissance. Pour les socialistes, un individu naît comme une feuille blanche, puis il doit être façonné selon leur idéal communautariste. Cette démarche est problématique, car elle néglige les réalités fondamentales de l’existence humaine.

Pour ma part, j’ai eu 3 enfants, et maintenant je m’occupe de 4 petits-enfants. Chacun de ces enfants est tout sauf une feuille blanche à la naissance. Dès le départ, chacun a son propre caractère et ses particularités. Tout est déjà présent et ne demande qu’à éclore. Il y a des aspects mystérieux dans le nouveau-né qui d’emblée échappent à tout contrôle. Il est stupide de contraindre une petite fille à jouer tout le temps avec des camions ou un petit garçon à ne jouer qu’avec des poupées. Mettez différents jouets à la disposition de deux enfants de sexe différent, et vous constaterez des tendances évidentes, sans que la moindre manipulation ait eu lieu.

Hélas, notre société actuelle ne se limite pas à créer des lois de plus en plus pédantes pour garantir le droit d’ultra-minorités de plus en plus complexes. Ceci n’est qu’un moyen servant l’objectif majeur qui consiste à détruire le modèle homme-femme et par là même la famille traditionnelle. Il s’agit d’isoler au maximum les individus pour les façonner selon une certaine idéologie.

Le totalitarisme n’est pas mort, il a simplement revêtu de nouveaux habits. Dans sa forme ultra-répressive à la Staline et à la Hitler, il ne fonctionne plus vraiment. C’est pourquoi, de nos jours, le totalitarisme se gausse de termes tels que « tolérance », « ouverture », et « vivre ensemble ». En réalité, ce n’est pas du tout le vivre ensemble qui intéresse les dirigeants, mais le contrôle des individus obtenu grâce à une auto-censure habilement suggérée.

Et en ce qui concerne l’éducation, nous l’avons abandonnée dans les années 60 aux mains de la gauche. Nous leur avons laissé des domaines tels que le social, l’éducation, la culture, les arts et les médias. Pendant ce temps, la droite s’est concentrée sur les affaires, les sciences et d’autres sujets « sérieux ». Ce fut une grave erreur. Les quatre domaines que nous avons abandonnés à la gauche sont ceux où il est le plus facile de manipuler les individus et de les influencer en exploitant leur vulnérabilité. Le système social, la santé, l’éducation, et ainsi de suite, ce sont des domaines qui permettent de façonner (manipuler) les esprits. La droite doit reprendre le contrôle de ces domaines, il faut absolument mettre un frein à la dérive gauchiste des enseignants.

Actuellement, 90 % d’entre eux penchent à gauche. La situation est la même pour les journalistes, les auteurs, et ainsi de suite. Il y a très peu d’auteurs de droite, et ceux qui défendent des points de vue polémiques risquent de se heurter à des obstacles insurmontables. Pour ma part, j’ai enfin trouvé un éditeur sérieux pour publier mes derniers trois ouvrages en langue française. Cet éditeur fait preuve de courage, car beaucoup d’éditeurs craignent de publier des livres écrits par des personnes ayant un passé politique tel que le mien. Ils craignent d’attirer des critiques virulentes et des réactions négatives, en particulier de la part des musulmans en raison de mon engagement passé contre la construction de minarets en Suisse. Nous devons restaurer ce courage, car sans lui, notre civilisation est vouée à sombrer.

Parlons maintenant de la discipline. Autrefois, il existait des règles strictes à l’école, cependant, aujourd’hui, nous semblons aller vers l’extrême opposé. Pensez-vous que restaurer la discipline pourrait contribuer à rétablir une certaine cohérence entre les enseignants et les élèves ?

Pour répondre à cela, je dirais que la discipline repose sur la maxime « Ora et labora » (prie et travaille, ndr). J’ajouterais que la prière est tout aussi importante que le travail et que celui-ci, au fond, est une sorte de prière, d’offrande au Dieu créateur. Le travail exige de la rigueur, de la concentration, une sorte d’abandon actif. En Suisse, nous avons un système dual au niveau de l’apprentissage. L’on y apprend que pour accomplir un travail de qualité, il faut suivre certaines règles. Il faut nettoyer le chantier à la fin, respecter des normes strictes, et l’école fonctionne sur le même principe. Écrire proprement, dater sa copie en haut à droite etc., ce formalisme est éducatif, car il offre un cadre au sein duquel l’intelligence propre de l’élève peut s’exprimer. Lorsque vous écrivez une rédaction, vous appliquez une structure formelle, avec une introduction, un développement, et une conclusion. Cette structure rappelle la forme sonate que l’on retrouve dans la musique et dans la nature. Les plantes et même notre corps fonctionnent sur cette base naturelle qui met de l’ordre dans la création humaine. Insister sur ce point me semble important.

Pour ma part, j’ai enseigné pendant 30 ans et n’ai jamais eu besoin de punir un élève. La discipline se mettait en place naturellement. Pourquoi ? Parce que j’établissais mon autorité sur la qualité de mon enseignement. Vous gagnez en autorité grâce à vos connaissances et vos compétences tant humaines que techniques, et les élèves en sont conscients.

J’ai personnellement vécu une expérience privilégiée avec un professeur qui m’a inspiré à poursuivre des études universitaires. Ses cours furent une révélation. J’avais alors 18-19 ans et il m’a ouvert le monde de la littérature qui a nourri toute ma vie. Sans lui, je ne serais jamais allé à l’université. Ses analyses littéraires, ses commentaires sur l’histoire, tout ça m’émerveillait. Je me suis promis d’atteindre un jour ce niveau d’analyse.

Lorsque vous avez des enseignants capables de susciter de la passion, vous avez moins de problèmes disciplinaires, car vos ouailles sont captivées et vous suivent naturellement. L’enseignant doit éveiller un enthousiasme chez les élèves afin qu’ils puissent surmonter une certaine inertie initiale. Nous sommes tous un peu paresseux au départ, et l’enseignant doit aider à vaincre cette paresse pour ensuite guider les élèves sur le chemin gratifiant de l’apprentissage, un chemin qui élève l’esprit.

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Une chose peut-être : Lors de la lecture, l’esprit imagine un monde extraordinaire à partir de signes cabalistiques noirs sur une page blanche. L’interaction entre votre esprit et les mots crée un monde unique et magique. C’est pourquoi deux personnes qui ont lu le même livre auront des discussions complexes, nuancées, car chacun a imaginé le texte à sa manière. Pour communiquer, ils doivent d’abord définir leur cadre de référence respectif, ce qui est différent de la communication entre deux personnes qui ont regardé le même film et ont donc vu les mêmes images. Dans ce cas, le rappel succinct de certaines scènes suffit pour communiquer.

La lecture est essentielle pour la formation de l’esprit humain, et j’en suis un fervent défenseur. Vous ne pouvez pas être un écrivain de qualité sans être un grand lecteur. C’est identique pour la musique. Mozart a été poussé à l’excellence par son père Leopold, qui était très exigeant. Cela ne s’est pas produit du jour au lendemain, et c’est un principe qui s’applique à tous les domaines. Aujourd’hui, avec l’avènement de la postmodernité, on assiste à une déconstruction totale. Certains philosophes (Derrida, Foucault) ont prétendu que la construction en elle-même est néfaste et que la déconstruire ne sert pas à reconstruire autre-chose. Pour eux, la déconstruction est un objectif en soi, visant à garantir une totale liberté de l’individu. Cela a engendré un changement de paradigme en occident que je n’aurais jamais cru possible il y a quatre ans (avant le Covid et les guerres récentes). Restons attentifs, car cette manière de pensée est funeste.

Je crois en l’humanité et en son désir d’explorer le monde et de s’épanouir à travers cette exploration. Notre civilisation a accompli des choses extraordinaires que nous devons préserver. Il nous reste de de vastes domaines d’exploration, en particulier dans la compréhension de l’être humain. Éduquons correctement nos enfants dès le début pour éviter de devoir apporter des corrections par la suite, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Un bon départ dans la vie évite le psychiatre à l’adolescence.

Je conclurai cette interview par la phrase suivante : n’utilisons jamais les êtres humains comme un moyen mais toujours comme une fin en soi et continuons à apprendre, à chercher et à explorer afin de préserver l’essence de notre civilisation.

Propos recueillis par André Costa

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