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« On nous demande de remplir des tableaux Excel, alors que notre mission est avant tout de soigner », alerte le docteur Arnaud Chiche

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Photo: Crédit photo - Arnaud Chiche

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Durée de lecture: 9 Min.

ENTRETIEN – Le collectif Santé en Danger dirigé par le docteur Arnaud Chiche appelle tous les professionnels de santé à participer à la marche blanche du 4 octobre. L’objectif ? Obtenir la « sanctuarisation » des budgets santé alors que le plan d’économies présenté dans le cadre du budget 2026 en juillet par François Bayrou prévoyait notamment un effort d’environ 5,5 milliards d’euros sur la santé.

Arnaud Chiche est médecin anesthésiste-réanimateur à la polyclinique d’Hénin-Beaumont et fondateur du collectif Santé en Danger. Année après année, les réponses institutionnelles ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux de santé, déplore-t-il.
Epoch Times – Arnaud Chiche, Pourriez-vous revenir en détail sur l’objet de la marche blanche du 4 octobre ? S’agit-il de lancer un cri d’alarme sur l’état de notre système de santé ?
Oui, tout à fait. Nous sommes tous témoins de la dégradation de notre système de santé, que ce soient les professionnels de santé ou les Français de manière générale.
Il y a un véritable consensus sur l’état de dégradation avancée de ce dernier.
Ensuite, cela fait des années que le collectif Santé en Danger alerte les tutelles sur les manques et les difficultés d’accès aux soins des Français. Ces manques et ces difficultés se traduisent notamment par le phénomène des déserts médicaux, ce qui concerne entre 7 et 10 millions de Français, par la fermeture de services d’urgences ou encore par des disparitions d’équipes de SMUR dans certains territoires.
Malheureusement, nous constatons, année après année, que les réponses institutionnelles ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux. Et ce, probablement pour plusieurs raisons.
Je pense qu’il y a une méconnaissance du diagnostic. À chaque fois que nous échangeons avec des personnes en responsabilité et que nous énonçons des évidences, la suite ne se traduit jamais par des mesures concrètes et efficientes.
Ensuite, il y a comme un blocage. Ce blocage s’explique certainement par la situation économique du pays, mais je pense surtout par l’immobilisme des hauts fonctionnaires en charge de la santé, qui ne sont, par définition, pas concernés par les alternances politiques. Et comme ils ne sont pas concernés, ils ne prennent pas en compte le diagnostic.
Enfin, le sujet du poids de l’administration dans le budget de la santé n’est jamais pris à bras le corps par nos dirigeants.
Pourtant, aujourd’hui, nombreux sont ceux qui soulèvent ce problème, je pense notamment à l’ancien ministre Jean-Louis Borloo, mais aussi des institutions prestigieuses comme la Cour des comptes qui a publié un rapport au mois de mai sur la « situation financière de la Sécurité sociale ».
Il faut bien se rendre compte que le poids de l’administration représente entre 29 et 34 % du budget de la santé en France contre 20 % en Allemagne. Ce qui représente au minimum 10 milliards par an de Delta.
Personne n’ose en parler parce que vous imaginez bien que l’administration a tendance à se protéger.
Nous autres, organisations syndicales, tentons de faire passer le message. Nous avons été reçus à l’Élysée, auditionnés par les sénateurs, organisé des congrès, mais l’essai n’est jamais transformé.
Et les 5,5 milliards d’euros d’économies dans la santé annoncés par François Bayrou en juillet ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
C’est la raison pour laquelle j’ai lancé un appel à la participation à une marche blanche à l’ensemble de mes confrères, peu importe leur corporation et leurs revendications.
Je sais que malgré nos divergences, nous pouvons tous nous rassembler sur un mot d’ordre : la sanctuarisation des budgets santé afin de permettre de continuer à faire de la santé publique en France.
La pandémie du covid 19 a mis en lumière les failles de notre système, mais malgré la crise sanitaire, il n’y a pas eu de grandes politiques menées en termes de santé…
Exactement. La pandémie a pourtant été un formidable exercice de diagnostic, mais il n’y a jamais eu de retour d’expériences. Il est triste de constater que même cette crise sanitaire ne leur a pas fait prendre conscience du problème.
Par ailleurs, je note que l’argent du « quoi qu’il en coûte » n’a pas été utilisé pour rénover notre système de santé alors qu’il représente le bouclier sanitaire des Français.
Quelles mesures, voire réformes, permettraient de le rendre à nouveau efficace ? Réduire le poids de l’administration ?
La réduction du poids de l’administration est essentielle. Je ne veux pas faire de « fonctionnaire bashing » ou avoir une approche caricaturale de la chose, mais ce débat ne doit pas être évité.
En outre, je crois que la priorité absolue reste celle du manque criant de médecins et d’infirmières.
Ainsi, n’hésitons pas, par exemple, à sortir le concours infirmier de Parcoursup, qui est une catastrophe pour l’orientation des jeunes.
Il faut aussi revenir sur le numerus apertus. Je suis d’ailleurs heureux que le ministre Yannick Neuder nous ait écoutés sur ce point.
Ensuite, nous devons à tout prix réduire le nombre de patients par soignant. Et là encore, je me réjouis que l’Assemblée nationale ait adopté en janvier une loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé. C’est simplement du bon sens.
Comment se matérialise ce poids de l’administration dans le quotidien d’un médecin et des autres professionnels de santé ?
On nous demande de remplir des procédures et des tableaux Excel sur la manière de soigner, de rendre des comptes alors que notre mission est avant tout de soigner.
Il y a également beaucoup d’injonctions d’organismes comme les Agences régionales de santé : on nous dit de faire des économies sur tel ou tel matériel sans prise de contact sur le terrain.
Je pense que les ARS devraient davantage se concentrer sur les besoins des territoires en termes de santé au lieu d’entraver notre travail au quotidien.
Le sujet de la rationalisation de ces agences s’impose plus que jamais aujourd’hui.
Vous dénoncez aussi régulièrement l’objectif de la rentabilité…
Nous remontons ici à l’origine du problème, notamment quand les hauts fonctionnaires ont décidé que l’hôpital devait être rentable et puis l’arrivée de la tarification à l’acte en 2004.
À partir du moment où on conditionne des budgets à une certaine activité, cela ne peut que mener à la catastrophe. Cette politique a entraîné une baisse des dépenses et donc une diminution du nombre de soignants. Les soignants sont toujours la variable d’ajustement de cette logique comptable.
Comment interprétez-vous le très probable départ de François Bayrou le 8 septembre ?
Nous allons perdre. Yannick Neuder, probablement le meilleur ministre de la Santé de ces dix dernières années. Il avait compris nos problèmes.
J’espère que le successeur de monsieur Bayrou sera suffisamment lucide pour se rendre compte de l’excellent bilan de Yannick Neuder et qu’il nommera une personnalité qui poursuivra sa politique.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.