« On travaille comme des animaux » : dans le vaste système de travail forcé des prisons chinoises

Par Eva Fu et Cathy He
28 août 2020 05:11 Mis à jour: 28 août 2020 08:11

Pendant trois ans, par intermittence, Li Dianqi a travaillé environ 17 heures par jour dans une prison chinoise fabriquant des vêtements bon marché, du soutien-gorge au pantalon. Elle travaillait sans rémunération et risquait d’être punie par les gardiens de prison si elle ne respectait pas les quotas de production.

Une fois, une équipe d’environ 60 travailleurs qui n’atteignait pas son quota a été contrainte de travailler pendant trois jours d’affilée, sans pouvoir manger ni aller aux toilettes. Les gardiens administraient des décharges électriques aux prisonniers chaque fois qu’ils s’assoupissaient.

Mme Li a décrit la prison, la prison pour femmes du Liaoning, située dans la ville de Shenyang au nord-est de la Chine, dans la province du Liaoning, comme « un endroit où les humains ne peuvent pas rester ».

« Ils vous arrêtent et vous font travailler. Vous mangez de la nourriture qui n’est pas meilleure que celle des porcs et vous travaillez comme des animaux », a déclaré Mme Li.

Mme Li, aujourd’hui âgée de 69 ans et vivant à New York, a été emprisonnée dans cet établissement de 2007 à 2010 pour refuser d’abandonner sa croyance dans la pratique spirituelle du Falun Gong. Le régime chinois a maintenu une vaste campagne de persécution contre le Falun Gong depuis 1999, quand la popularité de cette pratique a grimpé en flèche pour atteindre environ 100 millions de pratiquants, selon les estimations officielles.

En plus des vêtements, la prison fabriquait toute une série de produits destinés à l’exportation, des fleurs artificielles aux cosmétiques en passant par les jouets d’Halloween.

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Mme Li n’était qu’un petit rouage dans la machine tentaculaire du travail carcéral en Chine, produisant des produits bon marché pour les distribuer dans la chaîne d’approvisionnement mondiale.

Les pratiques du régime chinois en matière de travail forcé ont fait l’objet d’un nouvel examen en raison des mesures prises ces derniers mois par les douanes américaines contre les importations de produits fabriqués avec de la main-d’œuvre carcérale chinoise. Depuis septembre 2019, le service américain des douanes et de la protection des frontières (CBP) a donné quatre ordres d’immobilisation contre des entreprises chinoises, interdisant l’entrée de leurs marchandises dans le pays.

La saisie par le CBP en juin de 13 tonnes de produits capillaires provenant de la région du Xinjiang, au nord-ouest du pays, a mis en lumière les Ouïghours et d’autres minorités musulmanes, qui sont soumis au travail forcé dans le cadre de la campagne de répression du régime. La pression s’est également accrue sur les marques internationales de vêtements pour qu’elles coupent les liens avec les usines du Xinjiang, en particulier depuis que des chercheurs ont découvert en mars dernier que des dizaines de milliers de Ouïghours avaient été transférés dans des usines de toute la Chine dans des conditions qui laissent penser qu’ils sont soumis au travail forcé. Ces usines fabriquaient des produits pour 83 marques mondiales.

La prison et le travail forcé sont « quelque chose qui a infecté la chaîne d’approvisionnement en Chine », a déclaré Fred Rocafort, un ancien diplomate américain qui travaille maintenant pour le cabinet juridique international Harris Bricken. Fred Rocafort a passé plus de 10 ans à travailler comme avocat spécialisé en droit commercial en Chine, où il a mené plus de 100 audits d’usines pour vérifier si elles protégeaient la propriété intellectuelle des marques étrangères qu’il représentait et, dans certains cas, pour vérifier si elles avaient recours au travail forcé.

« C’est un problème qui existe depuis bien plus longtemps que la crise actuelle des droits de l’homme au Xinjiang », a déclaré M. Rocafort.

Il a ajouté que les entreprises étrangères sous-traitaient souvent leur fabrication à des fournisseurs en Chine, qui passaient alors des contrats avec des entreprises ayant recours au travail forcé, ou directement avec les prisons.

« Si vous êtes directeur d’une prison en Chine, vous avez accès à de la main-d’œuvre et vous pouvez proposer des prix très compétitifs au fournisseur chinois », a déclaré M. Rocafort.

Il a ajouté que les marques étrangères n’ont jamais consacré beaucoup d’énergie à examiner leurs chaînes d’approvisionnement chinoises à la recherche de travail forcé, mais que la prise de conscience croissante au fil des ans a permis certains progrès. Malgré cela, les entreprises internationales rencontrent des obstacles considérables pour accéder à des informations précises sur les pratiques de travail de leurs fournisseurs et des fournisseurs de leurs fournisseurs. Un « manque de transparence s’étend à toute la chaîne d’approvisionnement », a-t-il déclaré.

Une entreprise criminelle

Mme Li a déclaré que la prison pour femmes de Liaoning était divisée en plusieurs unités de travail, chacune composée de centaines de détenues. Mme Li se trouvait dans l’unité de prison n° 10, où les détenues étaient obligées de fabriquer des vêtements de 7 h à 21 h tous les jours. Après cela, chaque détenue devait fabriquer environ 10 à 15 tiges de fleurs artificielles. Mme Li ne finissait généralement pas avant minuit. Celles qui étaient plus lentes – surtout les personnes âgées – restaient parfois debout toute la nuit pour finir le travail, selon Mme Li.

« Les prisons chinoises sont un véritable enfer », a-t-elle dit. « Il n’y a pas une once de liberté individuelle. »

Mme Li se souvient encore de l’odeur âcre générée par une autre unité de la prison qui fabriquait des cosmétiques destinés à la Corée du Sud. L’odeur de brûlé et la poussière qui imprégnaient le plancher de production rendaient les détenues qui faisaient ce travail essoufflées et étaient la source de plaintes constantes – bien qu’elles devaient éviter que les gardes ne les entendent, sinon elles se faisaient battre, a dit Mme Li.

Une fois, elle a entendu une conversation entre des gardiens de prison, au cours de laquelle elle a appris que la prison « louait » chaque détenue au bureau provincial de la justice à un prix d’environ 10 000 yuans (1 228 €) par tête et par an.

À un moment donné, lors d’une réunion à l’échelle de la prison, le directeur a exhorté tout le monde à « travailler dur », car « la prison va grandir et s’agrandir », a déclaré Mme Li.

La prison a également fabriqué des décorations de fantômes pour Halloween en très grande quantité pour l’exportation. Mme Li a dû épingler un tissu noir autour des fantômes avec un fil de fer. Plus tard, elle a vu le même genre de décoration à la porte d’un appartement en se promenant dans un quartier de New York aux alentours d’Halloween.

Au fil des ans, des notes apparemment écrites par des prisonniers chinois, et cachées dans des produits, ont été découvertes par des clients occidentaux, attirant l’attention du public sur les abus de la Chine en matière de travail. En 2019, le géant britannique des supermarchés Tesco a suspendu les services d’un fournisseur chinois de cartes de Noël quand un client a trouvé un message écrit à l’intérieur d’une carte disant qu’elle était emballée par des prisonniers victimes du travail forcé.

En 2012, une femme de l’Oregon a trouvé une lettre manuscrite à l’intérieur d’un kit de décoration d’Halloween qu’elle avait acheté chez un magasin à grande surface. La lettre provenait d’un homme détenu dans le tristement célèbre camp de travail de Masanjia, dans la ville de Shenyang, au nord de la Chine, qui a raconté les tortures et les persécutions subies dans ce camp. L’homme, Sun Yi, un pratiquant de Falun Gong, avait été condamné à deux ans et demi de travaux forcés dans le camp en 2008, et avait caché de nombreuses lettres dans les décorations d’Halloween qu’il était obligé de produire et d’emballer.

En 2000, Mme Li, qui est originaire de Shenyang, a elle-même été détenue au camp de travail de Masanjia, où elle travaillait du matin au soir à la fabrication de fleurs en plastique.

Alors que les fleurs finissaient par être « tout simplement magnifiques », les confectionner était une torture, a déclaré Mme Li. Les détenues n’avaient pas reçu de gants ou de masques pour se protéger contre la brume toxique formée par les particules de plastique qui remplissent l’air. Tous les gardiens portaient des masques.

Les détenues au travail n’avaient pas le droit de faire des pauses, sauf pour aller aux toilettes, ce qui nécessitait une signature du gardien. Les normes d’hygiène étaient inexistantes.

« Se laver les mains ne fait pas partie des choses à faire. Tout ce qui compte, c’est que vous travailliez plus », a déclaré Mme Li.

Yu Ming, un pratiquant de Falun Gong actuellement aux États-Unis et qui a été détenu à Masanjia à plusieurs reprises, a diffusé l’année dernière une vidéo secrète qu’il a fait sortir clandestinement du camp, montrant des détenus en 2008 fabriquant des diodes, de petits composants électroniques, destinés à être vendus sur les marchés internationaux.

Un vaste réseau

Wang Zhiyuan, directeur de l’Organisation mondiale d’enquête sur la persécution du Falun Gong, une organisation à but non lucratif basée aux États-Unis, a déclaré que l’industrie chinoise du travail en prison est une machine économique tentaculaire qui relève de la supervision du système judiciaire du régime.

Il a décrit la capacité du régime à exploiter cette source de main-d’œuvre non déclarée comme une « arme stratégique puissante » pour faire avancer les ambitions économiques mondiales de Pékin.

« Quel que soit le montant des droits de douane que les États-Unis imposent à la Chine, l’industrie du travail servile du Parti communiste chinois ne sera pas affectée de manière significative », a déclaré M. Wang.

En 2019, l’organisation a publié un rapport qui a mis au jour 681 entreprises utilisant le travail carcéral dans 30 provinces et régions, qui fabriquaient toute une gamme de produits allant des poupées aux pulls destinés à la vente à l’étranger. Beaucoup de ces entreprises appartenaient à l’État, tandis que certaines étaient contrôlées par l’armée chinoise, selon le rapport. Les représentants légaux de 432 entreprises carcérales, soit environ 2/3 du total, sont également à la tête de l’administration pénitentiaire de leur province, selon le rapport.

Même si le régime a officiellement aboli son système de camps de travail en 2013, les conclusions du rapport suggèrent que l’industrie du travail forcé est bien vivante.

Les camps de travail ont simplement changé de nom et ont fusionné avec le système carcéral, a déclaré M. Wang, comme « offrir le même médicament avec un bouillon différent ».

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