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« On va faire de nous des travailleurs pauvres » : les chauffeurs de taxi confrontés au risque de déclassement

mai 24, 2025 10:25, Last Updated: juin 13, 2025 19:35
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Mobilisés à travers la France depuis lundi, les taxis expriment leur crainte de perdre leur statut et leurs rêves d’ascension sociale.

« J’ai trois salariés et les charges sont ce qu’elles sont. Je pourrai à peine me verser un Smic » si la réforme du transport de patients est appliquée, déplorait lundi à Paris Yves Rubicondo 64 ans, taxi à Pithiviers (Loiret). « On va faire de nous des travailleurs pauvres. »

À partir du 1er octobre, l’Assurance maladie doit appliquer une nouvelle tarification aux quelques 40.000 artisans conventionnés transportant des patients vers leurs rendez-vous médicaux, pour faire des économies.

Le transport sanitaire est sensible car il est devenu une dimension essentielle de leur métier, surtout à la campagne où les distances sont plus longues pour atteindre les hôpitaux.

En bloquant avec des berlines des gares et des aéroports, en ralentissant le trafic sur les voies rapides, les taxis ont laissé éclater leur colère cette semaine avec ce mouvement, d’une envergure inédite depuis le mouvement contre Uber en France, en 2015.

Tension et émotion jamais atteintes

Pour les représentants de la profession, « la mobilisation des taxis montre que le gouvernement a très largement sous-estimé l’impact humain, économique et social des pratiques déloyales organisées dans le secteur du VTC ainsi que de la nouvelle convention pour le transport de malades publiée par surprise ».

« Cette mobilisation se traduit depuis lundi par un niveau de tension et d’émotion jamais atteint dans notre profession parce qu’elle oppose des chiffres à des situations humaines », ont souligné les fédérations de taxis jeudi dans une lettre au Premier ministre.

Un panneau lumineux affiche « Manifestation en cours » alors que des chauffeurs de taxi ralentissent la circulation sur l’A1 vers Paris, à Saint-Denis, le 21 mai 2025. (THOMAS SAMSON/AFP via Getty Images)

« J’ai travaillé vingt ans comme menuisier, j’ai mis de côté, et au lieu d’acheter un appart’, j’ai acheté une licence » de taxi, expliquait vendredi devant la Gare du Nord un professionnel venu de la région lyonnaise, qui a souhaité rester anonyme.

Avec la nouvelle tarification de l’Assurance maladie, « c’est très compliqué de se projeter. Si ma voiture est en panne, est-ce que ça vaut le coup de la réparer ? », a-t-il lancé.

« Souvent un métier de reconversion, avec un espoir de stabilisation »

« C’est un métier qui laissait entrevoir des espérances », avec « une aspiration à franchir des barrières sociales », analyse Guillaume Lejeune, sociologue associé à l’université Paris-Cité.

Devenir taxi indépendant nécessite une importante mise de départ, entre la licence et le véhicule, et souvent de longues heures de travail pour la rentabiliser, explique-t-il. Et de nombreux professionnels commencent comme salariés avant d’acheter leur licence. Taxis et VTC mélangés, le revenu mensuel moyen de ces travailleurs était de 1530 euros nets en 2022, selon un rapport publié mercredi par l’Insee.

Taxi, « c’est souvent un métier de reconversion, avec un espoir de stabilisation » dans la classe moyenne, souligne Guillaume Lejeune. « Mais économiquement, ça se casse la figure depuis plusieurs années. Et le transport conventionné était encore une de leurs prérogatives », ajoute le sociologue.

Les taxis urbains sont, eux, en lutte contre la concurrence des VTC, encore plus précaires, qu’ils accusent de concurrence déloyale. La colère a parfois dégénéré en agression contre ces chauffeurs cette semaine, comme lors du mouvement de 2015.

Des chauffeurs de taxi sont assis sur des chaises au milieu de la route, à Valence, le 19 mai 2025. (NICOLAS GUYONNET/Hans Lucas/AFP via Getty Images)

« Ubérisation »

La crainte du déclassement flottait cette semaine à Paris sur le boulevard Raspail, occupé par des centaines de taxis, près du quartier des ministères.

« Les taxis savent que si on ne gagne pas maintenant, on ne gagnera jamais. Et on ne veut pas devenir des travailleurs pauvres et ni être les larbins des Américains », a lancé à l’AFP Bekir Cihan, chauffeur parisien, visant le géant du VTC Uber.

« Nous, on ne veut pas être ‘ubérisés’ », a-t-il poursuivi. « On aime notre métier, on voit bien qu’il y a une volonté de s’en prendre à notre taximètre. On veut nous faire travailler au rabais. »

Pour Gehad Rejim, 36 ans, un des meneurs de la fronde en Savoie (est), les taxis sont en effet un baromètre de l’« ubérisation », le découpage du travail en multiples tâches, réalisées par des travailleurs considérés comme indépendants.

« Si aujourd’hui le taxi tombe, c’est toute la France du travail qui tombe », a lancé lundi au milieu des klaxons parisiens ce professionnel, qui dit avoir rendu toute sa flotte de véhicules après avoir compté jusqu’à trente salariés.

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