ENTRETIEN – L’éditorialiste pour le think tank DelibeRatio Patrick Edery répond aux questions d’Epoch Times sur les tarifs douaniers instaurés par le président américain.
Epoch Times : Le 2 avril, Donald Trump a annoncé l’instauration de nouveaux droits de douane. Quelle est sa stratégie ?
Patrick Edery : Donald Trump essaye de redonner une certaine souveraineté au peuple américain. Dans les années 1980, la mondialisation a permis à de nombreux pays d’être prospères. Ce phénomène s’est accéléré dans les années 1990 avec la chute du mur de Berlin. Les États-Unis sont devenus la seule hyperpuissance du monde.
Ensuite, les entreprises ont commencé à délocaliser leur production dans les pays en voie de développement pour bénéficier du faible coût de la main-d’œuvre. Ainsi, les entreprises ont produit plus, augmentaient leurs marges et les populations occidentales ont pu acheter davantage de produits toujours moins chers.
Mais le revers de cette mondialisation s’est vite fait sentir. Chez les plus fragiles, le chômage a augmenté. Toute une catégorie d’emplois a disparu, engendrant une perte de recettes fiscales pour les États.
Ces baisses de recettes ont également pu être constatées sur le bénéfice des entreprises puisque ces dernières avaient délocalisé leurs sièges sociaux à l’étranger. Au départ, ces baisses étaient malgré tout compensées par les exportations dans les pays en voie de développement, mais aujourd’hui, avec nos balances commerciales déficitaires, ce n’est plus le cas.
La hausse du chômage a, par définition, multiplié les problèmes sociaux et les démocraties occidentales se sont retrouvées dans l’obligation, pour éviter tout crise majeure, de revaloriser les prestations sociales. Et comme si cela ne suffisait pas, nous avons fait venir sur notre sol une immigration peu qualifiée, difficilement employable et pas évidente à intégrer.
Cette politique migratoire nous a conduit dans le mur : le nombre de personnes précaires a augmenté et la population issue de l’immigration coûte toujours plus chère, aussi bien en aides sociales qu’en infrastructures.
Face à ce genre de problèmes structurels, à chaque fois que le « gâteau » économique se rétrécit, du fait d’une baisse démographique, d’une désindustrialisation ou d’un essoufflement de la mondialisation, les nations ont le choix entre augmenter la dette, faire la guerre ou adopter des mesures protectionnistes qui sont aussi un acte de restauration de souveraineté.
On l’a vu pendant le Covid, nous n’avions plus de masques et de médicaments car nous ne produisions plus les produits de base chez nous mais en Inde, en Chine, etc… On nous avait promis une réindustrialisation et de faire revenir les productions essentielles. Et ? Rien.
Pourquoi ? Parce que sans un minimum de protectionnisme ce n’est pas possible. De plus Il faut aussi comprendre un mécanisme fondamental : les Américains achètent en dollars. Ces dollars ne s’évaporent pas. Ils finissent dans les poches de ceux qui exportent vers les États-Unis – la Chine, l’Allemagne, les pays du Golfe… Et que font-ils avec ? Ils rachètent des actifs américains, entraînant une perte progressive de souveraineté économique.
Donald Trump, pour restaurer la souveraineté du peuple américain, a donc choisi le protectionnisme.
Les ripostes prévues par certains États comme la Chine ne risquent-elle pas de fragiliser l’économie américaine ?
J’entends régulièrement des experts affirmer que les mesures de Donald Trump présentent un risque en matière d’emploi et que les États-Unis manqueraient de main-d’œuvre disponible.
D’abord, il faut noter que la politique du président américain tend à supprimer un certain nombre d’emplois dits « bullshit jobs » (emplois inutiles, ndlr), ainsi que des postes dans la fonction publique. Ces individus pourraient être redéployés vers des emplois plus utiles et productifs. Certes, cela reste marginal, mais ce n’est pas négligeable.
Ensuite, les États-Unis sont très en avance en matière de robotique et d’intelligence artificielle, ce qui permet d’anticiper une forme de substitution au travail humain dans certains secteurs, et donc de compenser partiellement le manque de main-d’œuvre.
Il faut également rappeler que Donald Trump n’est pas dogmatique : lors de son premier mandat, il a autorisé l’arrivée de travailleurs étrangers lorsque certaines industries en avaient besoin. Il n’est pas opposé à l’immigration de travail, mais à l’immigration illégale et incontrôlée. C’est une distinction cruciale.
Enfin, Trump ne parie pas exclusivement sur une réindustrialisation totale du territoire américain. Ce que beaucoup ne perçoivent pas, c’est qu’il cherche surtout à contraindre les multinationales à assumer une fiscalité plus juste vis-à-vis des États-Unis. Prenons l’exemple d’un produit fabriqué en Asie pour 20 euros, puis vendu 100 euros sur le sol américain : aujourd’hui, l’entreprise peut déclarer 70 euros de marge à son siège situé en Irlande, et seulement 10 euros aux États-Unis. Résultat : la base imposable aux États-Unis ne porte que sur 10 % de la valeur réelle du produit.
Avec les droits de douane et les réformes fiscales de Trump, le raisonnement change : il devient plus avantageux pour l’entreprise de continuer à produire en Chine, mais aussi de déclarer le prix réel (20 euros ) à l’entrée sur le marché américain, et de rapatrier la marge aux États-Unis (80 euros au lieu de 10 euros seulement), où elle sera désormais imposée. Ce mécanisme fiscal incitatif est souvent mal compris, alors qu’il constitue l’un des piliers de sa stratégie économique.
D’un point de vue plus idéologique, la politique de Donald Trump marque-t-elle un retour du Parti républicain à ses racines protectionnistes ?
Dans l’esprit de Donald Trump et de ceux qui l’entourent, très certainement. Mais, il s’agit surtout d’une politique « omni globale » visant à mettre à mal tout un écosystème progressiste qui a prospéré grâce à la mondialisation pendant des années.
Nous assistons à une révolution ! Certains médias affirment qu’il fait n’importe quoi et qu’il agit de manière irrationnelle. Pourtant, il met en œuvre une politique mûrement réfléchie et impose son agenda. Avec le temps, on se rend compte que ce dernier est millimétré et pensé depuis longtemps dans le moindre détail. C’est assez impressionnant, nous pourrions faire toute une interview rien que sur ce sujet. Regardez aujourd’hui, en France, dans le monde, on ne parle que de lui.
Après les annonces du président américain, Emmanuel Macron a appelé les entreprises françaises à suspendre leurs investissements outre-Atlantique. Qu’en pensez-vous ?
Emmanuel Macron et nos élites sont ulcérés par la politique économique du président américain parce qu’elle s’en prend à leur monde progressiste.
Maintenant, leur stratégie ne consiste pas à dire pourquoi Donald Trump a tort, mais à faire croire qu’il n’a pas de politique. Débattre de sa politique reviendrait, pour eux, à lui donner du crédit et laisser entendre qu’elle pourrait fonctionner.
Tandis que là, même si elle marche, on dira qu’il n’y a pas de politique et qu’il n’y a même pas de quoi en discuter.
Il faut bien garder à l’esprit que la plupart des grandes fortunes françaises (et du monde entier) qui possèdent et financent par la publicité nos médias vont perdre des dizaines de milliards d’euros à cause de la politique de Trump – dont le but est de casser un système qui a permis de défiscaliser en grande partie les marges de leurs multinationales.
Tout l’intérêt de ces gens et des politiciens qui les défendent consistent donc à faire passer le président américain pour un fou.
« Période surréaliste où l’on entend ceux qui ne cessaient de critiquer le commerce mondial, d’attaquer le principe même du libre-échange, de prôner le protectionnisme au nom d’un souverainisme fantasmé, gémir maintenant face aux droits de douane qui sont la concrétisation de leur idéologie […] », écrivait récemment David Lisnard sur X. Y a-t-il en France une hypocrisie de la part du personnel politique sur la politique économique de Donald Trump ?
C’est exact, mais je pense que cela dépasse même le simple cadre de l’hypocrisie de notre classe politique. Tous les partis de gauche qui défendaient dans leurs programmes une politique protectionniste sont en réalité très liés aux élites progressistes mondialisées, notamment les grandes entreprises promouvant le wokisme et un monde sans frontières à l’instar de Coca Cola, Netflix, etc.
Derrière sa posture anticapitaliste, la gauche vole à la rescousse de ces élites avec un narratif progressiste. Ce n’est pas pour rien que les socialistes, les insoumis ou les écologistes ont la même vision sociétale (wokisme, immigration, « open society »..) que les grandes multinationales et que leur omniprésence dans les médias est sans commune mesure avec leurs scores électoraux.
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