Peut-on débureaucratiser la France sans une réforme structurelle de son administration ?

Par Ludovic Genin
23 avril 2024 17:26 Mis à jour: 1 mai 2024 09:21

« À tous les échelons, il faut débureaucratiser la France » avait lancé le Premier ministre Gabriel Attal dans son discours de politique générale le 30 janvier, au lendemain de son arrivée à Matignon. Tous les présidents de la Ve République depuis Valéry Giscard d’Estaing s’y sont pourtant attaqués, mais les normes administratives n’ont jamais été aussi nombreuses aujourd’hui.

Cette bureaucratie pèse sur l’économie et la compétitivité françaises, atteignant des sommets dans les dépenses publiques et les normes. L’Ifrap estime à 100 milliards d’euros le montant de la charge administrative pour les entreprises, les collectivités, les services publics et les particuliers, quand le Premier ministre annonce 60 milliards d’économie après son plan de simplification.

Mais si « la bureaucratie est une maladie dégénérative des administrations » (Edgar Morin), le risque de vouloir débureaucratiser l’administration française sans changement structurel serait d’ajouter de nouveaux dispositifs créant à leur tour plus de bureaucratie.

Le poids de la bureaucratie en France

Pour des raisons historiques, la France est un des pays démocratiques avec la plus forte présence de l’État et de ses normes administratives. Depuis 800 ans, l’État français a vu passer une succession de rois, de dynasties, de révolutions et de républiques, apportant chacun leur lot de lois – même si une accélération intervient après la Révolution française.

Aujourd’hui, la bureaucratie française contient 400.000 normes et 11.000 lois (100 nouvelles sont créées chaque année). Selon Challenges, le Code de l’environnement s’épaissit de 3 pages chaque semaine et le Code du travail fait 3.700 pages quand il en fait 70 en Suisse. « Chaque règle part d’une bonne intention et est sûrement utile en soi » déclarait Alain Lambert, auteur d’un rapport sur l’inflation normative, « mais leur production incontrôlée, leurs préconisations pointilleuses, leur application tatillonne laissent voir un État défiant, qui veut mettre son nez partout» La conséquence à terme est l’étouffement de l’économie française, ensevelie sous une montagne de normes et de taxes.

Selon l’Ifrap, l’OCDE estimait en 2007 le poids total des charges administratives sur les entreprises à 60 milliards d’euros, soit 3% du PIB de l’époque. Au même moment, le rapport des dirigeants d’entreprises du Conseil de la Simplification évoquait que « pour la France, les estimations souvent avancées par plusieurs organismes portent sur une fourchette allant de 75 à 100 milliards d’euros», soit un poids des normes qui pèserait en réalité entre 3,5 % et 4,5 % du PIB français.

En 2022, l’Ifrap estimait entre 75 et 87 milliards d’euros le montant de la charge administrative pour les entreprises et de 12 à 25 milliards pour les collectivités, les services publics et les particuliers, soit un total de près de 100 milliards d’euros de coûts inutiles pesant sur la France.

Gabriel Attal veut simplifier en utilisant l’IA générative

En janvier, lors de son discours de politique générale, Gabriel Attal a annoncé vouloir débureaucratiser la France : « Des pans entiers de notre économie demandent des simplifications encore drastiques, notamment pour accélérer le retour de notre industrie, a-t-il martelé. Pourquoi ? Parce que trop de délais, c’est moins de projets, et donc moins d’emplois et moins de croissance. »

Cette semaine, le Premier ministre a détaillé ses ambitions : « Je veux débureaucratiser la France, à tous les étages pour une action publique plus efficace. Débureaucratiser ses ministères, son administration, pour retisser la confiance avec les Français » a-t-il déclaré le 22 avril. « Il a été évalué que chaque année, c’est 60 milliards d’euros que nous perdons à cause des démarches et des complexités de notre quotidien », a assuré Gabriel Attal.

Pour y parvenir, le gouvernement souhaite mettre « au service » des usagers et des fonctionnaires, une intelligence artificielle (IA) développée en France.L’administration fiscale va déployer une IA 100% française, nommée « Albert », conçue par la direction interministérielle du numérique (Dinum), « pour rédiger les réponses aux 16 millions de demandes annuelles en ligne », a-t-il précisé lors d’un déplacement à la maison France Services de Sceaux, dans les Hauts-de-Seine. Chaque réponse sera néanmoins validée ou modifiée le cas échéant par un agent, « mais l’analyse de la réglementation sera automatisée, les réponses drastiquement accélérées et le travail des agents rendu moins pénible et plus intéressant » selon le Premier ministre.

De même 4.000 projets environnementaux déposés chaque année dans les directions régionales de l’environnement seront désormais « pré-instruits par une IA », comme des projets de parcs éoliens ou d’aménagement urbain. Cette IA servira également « dès la fin de l’année » à automatiser la retranscription d’audiences judiciaires, le dépôt de plaintes ou les compte-rendus médicaux. Elle sera aussi mise au service de la détection des feux de forêts ou de la gestion RH des fonctionnaires. Vaste programme, dont on peut se questionner sur l’efficacité à court, moyen et long terme.

Le Premier ministre a également annoncé la création de 300 maisons France Services supplémentaires d’ici 2026 pour « simplifier » le quotidien des Français dans leurs démarches administratives avec un service de proximité, portant le nombre de ces structures à 3.000 sur tout le territoire.

Devant la multiplication des acronymes de l’administration, le Premier ministre a annoncé le lancement d’un audit, « ministère par ministère, pour passer en revue l’intégralité des contenus en ligne et des formulaires » et rendre le langage administratif « intelligible, accessible ».

Assistons-nous pour autant à une révolution de l’administration française comme le prétend le Premier ministre ? Pas évident d’y répondre sans le recul des premiers tests avec l’IA et surtout sans une simplification structurelle.

Une simplification structurelle qui se fait attendre

Selon le sociologue Michel Crozier, les bureaucrates ont tendance à renforcer leur propre pouvoir en multipliant les règles administratives, qu’ils peuvent ensuite faire appliquer et contrôler. Selon Challenges, en 2010, Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre du Développement durable, racontait en off aux journalistes comment la pléthore d’énarques de son cabinet proposaient de nouvelles normes et de nouveaux dispositifs, « tous plus vertueux les uns que les autres », comme seul moyen pour eux d’exister et de se sentir utiles.

Si tous les pays démocratiques sont sujets à une inflation bureaucratique, la France a ceci de particulier d’être structuraliste en plus d’avoir le plus long historique de lois, c’est-à-dire qu’elle accumule des strates de normes les unes sur les autres, sans en supprimer aucune.

Pour simplifier l’obésité administrative de l’État, il faudrait s’attaquer aux causes de cette inflation normative en diminuant le nombre de cadres administratifs qui favorisent la complexification du système pour justifier de leur existence. En créant de nouvelles normes, ils créent de nouveaux contrôles et de nouveaux agents, et assurent ainsi leur pérennité au détriment d’un millefeuille administratif de plus en plus abscons.

Plusieurs présidents ont tenté de réduire le nombre des fonctionnaires administratifs, mais se sont heurtés à des « parrains du système », fonctionnaires non élus mais toujours présents de présidence en présidence, et que Challenges pointe à l’inspection des Finances, au Conseil d’État ou à la Cour des comptes.

Selon le philosophe Gaspard Koenig, il faut sortir de cette maladie administrative française. Mais la simplification des règles va à l’encontre du paradigme technocratique du gouvernement et de son administration, où un ensemble d’experts publics ou privés contrôlent tout, sans que plus rien ne soit possible. Selon lui, si ce paradigme technocratique centralisé ne change pas, les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Une « approche de terrain »

Le 24 avril, ce sera au tour du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, de présenter au Conseil des ministres un projet de loi dédié à la simplification des normes pour les entreprises, visant essentiellement les TPE et les PME. Malgré les multiples tentatives infructueuses de simplification depuis soixante ans, le ministre défend une nouvelle « approche de terrain », ayant multiplié les consultations en ligne et les déplacements ces derniers mois.

De choc de simplification en choc de simplification, plus les années passent et plus les normes se multiplient. Le mal administratif français participe à son marasme économique que quelques séances de communication bien préparées auront du mal à revigorer. Ils ne masqueront pas la nécessité d’une véritable réforme structurelle, s’attaquant à la réduction des effectifs administratifs en même temps qu’à la réduction des normes, dispositifs, contrôles, comités, etc. qui simplifieront le millefeuille administratif et redonneront du dynamisme au pays, tout en faisant faire des économies à l’État.

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