Santé: quand le patient devient un client comme les autres

11 mars 2017 17:19 Mis à jour: 11 mars 2017 17:42

La France est le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de pharmacies par habitant. Pourtant, une pharmacie met la clef sous la porte tous les trois jours. En apparence, médecins et pharmaciens partagent la responsabilité de soigner leurs patients ; dans les pharmacies, les volumes de prescriptions sont toujours plus importants et les rayons ne désemplissent pas. Pourtant, le domaine médical est bel et bien dans la tourmente. Les professionnels de la santé travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles, doivent s’adapter aux changements constants du milieu médical, répondre aux demandes plus pressantes des patients et faire face à la pression des laboratoires et des organismes de surveillance.

La réalité est devenue complexe et le patient pour le moins méfiant. En haut du système de santé, des industries pharmaceutiques dont le comportement n’est pas étranger aux problèmes rencontrés par le personnel de santé, soignants et soignés. Depuis que le patient se transforme en un consommateur comme les autres, le nombre d’abus a proliféré. Malgré les scandales sanitaires, il apparaît d’après l’Ordre des médecins, que dans une large majorité, les Français ont tendance à faire confiance «aux médecins qui prescrivent et aux pharmaciens qui délivrent des médicaments».

Or, notre époque change, et la connaissance sur ce qui est ou n’est pas une maladie évolue tout aussi bien qu’elle. Les rapports de force ont changé et la santé est régie par les règles du marché. Pour le patient, cela peut se transformer en un état de confusion sur ce qu’est la santé elle-même et s’il ne devrait pas se retenir de tomber malade ou se soigner lui-même. À titre d’exemple, d’après le rapport du Conseil National de l’Ordre des Médecins, on arrive au moment où le patient connaît lui-même mieux sa maladie que le médecin, et demande à ce dernier de lui prescrire tel ou tel médicament. La raison? Internet, de vastes campagnes commerciales des industriels de la santé, des publicités à la télévision qui entretiennent et propagent le médicament comme un consommable dont le patient, devenu client, peut bénéficier par lui-même.

Le commerce de la santé

Comment expliquer l’augmentation sensible du nombre de maladies répertoriées de nos jours? Un élément de réponse peut être apporté avec l’émergence du phénomène de «prémaladie». Il est permis de détecter, grâce aux techniques utilisées dans le monde médical, les risques ou prédispositions à développer telle ou telle maladie. Par exemple, si votre glycémie se situe entre 1,1 et 1,2 g/l, vous pourriez tout à fait porter l’étiquette de «prédiabétique». Si votre tension est proche de 13,5/8,5, vous êtes potentiellement en «préhypertension».

Un autre aspect concerne l’abaissement des seuils dans le diagnostic. Dans les années 90, un patient était diagnostiqué «hypertendu» quand sa tension artérielle allait au-delà de 16/9,5. Aujourd’hui, le seuil a été modifié et abaissé à 14/9. Ce qui a eu pour effet d’augmenter mécaniquement le nombre de personnes prenant des médicaments pour soigner l’hypertension.

Les industries pharmaceutiques françaises dépensent entre 25% et 30% de leur chiffre d’affaires en marketing, publicités diverses et pour influencer les médecins à vendre leurs produits. C’est beaucoup plus que les 5% consacrés à la recherche et 15% au développement. L’influence de ces grands groupes se retrouve à plusieurs niveaux. Ils sponsorisent, entre autres, les formations médicales continues (non prises en charge par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie ni par le ministère de la Santé). Ils lancent des campagnes publicitaires dans les revues médicales et financent les travaux d’expertises et les congrès médicaux. Neuf consultations sur dix se concluent par une ordonnance médicamenteuse, d’où l’intérêt des industriels pharmaceutiques à façonner une certaine abondance en terme de prescription.

La promotion de la maladie, un mythe moderne

Chez notre voisin outre-Atlantique, il existe des slogans qui véhiculent l’idée que des traits de caractères ou des sentiments normaux sont en fait des maladies; tels que: «Vous n’êtes pas timide, vous êtes malade». En 2000, certains psychiatres américains ont diagnostiqué le plus sérieusement du monde une «phobie sociale» aux patients qui ne se sentaient pas à l’aise en public. Bien entendu, elle pouvait être soignée avec un antidépresseur, le Paxil.

Le nombre de maladies mentales a été porté de nos jours à 500; elles n’étaient que 60 en 1952. Dans la dernière version du DSM (la bible des psychiatres recensant les maladies mentales), on suppose que les personnes accumulant des choses inutiles sont victimes de syllogomanie. Une femme de mauvaise humeur durant la période qui précède ses règles sera atteinte du «syndrome dysphorique prémenstruel».

70% des auteurs de la dernière édition du DSM V déclarent avoir des liens financiers avec les laboratoires, contre 52% pour la version précédente de l’ouvrage, le DSM IV. La norme de notre société tend à catégoriser d’anormal tout ce qui ne correspond pas au comportement du plus grand nombre. Si une personne apprécie la solitude, est-elle pour autant en état de «phobie sociale»? Cela pose la question de comment nous comprenons le corps humain et de ce que nous acceptons et tolérons par normalité.

D’après le psychiatre français Maurice Corcos, le fait qu’une maladie soit répertoriée dans le DSM n’est pas anodin pour le patient lui-même. Le fait que les pathologies soient reprises dans les informations télévisuelles, peut amplifier l’aura de la maladie elle-même, et produire l’effet de rassurer le patient dans son état de malade. Malgré les efforts pédagogiques des médecins et soignants, «les patients ne s’en approprient pas moins l’étiquette médicale, qui les poussent parfois à faire des ‘carrières’ de malades mentaux», d’après M. Corcos.

Si un enfant est diagnostiqué comme «souffrant de troubles de dérégulation dit d’humeur explosive», le fait de savoir qu’il existe une pilule ou un comprimé traitant de ce trouble est un avantage à plus d’un niveau. Cela est rassurant, évite un questionnement douloureux, et fait croire en même temps qu’il est possible de simplement faire rentrer toute chose dans l’ordre de l’absorption de médicaments. Mais on constate bien vite la portée d’un tel raisonnement, par exemple dans les troubles liés au travail: la prise d’antidépresseurs ne fait que repousser plus encore l’échéance et les problèmes de santé, plutôt que de disparaître, finissent par s’accumuler.

D’après le rapport 2012 de l’Ordre des Médecins, «depuis quelques années on voit apparaître, avec la complicité bienveillante des médias, une tendance très marquée à lancer sur le marché de nouvelles maladies dramatisées préparant ainsi le terrain à la commercialisation de médicaments censés y remédier.» Les laboratoires semblent ressusciter le docteur Knock de la pièce de théâtre de Jules Renard, qui disait: «La santé n’est qu’un mot, qu’il n’y aurait aucun inconvénient à le rayer de notre vocabulaire. Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies, plus ou moins nombreuses, à évolution plus ou moins rapide»

Médicaments en ligne, pour bientôt ?

Le marché du médicament en cours d’explosion sur Internet, ce sont les faussaires comme les empoisonneurs qui deviennent légions. en 2012, la plus grosse saisie de médicaments contrefaits a été effectuée: plus d’un million de sachets d’aspirine de contrefaçon ont été saisies par des douaniers au Havre. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, sur internet, un médicament sur deux est contrefait.

En France,  d’après l’ordonnance du 19 décembre 2012, toute vente de médicament en ligne est contrôlée par l’Agence régionale de la santé. Seules les officines des pharmacies sont autorisées à vendre par internet, et la liste des sites de vente légalement autorisés est disponible sur le site de l’Ordre des Pharmaciens. Malgré cela, à moins que la loi ne change, le gouvernement admet que «tous les médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire peuvent êtres vendus sur Internet».

Le système français des officines, comparé à d’autres pays où la vente de médicaments par internet est libre,  permet de garantir des soins d’une qualité relativement élevée. On peut tout de même s’attendre à ce qu’Internet bouleverse peu à peu la donne. D’après Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo.fr et président de DNAvision, «à moyen terme, il va être quasiment impossible de résister au rouleau compresseur du e-commerce».

Rôle et difficulté du pharmacien

On peut constater que de nos jours, les pharmacies ont tendance à ressembler à de grands supermarchés: des multitudes de produits de beauté, de médicaments, de compléments alimentaires en tous genres s’entassent sur des étagères brillantes et colorées. Des affiches retouchées ou des jeunes femmes dénudées suggèrent les bienfaits naturels d’un produit de beauté. Les publicitaires, de ce point de vue, n’auraient pas fait mieux.

Et pourtant, le rôle des pharmaciens reste encore présent, et on ne saurait les réduire à de simples commerçants. La relation pharmacien/patient existe depuis les débuts de la médecine par les plantes et implique une responsabilité soignant/soigné. Aujourd’hui, le pharmacien doit rassurer le patient sur le but de son traitement et rester en partie responsable de son bien-être. Il doit garantir l’usage approprié d’un médicament, et éventuellement établir un suivi du patient. Il s’agit aussi de responsabiliser le patient face à son état, le conseiller sur l’automédication, et ainsi diminuer les risques de problèmes pharmacologiques.

Mais alors d’où vient la tourmente que rencontre aujourd’hui le milieu des officines? D’après une étude publiée par l’Ordre des Pharmaciens en 2000, «il est faux d’affirmer que les patients ne veulent pas d’information. Il serait plus juste de dire que la structure et l’organisation de la pratique ne créent pas vraiment un climat propice à la discussion entre le pharmacien et son patient.»

L’étude identifie également des barrières auxquelles peuvent se heurter les pharmaciens dans leur activité. Celles-ci seraient causées par «le fait que le système [de santé] favorise davantage le volume d’ordonnance que la relation pharmacien/patient». La productivité basée sur ce volume, en combinaison d’une charge de travail élevée et d’un manque d’espace de confidentialité entre le patient et le pharmacien nuit à la consultation et au conseil médical. Dans les grandes villes, le pharmacien doit également s’occuper de beaucoup de clients, ce qui peut nuire à la qualité du suivi.

Dans le passé, les pharmaciens étaient ceux qui développaient leurs propres médicaments. Aujourd’hui ils sont amenés à être en contact avec les hôpitaux, les laboratoires et les organismes de santé pour assurer le suivi d’un patient. Ils doivent s’assurer que le patient comprend son traitement, et peuvent tout aussi bien être amenés à gérer des situations d’urgences.  Si les liens patient/médecin, patient/pharmacien étaient rompus, les malades iraient alors peupler les services d’urgences qui deviendraient alors la seule médecine de proximité.

Évolution de la compréhension du rôle de médicament

D’après le rapport de l’Ordre des Médecins, «au début du XXe siècle, n’étaient considérés comme médicaments qu’une douzaine de produits de synthèse et une centaine de produits naturels. De nos jours nous utilisons plusieurs centaines de produits de synthèse et il ne reste que très peu de remèdes courants d’origine exclusivement naturelle. Depuis peu, des molécules du vivant, des protéines, sont utilisées comme médicament.»

Il y a quelques décennies, les pharmaciens, appelés apothicaires, développaient eux-mêmes leurs produits. Les principes actifs des plantes servaient de base à leur élaboration, et surtout, leur accès était libre et connu de tous. Aujourd’hui, les brevets déposés par les laboratoires sont dans une logique de compétition économique, avec des techniques aussi poussées qu’inaccessibles au grand public. La médication et l’accès à la santé sont passés du domaine populaire à la chasse gardée des industriels pharmaceutiques.

Cependant, excepté pour les malades graves nécessitant une intervention médicale, il est à noter qu’être en bonne santé ne signifie pas prendre des médicaments, mais plutôt ne pas avoir à en prendre. Notre société occidentale a basé sa médecine sur la guérison des maladies plutôt que sur leur prévention. On observe un intérêt croissant dans les magazines de santé pour les exercices de méditation et le qigong, dont les bienfaits sur la santé et l’équilibre ont été prouvés par la science. D’autres recherches montrent qu’un bon équilibre alimentaire, faire des exercices physiques régulièrement et non intensivement, ne pas consommer (ou peu) d’alcool et ne pas fumer, etc. peuvent prévenir les maladies et permettre de rester en bonne santé; ce qui pourrait peut-être réduire le déficit de 5 milliards d’euros de la branche maladie de la Sécurité sociale.

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