Quand Mozart fait de la musique une peinture spirituelle

Détail de « L'Annonciation », peint vers 1644, par Philippe de Champaigne. The Metropolitan Museum of Art, New York City.
Photo: Domaine public
Quelque chose d’exceptionnel advient ici : un événement d’une beauté saisissante, qui transcende la vie ordinaire. Nul besoin de mots pour l’expliquer : Mozart le dit lui-même dans son Et incarnatus est. (Écouter)
L’interprétation de référence de cette section de la « Grande Messe » reste celle de la soprano Arleen Auger avec l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, dirigée par Leonard Bernstein. Elle a été enregistrée en concert en avril 1990, à l’église abbatiale de Waldsassen, en Bavière.
La représentation en musique
Le figuralisme en musique est l’art de faire correspondre en sons la description d’un paysage ou un mouvement. Dans sa forme la plus simple, elle reflète l’atmosphère d’une situation donnée : lente et sombre pour des funérailles, vive et légère pour un carnaval. C’est assez évident, mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’un événement hors du commun ? Quelle musique peut peindre l’image de Dieu qui s’incarne ?
Entre 1782 et 1783, Wolfgang Amadeus Mozart compose une messe romaine pour une occasion qui reste mystérieuse. Installé depuis peu à Vienne après avoir quitté Salzbourg, le jeune compositeur — alors dans la vingtaine — venait d’épouser Constanze Weber, à l’insu de son père Leopold et sans la permission paternelle.
Celui-ci ne cacha pas son mécontentement.

Mozart et son épouse bien-aimée, Constanze. (Domaine public)
Dans une lettre adressée à son père en janvier 1783, Mozart évoque la composition d’une nouvelle messe et fait référence, de manière énigmatique, à une « obligation morale » :
« Il est bien vrai que j’ai une obligation morale… J’ai fait la promesse et j’espère pouvoir la tenir… La partition d’une demi-messe qui attend encore d’être terminée en est la meilleure preuve. »
Cette « obligation » pourrait avoir été la promesse d’écrire une messe en signe de repentir après l’affront fait à son père.
Une œuvre inachevée, mais monumentale
Toujours est-il que cette « demi-messe » ne fut jamais achevée. Ce qui allait devenir la « Grande Messe » en ut mineur resta fragmentaire. Elle est ainsi appelée parce que, malgré son incomplétude, l’ouvrage s’impose par sa puissance musicale, surpassant toutes les messes composées à l’époque. La mise en musique des mots « Et incarnatus est », tirés du credo de la messe, est au cœur de cette remarquable démonstration d’art. Le texte intégral, avec la traduction du latin, suit :
Et incarnatus est de Spiritu Sancto
ex Maria Virgine : Et homo factus est.
— Et Il a été fait chair par l’Esprit Saint,
de la Vierge Marie, et Il s’est fait homme.
Le texte liturgique qui précède désigne Jésus comme sujet.
Une vision sonore de l’Incarnation
Le cadre musical imaginé par Mozart pour ces paroles radicalement chrétiennes est installé en fa majeur, dans une atmosphère paisible, portée par le balancement du 6/8. Une soprano soliste est accompagnée par un orchestre composée de bois et cordes. Ces dernières dépeignent l’atmosphère de l’incarnation par une série de motifs descendants, pour figurer Dieu qui se fait homme. La flûte, le hautbois et le basson répondent à cette figure musicale : aux cordes qui descendent, ils opposent une ligne ascendante. Dieu descend vers l’homme, certes. Mais en même temps, l’homme monte vers Dieu.
Le solo de soprano qui suit se déploie avec un lyrisme fluide, d’une ampleur quasi opératique. La chanteuse évolue avec des traits de colorature, en dialogue étroit avec les instruments. À un moment saisissant, la partition lui demande d’atteindre un si naturel très grave pour son registre, en dessous du do médian, avant de reprendre aussitôt à l’octave et à la quinte supérieures, tel un éclair d’étoile filante.
L’Et incarnatus est de Mozart compte parmi les plus grands chefs-d’œuvre de la musique sacrée. Il figurait en tête de la liste des œuvres musicales favorites du défunt pape François et continue d’être inscrit aux programmes des ensembles du monde entier.

L’église abbatiale de Saint-Pierre, à Salzbourg, en Autriche, où la « Grande Messe » de Mozart a été jouée pour la première fois. (Andrew Bossi/CC BY-SA 2.5)
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