Quentin Hoster : « Plus les Français sont prélevés et plus leur argent est dépensé, moins leurs services publics ne fonctionnent. »

Par Julian Herrero
15 janvier 2024 10:17 Mis à jour: 15 janvier 2024 10:24

Rédacteur en chef de Valeurs Actuelles Régions, Quentin Hoster analyse pour Epoch Times les raisons pour lesquelles le libéralisme n’a jamais réellement été bien accueilli par la droite traditionnelle. Selon le journaliste, la droite croit toujours en l’idée que l’on peut être à la fois libéral et colbertiste. Quentin Hoster est également l’auteur de l’ouvrage David Lisnard, le réveil de la droite ? publié en 2023, et estime que le maire LR de Cannes et président de l’Association des Maires de France (AMF) incarne un libéralisme authentique.

EPOCH TIMES – Dans un article publié le 5 janvier dans Valeurs Actuelles intitulé : « Le libéralisme, ce tabou de la droite », vous écrivez : « Au pays de l’égalitarisme, cela fait longtemps que la droite a renoncé à sa vocation libérale, persiflent ses derniers ultras, d’Alain Madelin à Gérard Longuet et David Lisnard. » Comment expliquez-vous que la droite française n’a jamais été réellement libérale ou du moins, qu’elle ne le soit plus ?

QUENTIN HOSTER – Depuis sa création en 2002, l’UMP, devenue LR, essaie de faire cohabiter en son sein différentes tendances de la droite, sans même parler de celles décrites par René Rémond. Les libéraux, historiquement minoritaires, ont payé cette fusion qui les a noyés dans la masse de dirigeants plus ou moins interventionnistes et dirigistes, pour ne pas dire socialistes. Dans les faits, la droite mène souvent depuis des années, main dans la main avec la gauche, une surenchère de propositions dans l’opposition, et de mesures au pouvoir, contraires à la doctrine libérale.

Depuis 1974, les déficits et la dette publique s’envolent (seul Thierry Breton, au ministère de l’Économie de 2005 à 2007 a su faire une pause), les lois et les normes s’empilent, les taxes et les dépenses publiques explosent, la bureaucratie s’insinue partout. Résultat : on n’a jamais eu un pays autant administré et de contribuables autant ponctionnés pour des services publics toujours aussi faibles.

Selon moi, la droite baigne dans l’illusion – qui vient de voler en éclat en Argentine, l’illusion que l’on peut être « libéral-colbertiste », un oxymore employé par l’ex-député Julien Aubert, que je cite dans l’article dont vous parlez, tant il est révélateur. Il me semble qu’il s’agit d’une confusion entre État stratège et État planificateur. L’État peut être stratège, en mettant sur les rails le TGV ou sur piste le Concorde, comme en négociant mieux qu’il ne le fait avec les sociétés d’autoroute pour assurer des tarifs raisonnables aux péages.

Mais si la planification marchait, cela se saurait ! En matière d’écologie où elle tourne à plein régime, elle se traduit par une profusion de réglementations absconses, impossibles à déceler donc à respecter. Ici, le colbertisme aggrave le dérèglement climatique. La quasi-totalité de l’offre politique aujourd’hui entend accroître le périmètre de l’État en poursuivant l’augmentation de « moyens », qui n’ont jamais été aussi abondants là où on n’en a pas besoin et jamais aussi faméliques sur les fonctions régaliennes. Il n’est ainsi pas étonnant de voir une partie de la droite LR encore miscible dans le macronisme, qui incarne le summum de cet étatisme impuissant. La vraie opposition consisterait à réclamer une refonte drastique de l’État, sans laquelle toutes les réformes sont vouées à l’échec. Alain Peyrefitte en parlait déjà dans « Le Mal français », paru en 1976 ! Et on continue dans la même voie comme des somnambules, en s’étonnant que ça ne fonctionne pas…

Ce courant de pensée est de moins en moins plébiscité par les Français. Selon une étude de l’Ifop, 50 % des personnes interrogées déclaraient en 2023 que le libéralisme leur évoquait quelque chose qu’ils aiment, contre 70 % en 1999. Quelle est votre analyse ? Comment interprétez-vous cette baisse de 20 % en 24 ans ? Cette baisse de popularité du libéralisme chez les Français peut-elle expliquer son abandon par la droite ?

Cette défiance naturelle envers la liberté, dont on extrapole toujours les conséquences néfastes au mépris des bénéfices évidents, n’est pas propre à la droite, mais à la société française, toute entière, pour des raisons qui ont sans doute à voir avec l’histoire centralisatrice de la France. Le besoin de protection, qui croît en même temps que les menaces, n’aide en rien à tendre vers plus de liberté, qui parait contre-intuitive.

Depuis 1981 et l’avènement de la pensée magique en économie, les Français sont biberonnés au « social-étatisme » dénoncé à juste titre par David Lisnard, qui les déresponsabilise, notamment sur le plan civique. L’État-Providence ou « État nounou » les entretient dans l’illusion qu’ils peuvent déléguer tous les pans de leur existence à la puissance publique. En prétendant s’occuper de tout, elle ne s’occupe en réalité de rien, ou très mal de ses missions fondatrices.

C’est comme les « cours d’empathie » ou les « savoirs verts » que Gabriel Attal a voulu instaurer à l’école, sans que l’on s’en émeuve. On ne peut pas accroître le nombre d’heures de français et de maths et « en même temps » rogner du temps scolaire pour farcir la tête des enfants d’idéologie. Le discours que je tiens là étant devenu hélas ultra minoritaire dans sa représentation politique et médiatique, il ne faut pas s’étonner que les Français se détournent peu à peu du libéralisme qui est devenu pour beaucoup une insulte, un terme disqualifiant.

Comment définiriez-vous le libéralisme de droite ? Celui-ci est souvent confondu avec l’ultralibéralisme qui ne jure que par la finance…

Je ne suis pas un spécialiste des courants historiques du libéralisme, mais je dirais, lorsqu’il est de droite, qu’il s’attache à défendre la liberté économique, via la stimulation de la concurrence, certaines privatisations, à laisser faire « la main invisible » tout simplement, qui a toujours mieux régulé le marché que l’État, qui lui, doit intervenir en aval pour en corriger les inégalités qu’il génère. Je le distinguerai du libéralisme sociétal, où on est, à droite, souvent moins favorable à l’euthanasie, à la PMA, à la GPA, à des degrés divers.

Que faudrait-il faire, selon vous, pour rendre le libéralisme à nouveau populaire auprès des Français ?

C’est toute la question, lorsqu’on considère que la solution ne passera pas par « moins d’État » mais par « mieux d’État ». Pour cela, il faudrait peut-être commencer par lever cette ambiguïté ou le malentendu qui consiste à croire, lorsqu’on demande de réduire le périmètre d’intervention de l’État et sa dépense publique, que l’on veut casser l’État alors qu’on veut au contraire le renforcer.

Les missions de la Justice, de la Santé ou de l’Éducation sont tant délaissées, c’est parce que l’administration, qui est devenue gargantuesque, détourne et s’en approprie les moyens. Plus on ouvre des bureaux, plus on ferme des lits et des classes
— Quentin Hoster

Personne ne peut accepter que l’on réduise les moyens de la Justice, de la Santé ou de l’Éducation, qui en manque déjà cruellement. En revanche, tout le monde peut comprendre que si ces missions sont tant délaissées, c’est parce que l’administration, qui est devenue gargantuesque, détourne et s’en approprie les moyens. Plus on ouvre des bureaux, plus on ferme des lits et des classes ! Cela, de plus en plus de Français, il me semble, le réalisent.

Car plus ils sont prélevés et plus leur argent est dépensé, moins leurs services publics ne fonctionnent. Je remarque aussi que François Fillon, malgré son programme de coupe massive dans la fonction publique assez impopulaire et malgré tous les poids dont il était lesté, était à deux doigts de se qualifier pour le second tour de la présidentielle en 2017. Les Français ont conscience des bienfaits du libéralisme, ou pour faire simple, de la liberté, et des méfaits de ceux de l’étatisme, donc de la tutelle, dans leur vie quotidienne. Ce n’est pas qu’un principe politique, mais un principe de vie.

La droite française peut-elle redevenir un jour libérale ? La figure du maire LR de Cannes, David Lisnard, a émergé lors de la crise sanitaire. Il a fondé son propre mouvement en 2021, Nouvelle Énergie, et compte peser en 2027. Il porte une voix singulière à droite et se réclame du libéralisme. Vous avez vous-même publié un ouvrage en 2023, David Lisnard, le réveil de la droite ? Et si c’était lui ? L’actuel président de l’AMF peut-il incarner ce renouveau libéral à droite ? Ce dernier semble encore manquer de notoriété. Il est peu testé dans les enquêtes d’opinion.

De ce que je vois, la quasi-totalité de l’offre politique française ne propose rien d’autre qu’une perpétuation du système étatiste dans lequel nous sommes engoncés depuis des décennies. David Lisnard incarne un véritable libéralisme, pas seulement mimétique ou circonstanciel, mais chez lui viscéral, inspiré de Ayn Rand, Aron, Tocqueville…

N’ayant pas eu de formation intellectuelle très poussée et issu d’un milieu populaire, je ne me suis familiarisé que progressivement avec le libéralisme, (que l’on m’a présenté pendant toute ma scolarité comme une horreur), en le suivant pendant les deux ans de travail qu’a nécessité ce livre.

Plus le temps passe, plus son logiciel de pensée libéral me semble en adéquation avec les enjeux de l’époque car en rupture avec les recettes éculées qu’on nous sert encore. Son offre ne diffère pas en degré mais en nature. En cela, sa seule voie de passage, dans un paysage politique complètement figé entre lepénisme et macronisme, et morcelé à droite par les egos, sera d’après moi d’incarner un populisme soft, à la française, de rejet total de cette élite technocratique et conformiste, bloquée dans son étatisme, comme l’a fait Javier Milei en Argentine.

Il ne pourrait y parvenir sans grand fracas à droite, où les réticences sont encore grandes, quoique souvent fondées, on l’a vu, sur une méconnaissance de ce qu’est le libéralisme. Puisque ce sont toujours les vainqueurs qui écrivent l’histoire, je suis certain que si David Lisnard prend un jour le leadership sur la droite (ce à quoi on peut s’attendre compte tenu de sa trajectoire et de l’état de LR), et que s’il parvient à la mettre en position de revenir au pouvoir, ses élus finiront par se rallier à sa vision des choses.

Du reste, ce n’est, comme toujours en politique, qu’une question de convictions en soi-même, avant de prétendre convaincre les autres. Expliquer et marteler ses idées plutôt qu’enfumer sur des postures. Les actes sont toujours plus féconds et porteurs, médiatiquement et électoralement, que les palabres qui accentuent le rejet de la politique. Pas la peine de vous expliquer dans quelle catégorie je situe le maire de Cannes…

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