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Qu’est-ce que l’État et qui le contrôle ?

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Photo: rawf8/Shutterstock

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Durée de lecture: 12 Min.

Qu’est-ce que l’État, d’où vient-il et qui le contrôle ? On pourrait croire que ces questions appellent des réponses évidentes. En réalité, la réponse demeure fuyante, difficile à cerner, y compris pour ceux qui font partie du système.
Trump l’a appris lors de son premier mandat. Il a naturellement supposé que le président serait aux commandes, du moins pour ce qui relève de l’exécutif. Il a découvert l’inverse quand les agences ont travaillé de concert avec les médias pour le contrecarrer à chaque étape. Après une parenthèse de quatre ans, il est revenu avec la ferme détermination d’exercer pleinement la présidence.
Plus facile à dire qu’à faire. Les ministres se plaignent souvent en privé de se heurter à des bureaucraties inextricables, détentrices de tout le savoir institutionnel. Ils ont fréquemment le sentiment d’être des figurants, des mannequins. Trump est un président inhabituel, qui a même tenté d’être réellement aux commandes. La plupart se contentent des émoluments de la fonction et des applaudissements qui l’accompagnent.
Quoi qu’il en soit, quiconque atteint les sommets d’un appareil d’État découvre une réalité sans rapport avec les manuels.
Platon conçoit l’État comme organique à la vie, à l’image de l’âme humaine. La cité se divise entre les gouvernants (philosophes‑rois), les gardiens (guerriers) et les producteurs (travailleurs). L’État existe pour réaliser la justice, lorsque chaque classe remplit harmonieusement son rôle.
Aristote en propose une vision plus réaliste. Si l’État est organique, il n’a pas d’âme. Il assume des fonctions délimitées pour promouvoir le bien commun par la loi et l’éducation, en équilibrant les intérêts des différentes classes. Aristote privilégie un gouvernement mixte pour prévenir la tyrannie et assurer la stabilité.
Avec les Lumières, les théories occidentales de l’État évoluent au rythme des progrès techniques et économiques. Thomas Hobbes voit l’État comme indispensable pour mettre fin aux guerres civiles entre factions. Sans lui, la vie serait solitaire, misérable, brutale et courte. Il écrivait, il est vrai, en pleine guerre civile anglaise.
John Locke, dans son « Second traité du gouvernement civil », juge l’État essentiel mais très limité. Sa tâche est de protéger la propriété et les droits fondamentaux. Il peut être renversé en cas de tyrannie. La question est personnelle pour lui, victime des traumatismes de la guerre, de la révolution et de la censure.
Locke fournit le canevas de ce qui deviendra plus tard la Déclaration d’indépendance. On y retrouve l’idée de l’État comme « mal nécessaire », perspective largement admise par les Pères fondateurs américains.
Peu après, la vision hégélienne naît dans la lignée platonicienne. G.W.F. Hegel valorise l’État comme un dieu marchant sur terre, force agrégatrice du firmament social pour plier l’histoire à la conquête inévitable des vainqueurs légitimes. Cette conception nourrit, à droite (national‑socialisme) comme à gauche (socialisme international), d’autres théories de l’État, empreintes d’un sentiment d’inéluctabilité.
Tout ce discours sur le caractère organique et essentiel de l’État paraîtra d’un naïf absolu à une tradition plus radicale. Franz Oppenheimer écrit que l’État est une force inorganique d’invasion, une puissance conquérante, toujours importune, institution exogène à la société.
Cette thèse est portée par Albert Jay Nock puis Murray Rothbard, pour qui l’État est intrinsèquement exploiteur. La solution est simple : s’en défaire une bonne fois, mais pas comme chez Marx. L’absence de l’État ne mènerait pas à l’utopie ; on se rapprocherait plutôt de Locke : une société paisible et efficace, organisée sur la propriété et la coopération volontaire.
Une perspective historique fouillée de l’État est proposée par Bertrand de Jouvenel. L’État s’agrège, selon lui, à partir du tissu social, lorsque des élites naturelles gagnent la confiance du public dans l’arbitrage des différends. Ces élites se constituent en arbitres et figures culturelles, accédant peu à peu au monopole de la contrainte légale. Cette vision est prolongée par Erik von Kuehnelt‑Leddihn, Hans‑Hermann Hoppe et, de nos jours, Auron MacIntyre. Chacun en nuance les modalités, mais tous s’accordent à voir dans l’État un produit des élites, pour le meilleur et pour le pire.
La littérature sur le sujet est immense. Chaque idéologie propose sa théorie de l’État et de ce qu’il devrait être. Une thèse qui semble rejoindre l’intuition la plus convaincante sur l’État du dernier siècle émane de Gabriel Kolko dans son histoire de l’ère progressiste.
Selon lui, ce ne sont pas n’importe quelles élites qui impriment leur marque à l’action publique, mais les élites industrielles. Parcourant l’histoire de l’industrialisme moderne, il retrouve des secteurs dominants au cœur de chaque agence. Le Pure Food and Drug Act de 1906 aurait été façonné par l’industrie, en quête d’un partenariat avec le pouvoir pour étouffer la concurrence. La Réserve fédérale serait un cartel de banques. Le Département du commerce résulterait de l’organisation industrielle, tout comme le Département du travail.
Toutes ces institutions incarnent ce que James Burnham appelle la révolution managériale : des élites industrielles vantant leur science et leur capacité d’organisation, supposées supérieures au « chaos » de la société et des marchés. Donnez aux méritocrates le pouvoir et les moyens, et ils rationaliseront mieux l’économie et l’organisation sociale et culturelle. Parmi les auteurs de cette veine, citons C. Wright Mills, Philip H. Burch, G. William Domhoff et Carroll Quigley.
De cette littérature émerge une image de l’État dont nous avons hérité. Aucun vivant n’en a connu d’autre. Au‑delà des slogans de démocratie et de liberté, l’État tel qu’il fonctionne apparaît comme un cartel aspirant d’intérêts industriels dominants, œuvrant dans chaque secteur à une conspiration permanente contre un marché libre et concurrentiel. On ne pense pas spontanément l’État ainsi, mais c’est sans doute la conception la plus réaliste de ce qu’il est et fait.
Considérez la FDA. Sa force motrice, c’est l’industrie, qui finance la moitié de ses coûts et partage des droits de propriété intellectuelle avec elle et avec ses agences sœurs ou mères, NIH, CDC et HHS. Big Pharma exerce de loin l’influence prépondérante sur ces organismes, ce qui explique les difficultés immenses de Robert F. Kennedy Jr., ennemi juré de l’industrie, à les piloter et à réorienter leurs priorités. Rien d’étonnant : leur genèse même tient à la quête de légitimité et de protection de l’industrie contre les caprices de la souveraineté du consommateur.
La même dynamique affecte les tentatives de réforme à la Réserve fédérale (banques), à l’Agriculture (agro‑industrie), au Logement et au Développement urbain (promoteurs), à l’Éducation (syndicats d’enseignants), aux Transports (trains et automobiles) et à la Défense/Guerre (industriels de l’armement). Partout, à Washington aujourd’hui, la main d’acteurs industriels puissants se fait sentir. Et c’est vrai dans la plupart des régions du monde.
Cet État industriel comporte au moins trois strates. Une strate profonde, où évoluent les agences de renseignement et leurs partenaires/bénéficiaires industriels. La NSA et la CIA sous‑traitent la majeure partie de leurs activités à des entreprises numériques privées, avec des résultats classifiés. Une strate de surface, où les industries régulées exécutent les desiderata d’agences capturées ; d’où, par exemple, le retrait par CVS de certains traitements au profit des injections d’ARNm modifié, et l’enthousiasme de l’establishment médical pour la réponse au Covid. Entre les deux, la strate médiane des agences, qui orchestrent ces transferts.
Ce modèle s’applique‑t‑il au passé ? Probablement. Si l’on considère l’Église comme une « industrie », on retrouve des forces analogues au Moyen Âge. En traitant les établissements militaires comme des industries, on change aussi la perspective sur les moteurs des États antiques, à Rome comme à Athènes.
Comment cette vision concrète, un peu sombre, de la genèse et du fonctionnement de l’État s’accorde‑t‑elle avec les théories classiques ? Elle dissipe l’idéalisme de Platon et Hegel, introduit le réalisme de Hobbes et Locke, donne du corps à Marx et Rothbard, et met de la chair sur les théories de Jouvenel et Hoppe.
Autant qu’on puisse en juger, c’est la description la plus exacte du statisme moderne. Cela souligne l’ampleur du défi pour quiconque prétend « assécher le marigot », éliminer la capture réglementaire ou endiguer la corruption. Le problème est que l’appareil d’État tout entier est le marigot. La capture est consubstantielle. La corruption est inscrite dans ses opérations.
Cela ne signifie pas que la réforme soit vaine. Mais il est crucial de comprendre qu’aucun rouage de l’État n’est conçu pour se plier aux réformateurs ni à la pression démocratique. Tout l’élan va dans l’autre sens. Ce qui s’observe déjà dans « Trump 2.0 », malgré des succès limités, relève de l’anomalie. Il faudra un miracle pour entamer davantage la machine, mais cela reste possible.
L’une des sentences les plus avisées de l’histoire de la pensée politique vient de David Hume. À ses yeux, l’opinion publique joue un rôle décisif dans tout exercice du pouvoir. Quand l’esprit public change, l’État n’a d’autre choix que de suivre.
« Rien ne paraît plus surprenant à ceux qui considèrent les affaires humaines avec un œil philosophique, que la facilité avec laquelle le grand nombre est gouverné par le petit ; et la soumission implicite avec laquelle les hommes résignent leurs propres sentiments et passions à ceux de leurs gouvernants. Lorsque nous cherchons par quels moyens ce prodige s’accomplit, nous trouvons que, la Force étant toujours du côté des gouvernés, les gouvernants n’ont rien pour les soutenir que l’opinion. C’est donc uniquement sur l’opinion que le gouvernement est fondé ; et ce principe s’étend autant aux gouvernements les plus despotiques et militaires qu’aux plus libres et populaires. »
Changer l’esprit public : telle est la tâche essentielle.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Jeffrey Tucker est le fondateur et le président de l'Institut Brownstone. Il est l'auteur de cinq livres, dont : "Right-Wing Collectivism : The Other Threat to Liberty." (Collectivisme de droite : l'autre menace pour la liberté).

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