Un rapport français documente les vastes opérations d’influence du régime chinois au Canada

Un rapport complet révèle l'ampleur des opérations d'influence et de propagande de la Chine dans le monde

Par Noé Chartier
18 octobre 2021 09:56 Mis à jour: 18 octobre 2021 09:56

Les opérations d’influence du régime chinois au Canada sont vastes et omniprésentes, selon un rapport détaillé publié par un groupe de réflexion affilié à l’armée française.

Qu’il s’agisse d’étouffer les voix dissidentes, d’influencer les politiques, les médias et l’éducation, de manipuler l’information et d’utiliser les organisations locales, le Parti communiste chinois (PCC) met à profit toute sa boîte à outils pour influencer le Canada et les ressortissants d’origine chinoise, selon le rapport intitulé Opérations d’influence chinoises : Un moment machiavélien

Si le Canada n’a pas encore réagi efficacement à ces menaces, indique le rapport, la France, pour sa part, a opéré un changement d’état d’esprit à l’égard du régime de Pékin, ce qui l’a conduit à rédiger ce rapport de 640 pages publié en septembre par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), un groupe de réflexion financé par le ministère des Armées.

« En résumé, la prise de conscience, en France, des risques posés par l’influence chinoise est vive et croissante depuis 2019, avec une nette accélération en 2020-2021. C’est dans ce contexte de ‘réveil français’, qui semble désormais irréversible, que s’inscrit la publication du présent rapport en septembre 2021 », écrivent les auteurs Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer.

L’ambassade de Chine en France s’est déclarée « scandalisée » par le rapport de l’IRSEM, qui traite de l’expansion de l’influence du PCC dans le monde et de ses opérations de propagande. L’ambassade a qualifié ce rapport de « pure et simple opération de stigmatisation de la Chine » et de menace dans les relations courantes entre la France et la Chine.

Le Canada ciblé

Les intérêts de la Chine au Canada résident « d’abord et avant tout dans sa diaspora chinoise, qui héberge un grand nombre de dissidents réels ou supposés », indique le rapport. L’une des priorités du régime dans le monde est d’étouffer les défenseurs des Tibétains, des Ouïghours, du Falun Gong, de l’indépendance de Taïwan et de la démocratie chinoise, et cette lutte est également menée sur le sol canadien, indique le rapport.

Le Canada est également une cible en raison de « sa proximité, à tous points de vue, avec le grand rival américain ; son appartenance à des alliances militaires (OTAN) et de renseignement (Five Eyes) d’un grand intérêt pour Pékin ; le fait qu’il s’agisse d’une nation arctique, une zone d’intérêt croissant pour la Chine ; son image de démocratie libérale exemplaire, qui en fait une cible symbolique ; et le fait que ce soit une puissance moyenne, minimisant les conséquences potentielles », indique le rapport.

Réprimer la dissidence

Le rapport met en lumière de nombreux cas de tentatives du PCC de réduire au silence les dissidents et les groupes au Canada qu’il persécute dans son pays.

Par exemple, le consul général de Chine à Toronto a été reconnu coupable de diffamation en 2004 envers un homme d’affaires local pratiquant le Falun Gong. En 2006, le visa d’un diplomate de l’ambassade de Chine n’a pas été renouvelé lorsqu’il a été révélé que sa tâche principale était de traquer et de harceler les pratiquants de Falun Gong au Canada.

Les contre-manifestations pour déconcerter les opposants au régime sont également « systématiques et agressives », selon le rapport, qui donne l’exemple de missions chinoises mobilisant des groupes contre les manifestations en faveur de la démocratie à Hong Kong. Les personnes d’origine chinoise qui manifestent contre le régime au Canada peuvent également se faire photographier subrepticement et leur photo est envoyée en Chine, ce qui peut conduire à leur arrestation si elles tentent d’y retourner, ou à des pressions ou intimidations sur leur famille.

Les dissidents chinois sont également victimes de campagnes de diffamation et d’intimidation, indique le rapport. Citons le cas de l’auteure Sheng Xue, parvenue au Canada après le massacre de la place Tiananmen. En 2012, un mois après avoir reçu la médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II, Sheng Xue est élue présidente de la Fédération pour une Chine démocratique. Elle devient immédiatement la cible d’une campagne de diffamation, des rumeurs et des images trafiquées d’elle circulent sur les médias sociaux. Le rapport indique que la campagne réussit à nuire considérablement aux membres de la Fédération, ce qui conduit finalement à son éclatement et à la démission de Sheng Xue.

La surveillance constante des communautés dissidentes, les cyberattaques, le refus de visas et la fraude d’identité (les agents du PCC envoient des messages irrationnels à des élus aux noms des personnes qu’ils veulent discréditer) sont d’autres outils utilisés par Pékin au Canada, selon le rapport.

Influencer la politique

La section du rapport sur les opérations d’influence politique au Canada s’ouvre sur un commentaire de l’ancien directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) Richard Fadden à la CBC sur les politiciens sous influence étrangère, qui a suscité de vives réactions en 2010.

« Il y a plusieurs politiciens municipaux en Colombie-Britannique, et plusieurs ministres dans au moins deux provinces, qui selon nous sont au moins sous l’influence générale d’un gouvernement étranger », a déclaré M. Fadden.

Ce « gouvernement étranger » n’est autre que la Chine et l’un des ministres a été identifié par la suite comme étant Michael Chan en Ontario, indique le rapport basé sur des informations du Globe and Mail.

Si les politiciens d’origine chinoise sont suivis de près, selon le rapport, Pékin emploie diverses méthodes pour séduire les autres, en offrant, par exemple, des voyages en Chine.

Citant à nouveau le Globe and Mail, le rapport note qu’entre 2006 et 2017, les parlementaires du Sénat et de la Chambre des communes ont effectué 36 voyages en Chine, dont beaucoup ont été financés par l’Institut des affaires étrangères du peuple chinois, un organe du département du travail du Front uni du PCC. Utilisé pour créer des alliances pro-PCC dans le monde entier, le Front uni a notamment pour mission de recueillir des renseignements sur les élites et les organisations et de tenter de les influencer.

L’ancien député libéral John McCallum a effectué des voyages en Chine d’une valeur de 73 300 dollars canadiens entre 2008 et 2015, la facture ayant été payée par le gouvernement chinois ou par des groupes pro-Pékin au Canada.

Le député McCallum est ensuite devenu ministre de l’immigration, puis ambassadeur du Canada en Chine, poste auquel il a été démis en 2019 après avoir fourni des arguments pour la défense de la directrice financière de Huawei, Meng Wangzhou, qui risquait d’être extradée vers les États-Unis pour fraude.

Le rapport décrit l’influence de Pékin au niveau municipal, ainsi que l’ingérence dans les élections fédérales. Lors des récentes élections de 2021, le candidat conservateur Kenny Chiu, qui cherchait à se faire réélire dans la circonscription de Steveston-Richmond East, en Colombie-Britannique, a été ciblé perdant une partie de son électorat.

Kenny Chiu Official Portrait / Portrait Officiel Ottawa, ONTARIO, Canada, le 19 novembre 2019. © HOC-CDC Credit: Mélanie Provencher, Service de photographie de la Chambre des communes

M. Chiu, qui avait l’habitude de prendre des positions critiques à l’égard de Pékin, a déclaré qu’il avait été la cible de désinformation lors de campagnes précédentes, mais que c’était « exceptionnel » lors de la dernière élection. « Ce n’est rien comparé à ce que j’ai vu – c’est multidimensionnel », a déclaré Chiu à Epoch Times pendant la campagne, en faisant référence aux messages sur les médias sociaux, aux commentaires à la radio et aux articles en ligne des médias pro-Pékin qui le dépeignaient de manière négative.

M. Chiu a déclaré que ses anciens partisans l’ont soudainement ignoré, ce qui s’est reflété dans les urnes lorsqu’il a perdu son siège au profit du libéral Parm Bains.

Pendant l’élection, les médias d’État chinois ont également publié des articles hostiles au Parti conservateur et à son dirigeant Erin O’Toole, qui a pris une position ferme contre le PCC.

Des médias sous contrôle

Le rapport de l’IRSEM indique qu’au Canada, la « quasi-totalité des médias de langue chinoise sont contrôlés par le PCC », à l’exception d’Epoch Times et de son média partenaire NTD Television.

« Cela signifie que les immigrants chinois qui parlent peu ou pas du tout l’anglais ou le français sont relativement peu exposés aux valeurs démocratiques et libérales et ne sont pas susceptibles de changer », indique le rapport, qui note que certains vivent au Canada depuis longtemps, mais ont toujours la même mentalité communiste qu’en Chine.

Éducation

Le rapport démontre que la question de l’influence du PCC dans l’éducation comporte de multiples facettes. Il présente des données montrant que plus de 20 % des étudiants étrangers au Canada sont chinois. Le problème est qu’« une partie de ces étudiants travaille pour Pékin », indique le rapport.

Ces étudiants peuvent contribuer à façonner les attitudes envers le PCC sur le campus en exerçant des pressions sur les voix ou les professeurs dissidents, et peuvent également envoyer en Chine des recherches universitaires volées, explique le rapport.

Le rapport cite le directeur du SCRS, David Vigneault, qui a déclaré aux grandes universités en 2018 que « le SCRS évalue que la Chine représente le défi le plus important et le plus clair [pour l’espionnage humain] ciblant les universités canadiennes ».

Le rapport aborde également le sujet des instituts Confucius (IC), ces centres linguistiques et culturels dirigés par Pékin qui se cramponnent à tous les niveaux des établissements d’enseignement. Parmi les incidents notables mentionnés, figure la décision du ministre de l’Éducation du Nouveau-Brunswick, Dominic Cardy, d’annuler le contrat IC de sa province. « Pékin utilisait notre système scolaire comme un canal pour étendre son influence », déclarera-t-il pour justifier sa décision.

Le National Post rapporte que M. Cardy a reçu la visite du consul général de Chine basé à Montréal au sujet de l’annulation du contrat IC. Le consul a fait savoir que ce démantèlement mettrait en péril le commerce entre le Nouveau-Brunswick et la Chine. M. Cardy ne s’est pas laissé décourager. Le Nouveau-Brunswick a annulé le programme dans les écoles élémentaires et intermédiaires en 2019 et le fera dans les écoles secondaires d’ici 2022.

Réaction limitée d’Ottawa

Le rapport indique que le gouvernement fédéral manque de volonté politique pour contrer les manœuvres chinoises sur le sol canadien.

« Malgré les avertissements récurrents du SCRS et les nombreux cas révélés dans la presse, la résistance politique – essentiellement une propension à percevoir la Chine comme un partenaire plutôt que comme une menace – reste forte au Canada », écrivent les auteurs.

Après la libération et le départ du Canada de la directrice financière de Huawei, Meng Wangzhou, le 24 septembre, et le retour simultané des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor, qui étaient détenus arbitrairement en Chine depuis près de trois ans, le ministre des Affaires étrangères Marc Garneau a déclaré que le pays adoptait désormais une approche en quatre volets vis-à-vis de la Chine : « coexister », « rivaliser », « coopérer » et « défier ».

Suite à l’annonce de M. Garneau sur le front de la politique chinoise, l’ancien ambassadeur du Canada en Chine, David Mulroney, a commenté sur Twitter : « Ne vous attendez pas à un changement radical de la part de personnes qui, récemment encore, prônaient un engagement total. Ce qui ne va pas dans notre politique étrangère ne se résume pas à une ou deux retouches. Et la question urgente est maintenant intérieure : L’influence et l’ingérence de la Chine au Canada. »

Angle mort

Si le rapport de l’IRSEM identifie de nombreuses facettes de l’influence de Pékin au Canada, il n’aborde pas l’influence du lobby chinois.

Le 6 octobre, M. Mulroney a déclaré sur Twitter que « le lobby canadien de la Chine fait le trafic de trois puissants mensonges : l’équivalence morale du Canada et de la Chine, la diabolisation des États-Unis et le déni de la menace chinoise. Cela joue sur notre culpabilité progressive, notre vanité nord-américaine et notre manque de volonté de faire ou de consacrer quoi que ce soit pour nous défendre ».

Le rapport ne mentionne pas non plus la capture des élites au Canada, soit les Canadiens fortunés et puissants qui collaborent avec Pékin pour promouvoir les intérêts du régime et influencer les choix politiques du Canada concernant la Chine.

Le livre de Jonathan Manthorpe Claws of the Panda : Beijing’s Campaign of Influence and Intimidation in Canada (Les griffes du panda : La campagne d’influence et d’intimidation de Pékin au Canada) est abondamment cité dans le rapport de l’IRSEM. En 2019, M. Manthorpe a écrit dans Asia Times que la question des « deux Michael » avait un impact profond sur la façon dont la Chine est perçue par l’élite canadienne, qui croyait qu’il existait une « relation spéciale fondée sur une amitié sincère pour le Canada parmi les échelons supérieurs du Parti communiste chinois ».

« Cette illusion est le résultat d’une campagne extraordinairement réussie de ‘capture des élites’ montée par les organes du PCC », écrit-il.

« La campagne a généré une attitude excessivement bénigne et sans méfiance à l’égard de Pékin et du PCC parmi les décideurs politiques, officiels, universitaires et commerciaux du Canada. Cela a permis aux organes du PCC d’influencer la politique canadienne, d’obtenir l’accès aux ressources et aux technologies brevetées du Canada, de prendre un contrôle éditorial presque total sur les médias canadiens de langue chinoise et de pouvoir envoyer des agents du ministère de la Sécurité d’État au Canada pour intimider les citoyens canadiens que Pékin considère comme des dissidents. »

Jonathan Manthorpe a déclaré pour Epoch Times que selon lui le rapport français est « un ouvrage impressionnant ».

« En ce qui concerne la section canadienne, les rédacteurs de l’IRSEM ont fait un travail minutieux pour rapporter les études et les évaluations de tous les Canadiens qui mettent en garde depuis des années contre l’influence et l’infiltration par des agents du Parti communiste chinois », a-t-il déclaré.

Lobby des affaires

Quatre jours après la libération de MM. Kovrig et Spavor, le Conseil commercial Canada-Chine (CCBC) a organisé un webinaire sur le 14e plan quinquennal de la Chine (14e FYP) afin d’aider les entreprises canadiennes à s’orienter dans l’évolution de l’économie chinoise et à « saisir les opportunités à venir sur le marché chinois ».

L’ambassadeur du Canada en Chine, Dominic Barton, et l’ambassadeur de Chine au Canada, Cong Peiwu, ont tous deux soumis leurs réflexions.

Une description de l’événement indique que « les entreprises canadiennes qui peuvent contribuer aux nouveaux objectifs de la Chine sont susceptibles de prospérer ; celles qui ne le peuvent pas pourraient être confrontées à un environnement opérationnel plus difficile dans les années à venir ».

Un rapport produit par le CCBC et Trivium China indique que « assurer la ‘sécurité économique’ est un thème clé du 14e FYP ».

Un résumé du rapport note que « l’horizon politique pour les entreprises canadiennes [en Chine] se complique » mais suggère néanmoins que « les entreprises devraient chercher à structurer leurs opérations commerciales en Chine en fonction des objectifs stratégiques de Pékin ».

L’un des membres fondateurs du CCBC, qui a été créé en 1978, est la société montréalaise Power Corporation, une entreprise de services financiers de plusieurs milliards de dollars. Dans son livre, M. Manthorpe décrit Power Corp. comme « le premier gardien des relations officielles [du Canada] avec la Chine ».

Lobby politique

Si c’est un exemple de capture de l’élite du côté des entreprises, le phénomène est également tangible du côté politique. L’affaire Meng a montré comment d’anciennes personnalités politiques de haut rang ont tenté d’influencer les débats.

Le rapport de l’IRSEM note l’effort en juin 2020 de 19 anciens parlementaires et diplomates de haut rang, dont deux anciens ministres des Affaires étrangères, ayant adressé une lettre ouverte au Premier ministre Justin Trudeau pour lui demander la libération de Mme Meng. « Se conformer à la demande des États-Unis a fortement opposé la Chine », ont écrit les signataires, ajoutant que la libération de Meng permettrait le retour de MM. Kovrig et Spavor.

Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei, quitte son domicile à Vancouver, Canada, pour assister à une audience au tribunal, le 24 septembre 2021. (Don MacKinnon/AFP via Getty Images)

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