Rencontre avec David Fray, pianiste français hautement inspiré

10 novembre 2015 16:10 Mis à jour: 10 novembre 2015 16:10

NEW YORK – Exquis, imaginatif et virtuose sont les premiers mots qui viennent à l’esprit pour décrire le pianiste David Fray. Très sensible, souhaitant parfois l’être un peu moins, David Fray sait comment tendre vers sa créativité, comment la protéger. Un soin peut être identique à celui qu’il déploie envers son immense jardin dans le sud-ouest de la France, dans les Pyrénées.

Ses interprétations musicales de compositeurs qu’il apprécie – Bach, Mozart, Beethoven, Schumann, Ravel, Chostakovitch, Brahms et plus intimement, Schubert – montre un talent artistique et une originalité dont il est difficile d’imaginer l’origine.

Ironiquement, malgré tout le temps qu’il faut pour être un pianiste de concert ou un jardinier, David Fray dit que la patience et l’intrépidité sont les deux aspects qu’il a besoin le plus de travailler dans son caractère.

« Un artiste doit se battre contre ses propres peurs et ses faiblesses et être un artiste qui ne travaille pas seulement sur la musique, mais qui travaille sur lui-même à travers la musique», a-t-il déclaré.

En vivant dans une société généralement orientée vers la gratification instantanée, il trouve difficile d’accepter le fait que lorsque l’on plante une graine, on ne sait pas exactement quand cela va donner des résultats.

Le pianiste David Fray dans la Chambre des officiers du Park Avenue Armory à New York le 7 octobre 2015. (Benjamin Chasteen / Epoch Times)
Le pianiste David Fray dans la Chambre des officiers du Park Avenue Armory à New York le 7 octobre 2015. (Benjamin Chasteen / Epoch Times)

En tant qu’artiste, David Fray se perçoit comme un conduit. « Tout doit vibrer dans le corps des musiciens … pour les chanteurs c’est évident, mais c’est aussi le cas pour les pianistes ou les violonistes » a-t-il remarqué.

Il n’est pas facile d’être un conduit au 21e siècle, d’avoir une interprétation fraîche d’une musique des siècles passés quand le rythme de la vie était beaucoup plus doux et plus humain. Voilà peut-être pourquoi il est si satisfaisant de pouvoir l’écouter jouer.

Lorsque David Fray n’est pas en performance (il fait environ 50 concerts par an), il aime passer du temps avec sa famille ou seul, dans la nature. Il montre fièrement une photo de sa fille de 4 ans, petit bout avec deux grands yeux adorables. Il a rencontré sa femme, l’actrice italienne et metteur en scène d’opéra, Chiara Muti, quand il a collaboré avec son père, le chef d’orchestre Riccardo Muti.

Un récital sérieux, Schubert vue par David Fray
Du moment où il joue sa première note, David Fray se voûte sur son siège devant le piano à queue. Son visage ciselé se transforme. Parfois grimaçant, parfois grognant, il crée l’illusion de devenir un seul corps en résonance avec son piano. Il a l’air par exemple complètement absorbé en jouant Schubert, un compositeur qu’il pense être le plus proche de l’expression de l’âme humaine.

« J’ai très souvent l’impression que Schubert a fait venir ses compositions d’un autre monde. C’est comme si il était déjà passé de l’autre côté de la vie » a-t-il déclaré lors de son interview à Park Avenue Armory, le lendemain du premier de ces deux spectacles des 6 et 9 octobre.
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L’atmosphère militaire et l’acoustique chaude de la pièce d’armurerie tapissée de bois permettent de situer l’exacte bonne humeur pour les trois sonates de Schubert pour piano que David Fray a choisi de jouer : la Sonate n°7 en Mi mineur (D. 566, 1817), la Sonate n°16 en La mineur (D. 784, 1823), et la Sonate n°20 en Sol majeur (D. 894, 1826, la « Fantaisie »). Seule la « Fantaisie » peut être entendue sur son dernier album. Ce titre « La Fantaisie de Schubert »  a d’ailleurs reçu d’excellentes critiques. Ainsi, le musicien donne une chance rare d’entendre la trajectoire du développement de Schubert dans les 10 dernières années de sa courte vie de compositeur.

David Fray façonne ainsi les silences et les notes explosives de Schubert avec une incroyable cohérence, jouant d’un équilibre extraordinaire entre la pensée et le cœur, entre la rigueur technique et la poésie. Malgré ses grimaces involontaires, ces grognements et ces gestes d’estoc, le pianiste dit qu’à l’intérieur de lui-même, il est en fait détaché quand il joue.

Il évoque le paradoxe de Diderot (« Le paradoxe sur le comédien ») pour expliquer qu’il n’a pas besoin d’être déplacé par les émotions qu’il interprète afin d’émouvoir le public. Pourtant, il y a des exceptions. « Parfois, pour être honnête, la sonate en La mineur est quelque chose qui, à mon avis, est difficile à jouer sans être touché par ce que vous jouez » a-t-il dit.

David Fray joue cette pièce tragique avec une telle délicatesse que l’on pourrait presque sentir l’état dans lequel Schubert était quand il a écrit cette sonate à la structure non conventionnelle. Schubert l’a écrit après son premier combat contre la syphilis. David Fray l’a appelé « sonate de fantôme ». En effet, quand il joue, il semble entrer dans un univers fantasmagorique.

« Même si vous avez cette immobilité, même dans les moments les plus pacifiques, il y a toujours un certain débit, un mouvement intérieur.» – David Fray

Cela se déroule dans une progression d’accords, de contretemps, de silences, de mélodies lyriques magnifiques et d’éclats soudains et inattendus de l’émotion. L’ensemble de la pièce transmet une sensation de patience. David Fray note que si la musique de Schubert peut sembler triste, elle donne également un sentiment d’espoir en acceptant sa propre condition.

« Cela n’est jamais entièrement triste ou heureux, ou en colère, ou calme, ou paisible, très souvent c’est un mélange », déclare l’artiste. « Schubert est peut-être le plus grand compositeur pour faire comprendre aux gens toute la complexité et la subtilité des sentiments humains », a-t-il ajouté.

Avant le rappel, David Fray a joué la monumentale Sonate de Schubert en Sol majeur avec une égale intensité. Les hésitations dans le rythme immaculé de David Fray ont rempli la salle d’excitation.

« Même si vous avez cette immobilité, même dans les moments les plus pacifiques, il y a toujours un certain débit, un mouvement intérieur. Cela doit toujours aller un peu plus vers l’avant et c’est une chose à ne jamais oublier chez Schubert », a-t-il dit.
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À la fin, il essuie la sueur de son front avec un mouchoir blanc, tient sa poitrine et se prosterne en toute sincérité dans la magnifique Chambre des officiers du Park Avenue Armory.

Un interprète charmant
David Fray a maintenant 34 ans. Il a commencé à jouer du piano à l’âge de 4 ans, tout simplement parce que ses parents, tous deux enseignants, pensaient que c’était une bonne idée. La transition de son éducation à sa carrière professionnelle – en tant que récitaliste, soliste, musicien collaborant avec les plus grands chefs d’orchestre et directeur de grands orchestres –  s’est faite de façon linéaire.

Il a rapidement connu la célébrité internationale en 2006 quand il a reçu une ovation pour sa performance au Théâtre du Châtelet à Paris et peu de temps après avec son interprétation incroyablement fraîche de Bach.

L’enregistrement de son album, « Concertos de JS Bach » avec l’orchestre philharmonique Deutsche Kammerphilharmonie Bremen a été fait dans le cadre du documentaire « Sing, Swing & Think » réalisé par Bruno Monsaingeon en 2008. Il donne un aperçu fascinant de son art en tant que pianiste, interprète et directeur d’orchestre. Ses décisions, la clarté de sa vision et sa sensibilité sont irréfutables. Sa décision d’interpréter Bach, un compositeur qui est fortement vénéré par tout musicien sérieux, montre également beaucoup de courage de sa part.

« La perfection de la langue et de la complexité de Bach et l’énorme production qu’il a eu, est quelque chose de divin », a déclaré David Fray. « Bach est le début et la fin de tout. Vous avez tout avec Bach – tout. Il a résumé toute la musique qui existait avant lui, mais il a également prévu tout ce qui pourrait être fait après lui » a expliqué le pianiste.

Certaines personnes, peut-être habituées à une approche sèche et grave de Bach ont été surprises par l’interprétation lyrique de David Fray, en particulier dans ses « Concertos de JS Bach ». C’est un album qu’on pourrait écouter sans fin, rempli d’une imagination et d’une énergie qui ne peuvent pas être contenues. Il en affirme: «Vous voulez danser avec ».

David Fray pense profondément que, bien que la musique de Bach soit quelque chose de divin contemplant l’humanité d’en haut, il faut la rendre aussi vivante, aussi émouvante et aussi humaine que possible. On ne peut pas simplement être pédant seulement pour avoir étudié dans les conservatoires.

« Comment est-il possible de créer et de donner une sensation de silence, mais avec le son ? Voilà un mystère… » – David Fray

« Vous mettez votre propre souffle dans la partition, puis la partition devient vivante. En français, nous disons que ‘la partition a soufflé’», a dit le pianiste.

Le pianiste David Fray pratique sur le piano de la Chambre des officiers du Park Avenue Armory à New York le 7 octobre 2015 (Benjamin Chasteen / Epoch Times)
Le pianiste David Fray pratique sur le piano de la Chambre des officiers du Park Avenue Armory à New York le 7 octobre 2015 (Benjamin Chasteen / Epoch Times)

Alors qu’il a à comprendre et à maîtriser toute la complexité de la musique de Bach, le public ne devrait pas avoir un « mal de tête » pour cela, a-t-il dit, s’excusant de son utilisation de l’anglais. C’est son travail de l’amener à la vie, après des heures et des heures de recherche et de travail au piano. En fin de compte, pour le public, « l’émotion est la seule chose qui compte », a-t-il dit.

Pour David Fray, contrairement à la perfection de Bach, le génie de Mozart ou la précision de Beethoven – pour qui chaque note est la partie d’une progression globale de la structure –  avec Schubert, vous devez accepter parfois de vous perdre. Schubert contemple l’humanité les yeux dans les yeux ; il est à la fois dans la recherche et dans l’ambiguïté.

« Je suis juste ici pour montrer aux gens la beauté des choses qui passent souvent inaperçues. Voilà tout ce qu’est l’art.» – David Fray

Schubert est le plus à même d’engager l’artiste dans ce qui peut-être son défi musical préféré: « Comment est-il possible de créer et de donner une sensation de silence, mais avec le son ? Voilà un mystère… La musique crée le silence », a-t-il abordé en expliquant un autre paradoxe.

Il compare la musique de Schubert à des tableaux de Johannes Vermeer, qui dit-il sont comme « des images visuelles du silence ». Dans les compositions de Schubert, il y a des « trous dans la partition … qui sont aussi importants que lorsque vous jouez autant que lorsque vous ne jouez pas », a dit David Fray, hésitant en milieu de sa phrase, créant le genre de silence dont il parlait.

« Le petit laboratoire intime »
Il serait impossible de quantifier combien de temps et de dévouement le pianiste investit en interprétant chaque morceau qu’il joue. Parfois, il peut passer 30 minutes à apprendre la formulation de quelques notes.

C’est un très long processus pour interpréter la pièce d’un compositeur ; cela peut prendre des années, voire des décennies. Pour David Fray c’est quelque chose comme de la digestion. Cela commence quand il commence à regarder la partition.

« J’ai la nécessité intérieure que les gens obtiennent le même sentiment que j’ai lorsque je découvre un morceau… Je suis heureux si le public comprend comment un morceau est puissant et incroyable; c’est mon objectif » , a-t-il dit.

Le musicien est toujours à la recherche de ce qui est derrière les choses, par exemple, un certain accord, un rythme ou la dynamique d’une composition. Cela nécessite une connaissance très précise de la partition, d’entrer dans l’état d’esprit du compositeur et de considérer le contexte particulier de la pièce.

Quand on lui demande d’où il tire son inspiration quand il interprète différents morceaux, il répond : « Très souvent, cela me vient naturellement ». Mais il n’y a pas de processus qui peut être simplifié car sinon « ce serait diminuer la puissance du message de la musique », selon lui.

Une des plus grandes leçons tirées que David Fray a retenu de son enseignant Jacques Rouvier – qui joue avec lui sur le morceau de son album « La Fantaisie de Schubert Fantaisie » –  a été les exigences attendues d’un artiste.

« Ce n’est jamais aussi facile qu’on pense et parfois ce n’est pas aussi compliqué que l’on pense », a déclaré David Fray. Selon lui, le public a de la joie à expérimenter le résultat d’un processus difficile à comprendre.

Si l’artiste ne recueillait pas l’inspiration de ce qu’il appelle son « petit laboratoire intime », si il ne voulait pas affronter ses peurs, plonger en profondeur dans ce qu’il perçoit et pense, si il ne travaillait pas sur sa conscience comme il travaille sur sa musique et si il ne cultivait pas son art avec une patience qui défie le monde moderne de la gratification immédiate, alors nous ne serions pas en mesure d’apprécier autant la musique qu’il peut jouer.

« Je suis juste ici pour montrer aux gens la beauté des choses qui passent souvent inaperçues. Voilà tout ce qu’est l’art. Un artiste permet d’ouvrir les yeux, d’ouvrir les oreilles et d’ouvrir le cœur », a déclaré le musicien.

Si vous écoutez une des musiques de David Fray, de façon inattendue, il infiltrera doucement en vous la grâce, la beauté, la tragédie, la joie ; et toute la complexité de la vie se révélera d’une manière plus agréable.
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Version anglaise : David Fray, a Most Inspired Pianist

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