René Chiche : «On a créé un système scolaire dans lequel on délivre le baccalauréat à des jeunes qui ne savent parfois même pas orthographier le mot baccalauréat»

Par Etienne Fauchaire
5 septembre 2023 19:42 Mis à jour: 15 novembre 2023 05:48

Professeur agrégé de philosophie, René Chiche est également vice-président et porte-parole du syndicat « Action et Démocratie – CFE-CGC », membre du Conseil supérieur de l’éducation et auteur d’un ouvrage intitulé La désinstruction nationale paru en 2019 aux éditions Ovadia. Dans cet entretien fleuve, il décrypte la conférence de presse tenue le 28 août par le nouveau ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal, dont il dénonce les effets de manche, avant d’analyser, au-delà des sentiers battus médiatiques, les maux réels qui pèsent sur l’école et les solutions qui permettraient d’y remédier. Premier chantier : remettre l’instruction au cœur des préoccupations.

Etienne Fauchaire : En écoutant la conférence de presse de rentrée de Gabriel Attal, votre première réaction a été de noter l’absence de l’emploi du mot « instruction ». Que cela traduit-il à vos yeux ?

René Chiche : J’ai souligné l’absence du mot instruction, en réalité, d’abord parce que le ministre, dans sa conférence de presse, a utilisé une expression qui m’a fait bondir : le « choc des savoirs ». Cette formule, qui relève du registre publicitaire, est totalement contraire à ce qui doit se passer au sein de l’école. L’école est un mot qui vient du grec skholè, signifiant le loisir. C’est un lieu où l’on prend soin de l’intelligence et où on lui apporte la nourriture dont elle a besoin, la vraie culture. On se situe donc aux antipodes de ce que véhicule l’expression « choc des savoirs » et, de manière générale, toute communication tapageuse qui vise à faire réagir au lieu de faire réfléchir. Mais le fait de préférer cette expression à la notion d’instruction était aussi pour moi très révélateur. Je n’en suis pas très surpris : Gabriel Attal est lui-même un produit de ce système dans lequel l’instruction est devenue un gros mot. Figurez-vous que dès qu’on le prononce, on est marqué comme conservateur ou réactionnaire ! Y compris au sein même de l’Éducation nationale ! Dans l’organigramme de l’administration centrale, il y a celui qu’on appelle parfois le « numéro deux » du ministère : le Dgesco, (Directeur général de l’enseignement scolaire). Ce dernier est à la tête d’une administration dans laquelle on finit par trouver une sous-direction de l’instruction. Vous vous rendez compte ! Le ministère de l’Éducation nationale comporte en son sein une sous-direction de l’instruction alors que l’école est, tout de même, par nature et par définition, l’institution vouée à l’instruction. Tant qu’à utiliser des formules chocs, j’aurais donc aimé que le ministre assume de dire, quitte à choquer, qu’il remettrait l’instruction au cœur de l’école.

Par son discours, Gabriel Attal a renvoyé l’impression qu’il souhaitait se démarquer de la politique menée par son prédécesseur, Pap Ndiaye. Pensez-vous qu’il ne s’agissait là que d’une performance de communication ou bien peut-on s’attendre à un réel changement ?

Gabriel Attal a donné l’impression que la politique du gouvernement allait prendre un virage à 180 degrés. Il a pris soin en effet de se démarquer de son prédécesseur sur le plan du discours. En revanche, cette performance de communication dissimule une réalité tout autre. Pendant l’été, une avalanche de texte s’est abattue sur l’éducation nationale, de nombreux décrets ont été pris et publiés au Journal officiel pour être appliqués dès cette rentrée 2023. Or, ils ont tous été conçus par l’administration précédente. En réalité, Gabriel Attal, cette année, se contentera de les faire appliquer et au moment de sa conférence de presse, en donnant le sentiment de changer complètement de politique, il n’avait encore véritablement pris aucune mesure et trompait son auditoire en faisant croire que les mesures déjà prises traduisaient en actes les changements annoncés.

Cette conférence de presse a surtout été un exercice, réussi d’un certain point de vue, de communication. Alors que la crise de l’école est profonde, lui et les journalistes, dans une sorte de numéro de duettiste parfaitement réglé, se repaissent d’éléments de langage et sont en train d’agiter un tas de sujets qui font couler beaucoup d’encre : l’abaya, la laïcité ou encore le harcèlement scolaire. Je ne les considère pas comme de faux sujets, mais le premier problème auquel il faut s’atteler, c’est la reconstruction de l’école : on a tout de même réussi à créer un système scolaire dans lequel on délivre le baccalauréat à des jeunes gens qui ne savent parfois même pas orthographier correctement le mot baccalauréat ! Et, contrairement à d’autres, je ne me contente pas de dire qu’il faut plus de moyens pour tout résoudre car, au contraire, si l’on met plus d’argent dans l’école sans changer de cap, on finance en réalité ce que j’appelle la désinstruction nationale.

Le budget de l’Éducation nationale constitue le premier budget de la Nation. Pourtant, le niveau scolaire des écoliers français poursuit son déclin. Un point d’ailleurs reconnu par Gabriel Attal, qui a noté dans son discours que près d’un élève sur trois entrant en Sixième ne dispose pas du niveau suffisant en français ou en mathématiques. Comment l’expliquez-vous ?

Il faut commencer par l’essentiel : l’école, c’est avant tout des professeurs et des élèves. À partir du moment où l’on a d’excellents professeurs qui maitrisent parfaitement leur discipline et dès lors qu’on leur fiche la paix, tout se passe bien. C’est ainsi que l’école s’est développée en réalité, sur le terrain, par ceux qui la font, formant pendant des décennies non seulement des élites, mais aussi des gens de catégories sociales modestes et pourtant vraiment instruits. Le but de l’école en effet n’est pas de permettre à tout le monde de devenir avocat ou médecin, puisque c’est ce qu’on met au fond dans le terme réussite, mais bien de fournir à chacun la capacité de pouvoir se former un jugement solide, clair, instruit sur tous les sujets. J’ai de nombreux témoignages de ces Français qui, dans les années 1950, même s’ils étaient simplement allés jusqu’au certificat d’études, avaient néanmoins pu bénéficier d’une véritable instruction, visible au premier coup d’œil par l’écriture ou le vocabulaire utilisé dans une simple conversation. En une quarantaine d’années, le professeur, qui était respecté et recruté pour exercer cette mission précise qui est d’instruire, a vu son métier non seulement déconsidéré mais réaffecté à la résolution de problèmes extérieurs, qui relèvent du champ sociétal. De ce fait, malgré le budget de l’Éducation nationale, mais aussi malgré le nombre considérable d’heures passées sur les bancs de l’école, les élèves n’apprennent aujourd’hui plus grand-chose. Il faut se mettre face à cette réalité : la crise de recrutement, que plus personne ne peut nier, et la crise de vocation, encore plus grave, sont des sujets majeurs. Ce n’est qu’à partir du moment où l’on recrutera de très bons professeurs, à qui on laissera enfin le soin de mener leur mission en paix, que les choses pourront s’améliorer. À défaut, la situation du point de vue de l’éducation se dégradera toujours plus.

Recruter des professeurs compétents pouvant exercer leur fonction en paix serait-il suffisant pour remédier aux maux qui affligent l’école ?

Le premier moyen, le moyen fondamental, c’est celui-ci. Mais les choses se sont tellement détériorées qu’on ne peut pas comme cela, du jour au lendemain, reconstituer un corps de professeurs très compétents et bien payés. Pourquoi ? Parce que, sous l’effet de ce qu’on a appelé la massification de l’école à partir de la fin des années 1960, on a sacrifié l’exigence pour gérer les flux. Au nom de l’égalité, on a ouvert grand les portes du collège et, par la suite, du lycée. Il a donc fallu recruter en masse des enseignants. Mécaniquement, le niveau a commencé à chuter, ce qui est assez évident à entendre puisque si, à un concours, vous preniez les 100 premiers et que vous prenez ensuite les 1000 premiers, le niveau moyen n’est pas du tout le même. Si je ne remets pas en cause cette massification, légitime au sein d’une démocratie, elle doit cependant se faire en respectant la nature des choses au lieu de lui tourner le dos et d’en arriver à appeler un chat un chien. Il est parfaitement possible, en étant un peu inventif, d’associer massification et excellence.

Prenons un exemple. Au départ, il existait un seul baccalauréat, qu’on appelle aujourd’hui le baccalauréat général. Ensuite, on a créé les filières du baccalauréat (littéraires, scientifiques, etc.) puis le baccalauréat technologique, et dans les années 1980, le baccalauréat professionnel. Aujourd’hui, il y a donc trois voies, mais tout le monde veut aller sur la même voie. Un des grands problèmes dont souffre l’école, c’est qu’on présente toujours, explicitement ou implicitement, la voie générale comme celle de la réussite, tandis que les voies technologiques et professionnelles sont présentées et vécues comme des voies de relégation, où l’on est orienté par défaut. Or, qu’est-ce que le baccalauréat général ? Contrairement à une croyance répandue, il n’est pas une fin en soi, mais le premier grade de l’enseignement supérieur. Cela veut dire que les lycées d’enseignement général devraient accueillir uniquement les élèves qui envisagent de se lancer dans de longues études et qui ont donc un goût pour l’étude. A contrario, la voie technologique permet de faire des études supérieures courtes, tandis que la voie professionnelle permet, dès l’obtention du diplôme, d’être employé.

Il s’agit là de la théorie. Hélas, dans les faits, c’est très différent. Je vais vous donner un exemple tiré de ma propre expérience professorale. Depuis des années, lorsque j’interroge mes élèves de Terminale générale, à qui j’enseigne la philosophie, et que je leur demande s’ils comptent poursuivre des études supérieures à l’issue du bac, plus de la moitié des élèves affirment ne pas être intéressés par cela. Par qui ont-ils alors été poussés à s’engager dans une filière générale ? par leurs parents ? par la société ? par le système ? Les responsabilités sont sans doute partagées. Quoi qu’il en soit, ils ont été orientés dans une voie qui est pour beaucoup une voie de garage, une voie sans issue. Je crois qu’on a là la source de presque tous les problèmes. Pour y remédier, au lieu de prendre les mesures de bon sens qui s’imposent, chaque ministre y va de sa réforme des études générales afin de les adapter au goût supposé des élèves en leur donnant l’impression qu’ils peuvent choisir ce qu’ils doivent apprendre. Le baccalauréat Blanquer, par exemple, a été vendu à l’opinion avec cette idée que les lycéens seraient plus heureux, plus épanouis et plus motivés parce qu’ils allaient enfin pouvoir choisir ce qu’ils voulaient apprendre et étudier. Ce qui est en soi totalement contraire à la notion même d’instruction. Vous imaginez bien que vous ne pouvez pas demander à un enfant, et même à un adolescent, ce qu’il doit apprendre. Si vous le mettez dans cette position-là, vous renoncez à votre propre responsabilité d’éducateur.

Vous avez souligné le fait qu’on ait ouvert grand les portes du lycée et du collège sous couvert d’égalité, mais aussi le fait qu’on en soit arrivé à un système dans lequel le diplôme du baccalauréat est donné à tous les élèves. Considérez-vous que l’Éducation nationale a été dévoyée par l’égalitarisme ?

Je ne parlerai pas forcément d’égalitarisme, car ce mot est presque un procès d’intention. À mes yeux, il s’agit plutôt d’un processus qu’on a laissé se mettre en place par petites touches progressives et qui a néanmoins profondément transformé — pour ne pas dire défiguré — l’école au point d’en faire le contraire de ce qu’elle est et doit être. S’il a pris du temps, ce processus ne me semble pas l’effet d’une intention ni d’une idéologie, pas plus qu’il n’est à mettre sur le compte d’un courant politique, puisqu’en réalité, malgré les alternances entre la droite et la gauche, au fond, c’est une même politique éducative qui a été à l’œuvre pendant 40 ans de désinstruction et qui aboutit maintenant à ce que des élèves ayant passé quinze ans sur les bancs de l’école parviennent aux études supérieures sans même maîtriser la langue française. C’est un scandale. Dans quel autre domaine accepterait-on cela ? Pourquoi les Français acceptent-ils cela ? Manifestement, les responsabilités sont partagées entre la société dans son intégralité, les politiques et les acteurs de l’Éducation nationale.

La prise en main du pouvoir à l’Éducation nationale par les pédagogistes 40 ans plus tôt est une cause souvent avancée pour expliquer la chute du niveau scolaire. Partagez-vous ce constat ?

Je dirais que ces gens-là font plutôt partie des effets que des causes. Si nos attentes vis-à-vis de l’école n’avaient pas profondément changé, ils n’auraient pas pu rencontrer ce niveau de succès. En vérité, les pédagogistes ont profité d’un mouvement général qui n’affecte pas seulement l’école, mais toutes les institutions et qui est caractérisé par une perte des repères et du bon sens. Au fond, on appelle pédagogisme un ensemble de doctrines, de théories pédantes et de préconisations délirantes qui tournent le dos au bon sens pédagogique. On résume souvent le pédagogisme par la formule selon laquelle l’élève doit être l’auteur de ses propres apprentissages. Pourtant, il existe une part de vrai là-dedans, car l’élève qui apprend par cœur des choses qu’il ne comprend pas n’est évidemment pas instruit. Donc il faut bien qu’il puisse concevoir par lui-même ce qu’on lui apprend. Descartes le disait déjà, mais c’est un message qui a été complètement dévoyé, car le niveau de ceux qui ont essayé d’appliquer et d’étendre cette règle de bon sens est lui-même très bas, on y revient.

On pointe souvent du doigt le pédagogisme et les politiques s’y mettent désormais — comme l’a fait récemment Macron dans un récent entretien sur l’éducation — mais, puisque je viens d’évoquer le niveau des pédagogistes, il y a un autre facteur qu’on ne met pas suffisamment en avant : celui de la chute du niveau des études universitaires. Peut-être la vraie cause se situe-t-elle là et je ne peux ici qu’effleurer le sujet, mais je vois bien que les sciences humaines ont fourni à un tas de gens à peine cultivés une espèce de prêt-à-penser qui les a dispensés d’avoir cette modestie et cette prudence que l’on acquiert par une culture classique, les sciences humaines et leur vulgate — mais il n’est pas toujours facile de les distinguer — leur donnant la possibilité puis l’habitude de projeter sur le réel leurs idées approximatives. Le pédagogisme est à mes yeux l’un des effets collatéraux de cette évolution.

Dans son discours, Gabriel Attal a indiqué vouloir « bâtir une école qui émancipe », reprenant un vocabulaire propre à la gauche. À droite, on fait remarquer qu’elle est avant tout un lieu de transmission, d’instruction. Comment percevez-vous ce discours selon lequel l’école devrait permettre l’émancipation ?

Dire que l’école doit émanciper, c’est mettre la charrue avant les bœufs, puisque, précisément, ce qui émancipe, c’est l’instruction. Donc on ne peut pas faire l’économie de l’instruction et par conséquent du travail, y compris dans ce qu’il a de plus ingrat. Un professeur n’a pas pour mission ni pour fonction de se faire aimer, et les adultes, d’une façon générale, ne sont pas là pour flatter la jeunesse, sauf à ne plus se conduire en adulte justement. Personnellement, je crois que le fond du problème, c’est celui de l’autorité. D’ailleurs, Gabriel Attal, puisque vous faites référence à son discours, a fait état de sa volonté de restaurer l’autorité.

Il a évoqué le thème de l’autorité sans toutefois faire état de mesures qui permettraient concrètement de la rétablir.

Tout à fait. Il s’agit typiquement en l’espèce d’un élément de langage. En revanche, dans le même discours, il annonce comme autre priorité la lutte contre le harcèlement. Ici, nous avons l’exemple de deux choses qui se contredisent. Je vais dire quelque chose qui va peut-être choquer : le harcèlement scolaire n’existe pas. Il s’agit d’un phénomène monté de toutes pièces à l’aide de ce mot inadapté et qui fait un peu peur. En réalité, depuis toujours, à l’école, il y a de la méchanceté entre les élèves. Il faut employer les bons mots, les mots justes. Face à cette méchanceté, le devoir des adultes, c’est d’y être sensible et d’y répondre fermement. Pourquoi y a-t-il des problèmes de harcèlement aujourd’hui à l’école ? Parce qu’il y a une crise de l’autorité. Parce que les adultes ne jouent pas leur rôle. Et parce que certains d’entre eux, il faut aussi le dire, n’ont pas cette sensibilité élémentaire à la souffrance d’autrui qui fait que, devant elle, on agit sans tergiverser et sans avoir besoin d’une circulaire ministérielle. Je parle ici de la maltraitance dont sont victimes des enfants du fait d’autres enfants au sein de l’école, car évidemment, le cyberharcèlement comme on dit, autrement dit la méchanceté qui se donne libre cours sur le net, c’est autre chose et on ne la voit pas, comme l’autre. La plupart des élèves harcelés à l’école sont aussi de bons élèves et ils sont harcelés parce qu’ils sont de bons élèves. Je me souviens avoir participé à une émission de Pascal Praud sur CNews où il avait invité les parents d’un élève harcelé, c’est-à-dire insulté, persécuté, frappé par d’autres élèves. C’est une affaire qui avait fait la Une lorsque ses parents ont dû retirer leur fils de son école. À un moment donné, alors que tout le monde écoutait le récit édifiant des parents, j’interromps la discussion et pose la question que personne ne leur avait encore posée : qu’est-ce qui était reproché à leur enfant par les autres élèves ? Sans surprise, j’ai eu la réponse à laquelle je m’attendais : cet élève était un bon élève. Et ses petits camarades ne le supportaient pas. J’ai donc l’impression qu’on en fait des tonnes sur le harcèlement pour ne pas assumer le vrai sujet, à savoir qu’il n’y a plus de discipline, de bon sens et d’autorité à l’école. Chacun dès lors peut faire ce qu’il veut. Il n’y a plus de repères, on s’est mis à tout négocier, à commencer par la règle. Ce qui se répercute ensuite dans les copies puisque, n’apprenant plus rien, les étudiants ne savent pas écrire. En détruisant les structures dont tout être humain a besoin pour se construire et pousser droit, si je puis dire, on laisse libre cours à la violence. On a eu une illustration très éloquente de ce que je dis là il y a quelques années lorsque le hashtag « pas de vague » avait circulé sur les réseaux sociaux après qu’un lycéen ait braqué une arme factice sur son enseignante terrorisée en lui lançant : « Tu me mets présent sinon je te bute ». Il paraît qu’une telle chose est devenue banale dans certains endroits ! Comment est-il possible que des choses pareilles se produisent dans l’école ? Et comment peut-on les laisser se produire ? À quel niveau de démission en est-on arrivé ?

Des élèves n’ont donc plus les repères qu’ils devraient avoir, bien qu’ils soient très capables de revendiquer des droits quand ils le veulent. Certains diront que l’éducation, c’est la famille et que l’école, c’est l’instruction. Certes, il est beaucoup plus facile en effet d’instruire des élèves bien éduqués, je l’accorde. Mais l’instruction a aussi des vertus éducatives, car l’instruction suppose le travail, la patience, le respect des règles aussi. Et tout cela forge le caractère, éduque.

L’ingérence des parents d’élèves, qui s’opposent par exemple au professeur lorsque celui-ci sanctionne leur enfant, est un problème régulièrement soulevé. Quelle place cet aspect prend-il dans la crise de l’école ?

La place donnée aux parents d’élèves dans l’institution est une des principales sources des difficultés qu’on y rencontre maintenant, en effet. C’est la loi de 1989 qui a instauré la notion de communauté éducative. Depuis, toute une frange de la corporation des professeurs et de leurs syndicats majoritaires considèrent les parents comme des partenaires ou, comme ils aiment à s’appeler entre eux, des co-éducateurs. Comment l’élève saurait quelle est sa place si ses propres parents ne savent pas rester à la leur. Je vois bien chez certains, que j’appelle les parents professionnels » et qui vont jusqu’à discuter des programmes, de l’organisation et du contenu des enseignements, même au Conseil supérieur de l’éducation par le truchement de leurs représentants, que sous couvert de s’ériger en partenaires des professeurs, ils leur font concurrence quand ils ne veulent pas tout simplement leur dicter leur conduite ; eh bien qu’ils passent les concours et deviennent professeurs ! Un autre aspect de ce problème, du phénomène de la désinstitutionalisation de l’école, est que celle-ci est désormais perçue par la plupart des parents comme un service. D’ailleurs, la plupart des syndicats, sauf le mien, parlent également de l’école comme d’un service public et non comme d’une institution. Pourtant, vous ne parlez pas de l’armée, de la police, de la justice comme de services mais bien comme d’institutions. Les élèves ne sont pas des usagers, les parents encore moins et je n’accepte dans ma classe que des élèves, quel que soit leur âge. Être élève, c’est occuper une place. Une institution, c’est d’abord ce qui donne à chacun une place. La première et la plus universelle de toute les institutions, comme l’a mis en évidence Lévi-Strauss, est la prohibition de l’inceste. Sans institution, c’est le mélange des genres, l’indifférenciation, et finalement l’inceste. Comme je le soulignais en début de l’entretien, l’école, c’est avant tout des professeurs et des élèves. Le reste est soit l’auxiliaire de cette relation, soit un obstacle à celle-ci. Le parent d’élève professionnel qui s’immisce dans la relation entre le maître et l’élève pour un oui ou pour un non est un encombrant : il n’a rien à faire à l’école, à part du mal. Pour ne rien arranger, il y a aussi des chefs d’établissement qui ont peur des parents et prennent d’emblée leur parti contre leurs propres enseignants, quand ce ne sont pas des recteurs ou des ministres qui prennent des décisions en anticipant ce qu’ils supposent être le désir des parents et dont ils se font les serviteurs. Voyez la prudence avec laquelle on parle d’introduire l’uniforme à l’école à coup d’expérimentation et dans l’espoir d’obtenir l’accord de « la communauté éducative » alors qu’il serait si simple de l’imposer.

Pour conclure cet entretien, y a-t-il un point particulier sur lequel vous aimeriez attirer l’attention ?

Je pense qu’on ne s’en sortira pas tant que les ministres ne rendront pas des comptes. Dans n’importe quelle organisation humaine, lorsque des gens prétendent les diriger, des comptes doivent être rendus. Là, ils n’en rendent jamais. Les résultats de l’Éducation nationale, alors qu’elle constitue le premier budget de la Nation, sont un scandale d’État. Les ministres, une fois qu’ils ont quitté leur poste, on les laisse tranquilles, on les oublie, on passe au suivant, qui cause, à son tour, moult dégâts avant de poursuivre sa carrière ailleurs et sans être embêté.

Je pense aussi qu’une des premières choses à faire serait d’assainir le débat sur l’école et à cette fin d’organiser un véritable échange entre non pas des politiques et des journalistes — les journalistes, souvent, n’ont pas les bons réflexes et ne posent pas les bonnes questions quand ils interrogent les ministres – mais entre des professionnels du terrain et des politiques pour confronter ces derniers au réel. Le mot clé sur lequel j’aimerais finir, c’est le mot réel. La politique est en train de se réduire à la construction d’un monde parallèle avec la complaisance du système médiatique où l’on en fait des tonnes sur les communications des ministres. Mais cela n’a aucune prise sur le réel et inévitablement les choses continuent à se détériorer. Très sincèrement, je ne vois pas comment enrayer ce processus si l’on continue ainsi.

La volonté politique ?

Oui certes. Mais il n’a échappé à personne que nous avons à la tête de l’État un spécialiste de la manipulation, prêt à dire au fond la même chose que moi sur le fait qu’il faille cesser les hypocrisies sur l’école, tout en illustrant ce qu’il dénonce cependant. Il n’est pas surprenant qu’on termine cet entretien en évoquant Emmanuel Macron. Le véritable instigateur de la politique éducative, c’est lui. Elle se décide à l’Élysée et non à la rue de Grenelle. Or, nul ne l’a mandaté pour détruire le baccalauréat ou la formation professionnelle sous statut scolaire, par exemple. Si les Français votaient sur des propositions précises et non pas sur le nom d’un candidat, on serait surpris par le résultat.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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