Sénèque : comment bien endurer la souffrance

Stoïcisme : leçons de cette ancienne philosophie

Par Andrew Benson Brown
17 mars 2023 19:39 Mis à jour: 17 mars 2023 19:39

De nos jours, de nombreuses personnes se sentent impuissantes. Face à des événements qui les dépassent, des guerres aux problèmes environnementaux, ils se replient sur elles-mêmes, adoptant l’autosatisfaction pour ne pas sombrer dans le désespoir. Souvent, ce sentiment s’accompagne de cette idée : l’univers est régi par la physique quantique. S’il n’existe rien d’autre que des particules et des quarks, pourquoi ne pas vivre pour moi-même ?

Sous l’Empire romain, une école de pensée similaire se disputait l’esprit de la noblesse. L’épicurisme prône la recherche du plaisir et le refus de la douleur pour s’orienter dans un monde aléatoire régi par des atomes qui tourbillonnent dans un vide universel. C’est une philosophie de vie superficielle dépendant de circonstances aléatoires pour être appliquée avec succès, dépendant notamment de la santé et de la richesse. Mais pour les personnes qui souffrent de malchance et d’épreuves, elle n’offre pas une vision satisfaisante de la vie.

Heureusement, la Rome antique offre l’exemple d’un homme qui a proposé une alternative à cette perspective. Il était un exemple rare de grand penseur qui, investi d’un pouvoir considérable pendant un certain temps, savait à quel point ce pouvoir était fragile. Il recherchait des vérités durables capables de s’affranchir des aléas du statut social.

L’éducation d’un mauvais empereur

Les vies de Sénèque et de Néron ont été étroitement liées. « Double portrait de Sénèque (?-65) et de Néron (37-68), vers 1617, par Pierre Paul Rubens. (Domaine public)

Lucius Annaeus Seneca le Jeune est né dans une riche famille de cavaliers en Espagne vers l’an 4 avant J.-C. Il devient le précepteur de Néron, le futur empereur romain, mais ne parvient pas à réfréner la nature licencieuse du jeune homme. Lorsque son élève accède au trône, Sénèque devient son principal conseiller. Comme tout bon professeur, il espère voir Néron changer. Malheureusement, Néron ne souhaite pas être un bon empereur, il veut juste être un bon artiste. Lorsque qu’il participe à des concours de musique, de théâtre et de chars truqués, Sénèque dirige l’empire. Les premières années du règne de Néron sont donc marquées par une bonne administration et la prospérité.

Mais au fil du temps, l’empereur devient paranoïaque et cruel. Alors que les ennemis politiques de Sénèque chuchotent à l’oreille de Néron que son conseiller cherche à surpasser l’empereur en tant que poète et orateur, le philosophe se retire des affaires publiques pour se réfugier dans sa propriété à la campagne, où il se sent en sécurité.

C’est au cours des trois dernières années de sa vie que Sénèque a écrit ses œuvres littéraires les plus importantes, dont 124 lettres philosophiques à son ami et ancien élève Lucilius. Couvrant un large éventail de sujets, ces lettres sont écrites dans un style simple mais plein d’esprit et constituent une excellente introduction à l’éthique stoïcienne.

Qu’est-ce que le stoïcisme ?

Le stoïcisme a été théorisé par des philosophes grecs des centaines d’années avant l’époque de Sénèque, mais seuls des fragments de ces travaux antérieurs nous sont parvenus. Les écrits de Sénèque, en revanche, remplissent 10 volumes de la Loeb Classical Library.

Une nouvelle collection révisée publiée par Regnery Gateway, « Gateway to the Stoics » (Regard sur les stoïciens), comprend quelques-unes des lettres les plus importantes de Sénèque, traduites par Spencer Klavan, un spécialiste du classicisme. Cette sélection révèle que les enseignements de Sénèque étaient, à bien des égards, remarquablement similaires à ceux de Jésus.

Dans la lettre 47, il a félicité Lucilius après avoir appris qu’il traitait ses esclaves comme des membres de sa famille. Malgré les différences superficielles de rang social, Sénèque fait remarquer que tous les hommes sont « des compagnons d’esclavage, si l’on considère seulement à quel point la fortune peut changer radicalement ». Il dénonce ensuite la cruauté des maîtres avant de proposer sa propre variante de la règle d’or : « Vivez avec ceux qui vous sont inférieurs comme vous aimeriez vivre avec ceux qui vous sont supérieurs. Chaque fois que vous vous rendez compte du pouvoir que vous avez sur votre esclave, rappelez-vous que votre propre maître a autant de pouvoir sur vous ».

Et qui est ce maître, demande Sénèque. Peut-être, comme Hécube, reine de Troie, serez-vous vendu comme esclave. Ou peut-être votre maître est-il une avidité : la cupidité, le sexe ou l’ambition. Et surtout, note Sénèque, tout le monde est esclave de la peur.

La peur fut omniprésente sous le règne tardif de Néron. Après le départ à la retraite de Sénèque, l’administration impériale tomba en ruine et Néron commença à exécuter ceux qu’il soupçonnait de déloyauté. L’agitation sociale s’aggrava après l’échec de la conspiration pisonienne lancée pour assassiner l’empereur, d’après le nom de son chef, Gaius Calpurnius Piso. Le complot fut découvert, Sénèque mis en cause, Néron lui ordonna de se suicider.

Selon l’historien Tacite, un centurion est arrivé dans la maison de Sénèque au moment du dîner pour lui transmettre l’ordre. Privé du droit de réciter son testament, Sénèque se tourna vers ses amis et sa famille, déclarant : « Je vous laisse l’exemple de ma vie, le meilleur et le plus précieux héritage qui soit en mon pouvoir. Gardez-le en mémoire, et vous gagnerez à la fois l’applaudissement dû à la vertu et la renommée d’une amitié sincère et généreuse. » Puis, après avoir demandé à ceux qui avaient les yeux pleins de larmes de rester fermes, il s’ouvrit les artères.

Stoïcisme et christianisme

Dans la lettre 91, Sénèque décrit l’incendie qui détruisit la ville de Lyon en une seule nuit, soulignant ainsi que des années de travail fructueux pouvaient rapidement être réduites à néant :

« Les choses émergent lentement pour se précipiter vers la destruction. »

Il recommanda à Lucilius de « se lever pour faire face aux coups de la fortune et, quoi qu’il arrive, de garder à l’esprit que les choses s’avèrent finalement moins graves qu’on ne le dit ». Si nous nous souvenons du fait inévitable que tout le monde est destiné à mourir, nous pouvons supporter la chute des villes « en toute sérénité ». En changeant d’attitude, on peut apprendre à supporter le travail du destin, représenté par l’esprit divin qui gouverne tout.

En l’an 64, un nouvel incendie éclata à Rome et détruisit une grande partie de la ville. Néron accusa les chrétiens d’être responsables de ce désastre, afin de détourner les rumeurs selon lesquelles il l’avait lui-même provoqué. Si Sénèque ne mentionne pas cet incendie célèbre dans sa lettre, les conseils qu’il donne pour supporter la mort avec sérénité pourraient facilement s’appliquer à ceux qui ont été brutalement persécutés sous le règne de la terreur de Néron.

Dans « Sénèque : l’humaniste à la cour de Néron », le biographe Villy Sorensen fait remarquer que « de nombreuses expressions de Sénèque rappellent les paroles du Christ présentées dans les évangiles, et dans ses lettres à Lucilius, il fait part de sentiments religieux plus personnels comme la croyance en le destin ». Dans la lettre 41, par exemple, Sénèque écrit : « Dieu est près de toi, avec toi, en toi ».

Certains passages des écrits de saint Paul ressemblent étrangement à la pensée de Sénèque. Il convient de noter que ces deux hommes étaient contemporains : tous deux sont morts violemment en l’an 65 de notre ère, victimes des purges de Néron. Saint Paul écrit : « Nous nous réjouissons de nos souffrances, sachant que les souffrances engendrent l’endurance, que l’endurance engendre le caractère, et que le caractère engendre l’espérance ». C’est cette dernière partie, « l’espérance », qui manquait à la doctrine stoïcienne.

Pour les chrétiens, la souffrance n’était pas seulement la preuve d’une distinction morale, mais aussi une préparation au monde à venir. Les stoïciens croyaient que l’univers finirait dans une conflagration apocalyptique, mais ils n’enseignaient pas que quelque chose existait au-delà.

Même si le stoïcisme respectait les classes inférieures, il ne s’est jamais imposé au-delà de l’aristocratie romaine. C’est le christianisme qui a popularisé l’idée que tous les hommes sont frères, mettant fin au tribalisme culturel qui dominait les religions païennes. Mais si, comme le note Spencer Klavan dans sa préface à « Gateway to the Stoics », il est vrai que « l’Église chrétienne a fait de nous tous des stoïciens », nous devons en partie remercier Sénèque pour ce fait.

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