Fatigués, sous des nuées de mouettes avides, des pêcheurs du nord de la France rentrent au port, chargés de soles, rougets ou cabillauds. Mais « fortement dépendants » des riches eaux britanniques et « dans le brouillard » à trois semaines du Brexit, beaucoup redoutent « une catastrophe ».
« En cas de Brexit dur et sans accord, la mer sera brutalement divisée en deux : les pêcheurs anglais d’un côté, tous les européens de l’autre ! » résume Stéphane Pinto, représentant de ces pêcheurs au filet de Boulogne-sur-Mer (nord de la France).
Du haut du quai venteux, il pointe au nord-ouest le large et l’invisible frontière maritime située à une vingtaine de kilomètres. « D’ici, vous naviguez moins d’une heure, vous êtes déjà en zone anglaise. On y pêche 60% de nos poissons depuis des générations! Pour les chalutiers, c’est pire, c’est 80 % », assure-t-il, fébrile.
Dans l’Union européenne, la Politique commune de la pêche (PCP) permet à tous les bateaux européens d’accéder aux zones de pêche des autres Etats membres, à condition de respecter des quotas de capture. Mais avec le Brexit, le gouvernement britannique entend bien recouvrer sa souveraineté maritime et le contrôle de ses eaux, particulièrement vastes et poissonneuses.
Quelques mètres plus bas, au pied d’une échelle humide, cinq matelots débarquent du « Néréides ». « Je passe la moitié de l’année côté anglais. Si je perds ça, je peux mettre la clé sous la porte », souffle le patron, Jérémy Devogel. En pantalon ciré et bretelles, ses employés déchargent leur cargaison sur le ponton: « 100 à 400 kg quotidiens », en fonction de la saison.
Mais « il y a de moins en moins de poisson. Depuis quatre ans, c’est en chute libre », commente Michael Baillet, dressé sur la proue rouge du « Providence ». « Avec la pêche électrique et tous les bateaux belges, hollandais et même danois, qui pêchent 24 heures sur 24, la ressource s’épuise. Imaginez si on doit tous se serrer dans une zone deux fois plus petite… On va trouver quoi dans nos eaux ? » lâche-t-il, amer.
« On se marchera sur les pieds et ça risque de partir en bataille navale! » prévient Stéphane Pinto, « d’abord entre Français et étrangers, et même entre les différents métiers ». Car fileyeurs, caseyeurs, chalutiers ou hauturiers industriels, qui n’usent pas des mêmes techniques, se gêneront « et il y aura de la casse ». « On n’est pas compatibles », confirme Christophe Marcq, capitaine du « Don Lubi II », les mains vissées sur le gouvernail.
Depuis sa cabine de bois, il désigne la poupe remplie de milliers de mètres carrés de filets blancs, cordes nouées et ancres: « 30.000 euros de matériel, qu’on dépose parfois toute la nuit en mer sur des kilomètres, sans surveillance ». Les chalutiers étrangers, « trois fois plus gros que nous, tractent leur matériel toute la nuit. S’ils savent qu’il y a du poisson, ils traverseront notre zone, quitte à tout casser », estime-t-il.
Si, jusqu’ici, les flottilles avaient « trouvé des compromis et terrains d’entente », la surpopulation « brisera les équilibres et relancera les tensions », craint le capitaine. Mareyage, transport, transformation des produits de la mer, conditionnement: pour le quartier industriel et les dizaines d’entrepôts installés de l’autre côté du port de Boulogne sur-Mer, un Brexit dur serait aussi « très problématique », assure Stéphane Pinto.
Employant « plus de 5 000 personnes », et « traitant près de 400 000 tonnes de marchandises par an, l’industrie halieutique dépend ici pour moitié du poisson transitant par l’Angleterre », explique Frédéric Cuvillier, maire socialiste de la ville. Sans accord commercial, les professionnels devront « composer avec les droits de douane, les contrôles vétérinaires et sanitaires aux frontières » sur « des produits frais pour lesquels chaque minute compte », ajoute-t-il.
Et si les Européens espèrent encore négocier l’accès aux zones de pêche dans un accord commercial global, la Première ministre britannique Theresa May, pressée par l’opinion et les partisans du Leave sur cette question « hautement sensible », n’entend rien lâcher. Elle « pourrait même utiliser ce sujet pour démontrer aux Anglais son côté inflexible », craint l’ancien ministre de François Hollande.
Alors, entre les étals du marché aux poissons, l’incertitude règne. « On ne sait pas ce qui va nous tomber dessus, mais on continuera de se battre », promet Stéphane Pinto, refusant de « voir sombrer les petits pêcheurs passionnés ».
D.C avec AFP
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