Traquer l’explosion des normes en France, la nouvelle ambition de Contribuables Associés

Par Etienne Fauchaire
9 mai 2025 15:30 Mis à jour: 9 mai 2025 15:36

ENTRETIEN – À gauche comme à droite, le constat fait l’unanimité : la France étouffe sous le poids des normes. Mais malgré les promesses réitérées des présidents successifs d’y remédier, l’empilement réglementaire ne cesse de s’aggraver. Le problème, souligne le haut fonctionnaire Christophe Eoche-Duval dans son ouvrage L’inflation normative (éditions Plon), c’est que le niveau de cette prolifération reste « un mystère de la République », faute d’enquêtes pour en mesurer précisément l’ampleur. Pour combler cette lacune, il a mis au point une méthode de quantification, aujourd’hui reprise en partenariat avec l’association Contribuables Associés, qui vient de lancer VigieNormes.fr. Ce site en ligne ambitionne de surveiller, « pour la première fois depuis 1958 », l’inflation normative en France. Le président du think tank, Benoît Perrin, nous en explique les objectifs et la portée.

Epoch Times : Pourquoi cette initiative de la part de votre think tank et quelle en est la genèse ? 

Benoit Perrin : C’est de la convergence entre un expert des normes et notre think tank Contribuables Associés qu’est née cette idée. Nous sommes convaincus de l’excès d’impôts, de fiscalisme et de bureaucratie ; Christophe Eoche-Duval, lui, est convaincu depuis longtemps de l’excès de normes.

C’est un peu comme la poule et l’œuf : sans prétendre trancher si la norme engendre le bureaucratisme ou si c’est l’inverse, les deux sont étroitement liés, l’un étant tour à tour cause ou conséquence de l’autre.

Nous avons été frappés par l’absence de baromètre permettant de suivre de manière transparente l’inflation normative. Je me félicite donc de cette première sous la Ve République, qui honore notre think tank entièrement financé par les dons de contribuables excédés !

Le chiffre de « 400.000 normes en France », souvent repris dans les médias, relève de la « fable », affirme Christophe Eoche-Duval dans son ouvrage. Le simple décompte des textes juridiques ne constituant pas, selon vous, un indicateur fiable pour mesurer la densité normative, pourquoi le nombre de mots est-il un critère plus pertinent ? 

Ce sont les travaux de Christophe Eoche-Duval, jamais contredits par aucun fact-checker, qui ont mis en évidence qu’en matière de légistique, le nombre de textes ou d’articles n’a plus vraiment de sens.

L’inflation normative relevait jusqu’ici d’un « sentiment », d’une intuition, certes dénoncée à juste titre par tous les gouvernements, de droite comme de gauche, depuis les années 1990. Mais, en réalité, personne ne l’avait jamais démontrée de manière rigoureuse.

Le chiffre de « 400.000 » normes, inventé en 2013 par le rapport Lambert, a été identifié comme une simple estimation par Christophe Eoche-Duval : nous renvoyons à son ouvrage à ce sujet.

Les travaux solides de notre expert partenaire ont concouru à administrer cette preuve. Nous en validons la méthode scientifique. Comme tout écrit, les textes juridiques sont faits de mots ; il est donc possible de les compter, depuis la numérisation du Journal officiel, notamment via le site Légifrance.

Contribuables Associés affirme ainsi que les 19 codes témoins actuellement suivis sur le site VigieNormes reflètent fidèlement l’inflation normative réelle depuis l’an 2000.

« Il y a trop de lois dans ce pays, on en crève ! » : cette célèbre formule de Georges Pompidou remonte à 1966. Depuis, la prolifération des normes en France n’a cessé de s’accélérer. Pensez-vous qu’en sensibilisant l’opinion publique, cet outil puisse enfin contribuer à rompre l’inertie gouvernementale ?

Exactement comme avec notre compteur de la dette ou notre baromètre VigieTaxesLocales.fr, la transparence est salutaire : c’est une vertu civique qui pousse les responsables politiques à agir plutôt qu’à promettre — et, en tout cas, à rendre des comptes.

Rendre des comptes sur le nombre de « mots normatifs » ajoutés ou supprimés, grâce au site Vigie-Normes et à son compteur Bayrou, qui « prend au mot » — sans mauvais jeu de mots — le Premier ministre, en mesurant le volume de droit supplémentaire imposé aux Français depuis son investiture.

Quel est le coût de cette surcharge normative pour le pays ? 

Quelle belle question ! Et, en même temps, il nous faut dénoncer l’incapacité — voire l’incurie ? — des autorités françaises, qui disposent pourtant de tous les moyens nécessaires pour enquêter et chiffrer précisément le surcoût des normes « à la française ».

Dans l’exposé des motifs de la loi « Simplification de la vie économique », actuellement en cours d’examen, le Premier ministre affirme, sans la moindre vérification, que « simplifier drastiquement est un enjeu majeur pour notre économie : la charge des normes, des démarches et des complexités du quotidien pèse pour au moins 3 % du PIB ».

En réalité, ce chiffre de 3 % est la reprise pure et simple, jamais mise à jour, d’une estimation figurant dans un rapport de l’OCDE (Better Regulation) datant des années 2000.

À l’inverse, nos amis de l’IFRAP estiment que le surcoût des normes françaises atteindrait près de 100 milliards d’euros en 2024, soit environ 6 % du PIB. Ce décalage est préoccupant, et peu sérieux de la part de l’ancien Haut-commissaire au Plan.

D’autant que l’État français dispose d’experts de haut niveau — Cour des comptes, INSEE… — parfaitement capables de mener un audit rigoureux du coût réel des normes, sans devoir s’en remettre à une estimation obsolète de l’OCDE.

Contribuables Associés est prêt à contribuer à cet effort, tout comme, sans aucun doute, les organisations patronales, qui pourraient utilement soutenir les travaux des magistrats de la rue Cambon.

Il est temps de sortir de l’approximation. Si l’État cherche à rester dans le flou, c’est peut-être, comme dirait Martine Aubry, qu’il y a un loup.

Contribuables Associés demande donc un véritable rapport de la Cour des comptes sur le coût des normes. Notre pétition à ce sujet a d’ailleurs rencontré un succès massif. Nous interpellons désormais Pierre Moscovici : qu’est-il advenu de cette pétition ?

Concrètement, quelles seraient les solutions permettant d’enrayer cette embolie réglementaire ? Et quels seraient, selon vous, les risques à court et à long terme d’une inaction persistante ? 

En 2025, la France en est arrivée à 47.578.686 mots de normes juridiques (+2,33 % en un an +109 % en vingt ans). On ne peut tout simplement plus continuer ainsi.

Il suffit de consulter le taux de croissance des 19 principaux codes sur le site Vigie-Normes : ils parlent d’eux-mêmes. Des hausses à trois chiffres sur vingt ans ! Si seulement c’était le pouvoir d’achat des Français qui connaissait une telle progression…

Nous courons tout droit vers une embolie démocratique et économique, comme vous le soulignez très justement. Je rappelle qu’en médecine, l’embolie est une obstruction aiguë pouvant conduire à la mort : ici, une mort de nature économique.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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