Turquie: les étudiants frappés de plein fouet par le tremblement de terre

Par Arzu Geybullayeva
15 mars 2023 08:17 Mis à jour: 15 mars 2023 12:40

Deux semaines après la série de tremblements de terre dévastatrice qui a frappé la Turquie le 6 février, la colère contre la réponse inadéquate de l’État ne cesse de croître.

L’une des dernières critiques remet en cause la décision de l’État d’ouvrir toutes les résidences universitaires publiques aux personnes évacuées à la suite du tremblement de terre et de passer à l’enseignement en ligne dans toutes les universités du pays. Depuis, #onlineegitimistemiyoruz (nous ne voulons pas d’enseignement à distance) est devenu une tendance sur les réseaux sociaux alors que les étudiants organisent des manifestations devant les universités. Un grand nombre de membres du personnel académique et estudiantin ont exprimé leurs préoccupations à propos de cette décision. Les étudiants logeant dans les résidences universitaires du pays ont également rapporté des scènes de chaos dans les dortoirs lorsqu’ils ont reçu l’ordre de faire leurs valises et de partir, avec un préavis très court.

Dans une vidéo mise en ligne sur YouTube, le groupe BogaziciDirenisi (Résistance Bogazici) a énuméré toutes les raisons pour lesquelles la décision d’expulser les étudiants des résidences universitaires n’était pas la bonne politique :

Les résidences universitaires publiques, dont le nombre est à peine suffisant, ne peuvent loger que 800.000 personnes, alors les hôtels du pays ont une capacité d’accueil de 2 millions de lits. Reloger les survivants du tremblement de terre dans les résidences universitaires publiques n’est pas une solution, car elles peuvent à peine fournir un logement convenable et répondre aux besoins des secours. En particulier lorsque les hôtels, les maisons d’hôtes et les centaines de milliers de propriétés vides détenues par les compagnies immobilières privées ne sont pas réquisitionnés.

D’autres personnes ont rapporté que les résidences universitaires ont sombré dans le chaos depuis l’annonce de la décision d’évacuation. Dans un entretien avec Arti Gercek, une plateforme d’information locale, Ozlem [ce n’est pas son vrai nom], étudiante à l’université d’Adana dont la famille a été affectée par le tremblement de terre, a rapporté qu’elle était à Gaziantep avec sa famille lorsque qu’elle a reçu un préavis de la résidence universitaire dans laquelle elle loge, l’informant qu’elle avait deux jours pour libérer sa chambre. Ozlem s’est hâtée de rejoindre sa résidence universitaire à Adana, pour y trouver sa chambre déjà vidée et ses affaires emballées dans des sacs poubelles non étiquetés, stockés dans un local de rangement. Elle a passé plusieurs heures à fouiller tous les sacs avant de retrouver ses affaires.

À Kırıkkale, une autre province, les étudiantes de la résidence universitaire réservée aux femmes ont rapporté que leurs casiers ont été forcés et leurs effets personnels emballées dans des sacs poubelles. Elles ont été informées qu’elles devaient toutes évacuer, a rapporté le journal en ligne turc Gazete Duvar.

[voici] la résidence universitaire publique réservée aux femmes Kırıkkale Hatice Hanım. Les casiers des filles ont été forcés et leurs affaires personnelles ont été emballées dans des sacs poubelles. Vous poignardez les victimes du tremblement de terre et les étudiants dans le dos. [Au lieu de cela] Ouvrez vos hôtels, vos palais, vos maisons vides ! Vous ne pouvez pas nous virer de nos résidences universitaires !

Le mouvement des sans-abris, lancé par un groupe d’étudiants en 2021 lors d’une crise du logement étudiant, s’est rapidement organisé pour diffuser les dernières informations provenant des résidences universitaires du pays, dont les étudiants ont été expulsés sans préavis ou avec un préavis très court. Beaucoup d’étudiants étaient déjà partis passer les vacances en famille. Certains étaient originaires de provinces affectées par le tremblement de terre. Dans un tweet, le groupe a déclaré : « les étudiants ne subiront pas les conséquences des responsabilités que vous n’avez pas assumées. »

Une autre étudiante universitaire d’Istanbul logeant dans une résidence universitaire a rapporté au journal Evrensel que le responsable de la résidence universitaire lui avait dit de ne pas faire d’histoires lorsqu’elle a demandé où elle était censée aller dans un délai aussi court.

Retour à l’enseignement en ligne

Dans sa déclaration à propos de la décision concernant les résidences universitaires, le Président Erdoğan a également annoncé que le reste de l’année académique se déroulerait en ligne pour tous les étudiants. Les étudiants, les universitaires et les politiciens de l’opposition ont tous critiqué cette mesure.

Dans un entretien avec Arti Gercek, Ozlem, qui a été mise à la porte de sa résidence universitaire à Adana, a déclaré : « ils parlent d’enseignement en ligne mais nous n’avons pas de matériel et, parfois, nous n’avons pas d’électricité ni de connexion Internet. En ce moment, nous n’avons même pas nos livres. Je ne sais pas comment nous allons y accéder. Comment vais-je suivre un enseignement en ligne dans ces conditions ? Qu’est-ce que je vais en retirer ? »

Un autre étudiant a demandé sur Twitter pourquoi l’enseignement était la première chose à être supprimée :

neden ilk vazgeçilen şey eğitim oldu? hangi altyapıyla online eğitime dönüldü? yüzlerce otel öylece duruyor, neden depremzedelere açmıyorsunuz? küçücük yurtlarda hangi aileyi barındıracaksınız, ne kadar efektif olacak? siz, bizden ne istiyorsunuz ya?

— zeynep (@pzeynepcelik) 11 février 2023

Pourquoi la première chose à être supprimée est l’enseignement ? Avec quel type d’infrastructure pouvons-nous passer à l’enseignement à distance ? Des centaines d’hôtels sont vides, pourquoi ne les ouvrez-vous pas aux victimes du tremblement de terre ? En quoi est-ce efficace de loger les victimes du tremblement de terre dans de petites chambres de résidences universitaires ? Qu’attendez-vous de nous ?

— zeynep (@pzeynepcelik) 11 février 2023

Kemal Kılıçdaroğlu, le chef du parti d’opposition CHP (parti républicain du peuple) a été du même avis. Dans un discours prononcé à Hatay – l’une des provinces les plus touchées – Kılıçdaroğlu a déclaré que les résidences universitaires n’étaient pas adaptées, exhortant l’État à ouvrir les hôtels et à couvrir les frais de toutes les personnes évacuées, désormais sans abris. Kılıçdaroğlu a également écrit dans un tweet :

Je suis prêt à ouvrir notre siège ainsi que tous les sites du parti aux victimes du tremblement de terre. Cela inclut également nos résidences privées. Ne touchons pas à la jeunesse cette fois-ci. Ils sont tout ce qu’il nous reste.

— Kemal Kılıçdaroğlu (@kilicdarogluk) 11 février 2023

Ali Babacan, le leader de DEVA, un autre parti politique, a également exprimé ce sentiment dans un tweet, appelant l’État à ne pas « retirer le droit à l’éducation de toute une génération. »

Selon le psychologue clinicien Beyhan Budak, la décision de passer à l’enseignement à distance doit être revue. « Alors que l’impact psychologique de la pandémie n’a pas encore disparu, le passage à l’enseignement en ligne peut gravement nuire à la santé mentale et à l’éducation de nos jeunes, » a tweeté Budak.

Tashin Tarhan, un membre du parti républicain du peuple (opposition), a tweeté que la décision de passer à l’enseignement à distance était « de la folie » et qu’il faut « immédiatement revenir sur cette décision. »

Le plaidoyer d’un autre étudiant résume bien la situation :

S’il vous plaît, ne passez pas à l’enseignement en ligne. Vous pouvez prolonger les cours aussi longtemps que vous voulez, mais je ne veux tout simplement pas passer ma dernière année d’études logé sous une tente, dans ma ville détruite. Mon identité d’étudiant est probablement la seule chose qui peut me rendre heureux actuellement. S’il vous plaît, ne me privez pas de cela.

#onlineegitimistemiyoruz #uzaktan

— 4lü küt zhero. (@zehralikla) 11 février 2023

Dans le même temps, la décision de passer à l’enseignement en ligne n’a pas eu d’incidence sur le directorat des affaires religieuses, ou Diyanet, le principal organe religieux turc chargé de coordonner la plupart des activités religieuses des musulmans du pays – superviser les mosquées gérées par l’État, nommer les imams, diffuser les sermons hebdomadaires avant la prière du vendredi midi, proposer des cours de coran et organiser les pèlerinages à La Mecque, etc. Selon un reportage du journal Cumhuriyet, l’internat a rouvert et les cours coraniques hebdomadaires ont repris le 20 février.

De plus, l’institution a fait l’objet de critiques pour avoir émis une fatwa le 18 février, dans laquelle elle affirmait qu’il n’y avait « pas d’obstacle à ce que les familles d’accueil épousent les enfants adoptifs ayant survécu au tremblement de terre », c’est-à-dire que les parents d’accueil peuvent légalement épouser leur « enfants adoptifs. » Après des réactions négatives, Diyanet a retiré la page de son site Internet et a publié une déclaration affirmant que la fatwa a été sortie de son contexte. Le 5 janvier, l’institution a publié une nouvelle fatwa controversée dans laquelle elle déclare qu’« il n’est pas approprié pour les femmes de voyager seules sur une distance de plus de 90 km, sauf si elles sont accompagnées de leurs fils ou de leurs maris. »

Article écrit par Arzu Geybullayeva et traduit par Ingrid Patetta, publié avec l’aimable autorisation de Global Voices.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.