Un « symbole de résistance » : la mémoire du massacre de la place Tiananmen entretenue par les défenseurs des droits de l’homme

Par Eva Fu
6 juin 2023 03:52 Mis à jour: 6 juin 2023 07:40

Du haut de ses cinq ans, Hu Yang était trop jeune pour participer au mouvement pro-démocratique de 1989 sur la place Tiananmen, qui a été violemment réprimé par les chars et les fusils du Parti communiste chinois (PCC). Cela ne l’empêche pas d’essayer d’en préserver la mémoire.

L’année dernière, deux jours avant l’anniversaire du massacre, M. Hu s’est rendu devant un bâtiment du gouvernement local de sa ville natale, la ville historique de Xi’an, dans le nord-ouest du pays. Il brandissait fièrement une pancarte sur laquelle on pouvait lire : « N’oubliez pas le 4 juin, mettez fin au régime autoritaire ».

Son épouse était également présente et a pris des photos de la manifestation. Par l’intermédiaire d’un ami basé hors de Chine, il a pu poster une photo sur Twitter, l’application étant interdite en Chine. Il espérait ainsi faire entendre les voix pro-démocraties qui existent à l’intérieur du pays, mais qui selon lui sont cruellement silencieuses alors que le reste du monde commémore cet anniversaire tragique.

Il ne se doutait pas que cela changerait sa vie à jamais.

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Le dissident chinois Hu Yang à Los Angeles, en Californie, en mai 2023. (Shawn Ma/Epoch Times)

Hu Yang avait pris soin de ne laisser aucune information qui permette de l’identifier sur la photo. Il s’est couvert le visage et a utilisé un outil de retouche photo pour supprimer le nom du district sur les plaques des bâtiments. Malgré cela, la police chinoise a retrouvé sa trace.

Quelques heures après la publication de la photo, la lumière s’est éteinte de façon inattendue dans l’appartement de M. Hu. Une fois sorti sur le palier, il a été stupéfait de se trouver nez à nez avec plus d’une douzaine de personnes qui l’attendaient à l’extérieur. L’un d’entre eux l’a plaqué au sol tout en appuyant un pistolet sur sa taille. Les autres se sont précipités dans l’appartement.

« L’homme sur la photo, c’est toi ? », demande un homme à M. Hu, en lui montrant une copie de la photo qu’il a publiée sur Twitter.

Un simple « oui » a suffi pour que les hommes commencent à saccager son appartement. Le fils de M. Hu, âgé de 7 ans, choqué, était en larmes.

Les hommes, qui ne se sont jamais identifiés, ont menotté et interrogé M. Hu pendant la nuit et l’ont placé en détention dans un ancien hôtel reconverti. Là, il a reçu des menaces constantes et a été contraint de signer deux documents dans lesquels il reconnaît être coupable d’avoir « perturbé l’ordre social » et « provoqué des querelles et des troubles », deux accusations vagues mais couramment utilisées par Pékin pour faire taire ses dissidents.

Même après avoir été libéré sous caution, il était tenu de rendre compte de chacune de ses activités à la police locale. Un autre incident de ce type, lui a dit la police, et M. Hu pourrait bien être inculpé d’un délit plus grave encore, celui de « subversion de l’état », qui est passible d’une peine de prison à vie.

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Une couverture de journal du 5 juin 1989 est exposée à l’exposition commémorative du 4 juin à New York le 4 juin 2023. (Chung I Ho/Epoch Times)

Souvenirs interdits

Exactement un an après cette descente de police, à la veille d’un nouvel anniversaire du 4 juin, Hu Yang est en Californie, où il réside, et il explique pourquoi il a dû s’exiler, loin de ce pays communiste en lequel il n’a plus d’espoir.

Il évoque les nombreuses nuits blanches, hantées par les cauchemars, la police qui le cagoule et l’emmène devant ses enfants en pleurs. Il en est venu à prendre des somnifères pour tenir le coup.

Désillusionné par le régime et ne voyant pas d’avenir pour lui en Chine, Hu Yang, sa femme et ses deux enfants, se sont embarqués dans un voyage éprouvant de 50 jours pour rejoindre les États-Unis via  l’Amérique latine. Son péril hors de Chine n’est pas sans rappeler ce par quoi sont passés de nombreux manifestants de Tiananmen il y a plus de 30 ans, lorsque le régime a commencé à traquer chacune des personnes impliquées dans le mouvement.

Sur la route, lui et sa femme ont failli perdre leur fils dans les épaisses forêts tropicales qu’ils traversaient et ils ont dû affronter des vagues houleuses à bord d’un hors-bord qui n’avait aucune barre de sécurité et aucune protection.

Il s’estime chanceux d’avoir pu s’en sortir malgré les nombreux dangers auxquels il a été confronté. Il explique que lorsque la date du 4 juin approche, les autorités chinoises harcèlent, menacent ou arrêtent un certain nombre de dissidents bien connus afin de s’assurer que rien ni personne ne commémore l’événement dans le pays.

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Hu Yang reçoit un certificat du Parti chinois de la démocratie en reconnaissance de son travail bénévole, au Liberty Sculpture Park, à Yermo, en Californie, le 23 avril 2023. (Avec l’aimable autorisation de Hu Yang)

« Le Parti communiste a toujours voulu effacer cette partie de l’histoire car cela lui permet de continuer à tromper les gens. C’est pourquoi il est d’autant plus important de s’en souvenir », a-t-il déclaré à Epoch Times.

Le massacre de Tiananmen reste l’un des sujets les plus censurés en Chine, au même titre que d’autres sujets brûlants tels que la persécution de la pratique spirituelle du Falun Gong, comme le rappellent les analystes. Dès 2018, WeChat, l’une des applications de réseaux sociaux les plus utilisées en Chine, disposait d’algorithmes capables de filtrer les images dans lesquelles avaient été insérés les mots que le PCC avait mis sur liste noire, y compris les mots qui visuellement y ressemblaient, selon un rapport de Citizen Lab.

« Il n’y a rien à voir en Chine continentale, pas un mot sur l’incident », explique M. Hu.

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Une réplique de la déesse de la démocratie est exposée à l’exposition commémorative du 4 juin à New York, le 4 juin 2023. (Chung I Ho/Epoch Times)

Un élan de résistance demeure

Mais si le régime veut que les gens oublient ce qui s’est passé, il y a des communautés qui sont déterminées à ce qu’il n’en soit pas ainsi.

Le 2 juin, l’exposition commémorative du 4 juin a ouvert ses portes à New York.

Située dans un espace de bureau exigu de la 6e avenue de Manhattan, cette exposition est la seule exposition permanente au monde consacrée aux manifestations de Tiananmen, le musée de Hong Kong ayant été fermé par les autorités chinoises. L’adresse du lieu, 894 Sixième Avenue, n’est étrangement pas sans rappeler la date de l’incident.

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Une personne tient une bougie lors d’une veillée aux chandelles en hommage aux victimes du massacre de la place Tiananmen en 1989, à Washington, le 2 juin 2023. (Madalina Vasiliu/Epoch Times)

« C’est un symbole de contestation », a déclaré le directeur de l’exposition, David Yu, ajoutant qu’il espérait que l’exposition aiderait les Américains à faire la distinction entre la Chine et le régime communiste en place.

« De nombreux Américains associent immédiatement les Chinois au Parti communiste », a-t-il déclaré à Epoch Times. « Mais grâce à cette exposition commémorative, ils pourront s’informer et se rendre compte que ce n’est pas le cas. Voici des Chinois qui s’opposent au totalitarisme communiste. Ce sont des combattants de la liberté. »

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Une chemise maculée de sang portée par Jiang Lin, un journaliste du People’s Liberation Army Daily qui a été frappé par des policiers dans la nuit du 3 juin 1989, est exposée au June 4 Memorial Exhibit à New York City le 4 juin 2023. (Chung I Ho/Epoch Times)

L’exposition présente de nombreux objets de l’époque, notamment des photos et une chemise tachée de sang d’un journaliste chinois battu par des policiers armés pour avoir tenté de couvrir la répression. On y trouve également une tente offerte par la ville de Hong Kong, qui a abrité les étudiants pro-démocratie pendant leurs derniers jours sur la place Tiananmen.

On peut aussi y voir les bannières noires couvertes de slogans populaires qui ont été utilisées lors des manifestations gigantesques de Hong Kong en 2019 contre la mainmise de Pékin sur la ville. Également visibles, des vidéos et des affiches du mouvement, dans une salle dédiée à la présentation des « idéaux partagés » par les habitants de la Chine continentale et de Hong Kong, a déclaré M. Yu.

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Des visiteurs à l’exposition commémorative du 4 juin à New York, le 4 juin 2023. (Chung I Ho/Epoch Times)

David Yu donnait des cours au Dartmouth College et préparait son doctorat en économie à l’université de Princeton lorsque les chars se sont abattus sur la place Tiananmen en 1989. Pendant les années qui ont suivi, il s’est investi dans des activités en faveur de la démocratie, des activités pour lesquelles il a même reporté sa thèse de doctorat de plus de dix ans. 

« Je pense que je suis quelqu’un de plutôt têtu », a-t-il déclaré en évoquant ses activités de plaidoyer au cours des trente dernières années. « Une fois que j’ai décidé qu’il fallait faire quelque chose, je continue à le faire sans trop changer de cap. »

Bien qu’il n’ait pu assister à la cérémonie d’ouverture de l’exposition, Hu Yang a exprimé son souhait de s’y rendre dès qu’il en aurait l’occasion.

« Ce sont les preuves irréfutables de la cruauté avec laquelle le parti communiste a traité les étudiants et les citoyens », a-t-il déclaré. « Elles révèlent le vrai visage du parti communiste. »

Shawn Ma a contribué à cet article.

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