Vie privée : la police peut-elle accéder à toutes nos informations via nos smartphones ?

29 novembre 2017 10:07 Mis à jour: 29 novembre 2017 12:06

Où va-t-on, qui voit-on, que fait-on ? Il ne s’agit pas là des questions existentielles que l’humain est à même de se poser au cours de sa vie mais des questions dont les réponses se trouvent dans notre téléphone portable et sont parfois livrées à la police. Dès lors, l’autre question qui se pose, aux États-Unis comme ailleurs, est la suivante : doit-on laisser la police utiliser les données stockées par nos smartphones et si oui dans quelle mesure ? La Cour suprême des États-Unis examine mercredi en quoi cela viole la vie privée.

Voici l’une des plus importantes affaires de libertés publiques à arriver devant la haute cour en une génération. La décision prise aura probablement de vastes conséquences pour la société américaine.

Il s’agit en effet de redéfinir le cadre du quatrième amendement de la Constitution, ratifié au XVIIIe siècle, qui protège les citoyens contre toute intrusion dans leur vie privée sans présomption sérieuse.

L’enjeu est de « préserver le degré d’intimité qui existait avant l’ère numérique, avant le développement de nouvelles technologies de surveillance et de nouveaux types de données faciles d’accès pour la police », souligne Nathan Wessler, l’avocat au cœur du dossier.

 

À l’origine de la procédure se trouve un petit malfaiteur de la région de Detroit, Timothy Carpenter, arrêté en 2011. Ironie de l’histoire, il a été condamné pour des vols à main armée de… téléphones portables.

Pour retracer les mouvements de M. Carpenter, les policiers ont obtenu sa géolocalisation par le « bornage » de son téléphone durant 127 jours. Au total, ils l’ont localisé 12.898 fois grâce aux relevés fournis par son opérateur de téléphonie mobile.

Pour l’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU), une telle traque dans l’espace et la durée, sans mandat d’un juge, illustre un grave dérapage.

Le principe du respect de la vie privée est, selon l’organisation, menacé tous azimuts, pas seulement par les portables, mais aussi par les cartes de transport, les péages automatiques, les dossiers médicaux en ligne…

Un gendarme français de l’unité BDRIJ (Brigades Départementales de Renseignements et d’Investigations Judiciaires), spécialisé dans les nouvelles technologies, utilise un dispositif d’accès aux données d’un smartphone le 9 janvier 2014 à Arras, dans le nord de la France. Depuis 2002, les enquêteurs «N-TECH» de la gendarmerie française reçoivent une formation spécifique aux nouvelles technologies au Centre national de formation à la police (CNFPJ) situé à Fontainebleau.
(DENIS CHARLET / AFP / Getty Images)

« Le tout-internet proliférant, nos appareils, nos montres, nos pansements électroniques, nos assistants domestiques (…) tous ces objets stockent des données dans le cloud (informatique dématérialisée, NDLR), au nom de sociétés sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle », dénonce M. Wessler.

Le gouvernement de Donald Trump affirme que Timothy Carpenter savait à quoi s’en tenir et que sa géolocalisation par l’activation des antennes téléphoniques relais ne révèle pas la teneur de ses conversations.

Mais, pour l’ACLU, un tel pistage –de plus en plus précis sur le plan technologique– permet au contraire de connaître quelqu’un « à livre ouvert ».

Certains dimanches, Timothy Carpenter a donné ou reçu un appel près d’une église, donc « il était en train de prier à ces moments-là », note l’ACLU. Les relevés montrent par ailleurs quand il a dormi chez lui… ou pas.

L’enjeu du débat devant les neuf sages de la Cour suprême est d’autant plus élevé que des acteurs proéminents soutiennent officiellement l’ACLU : cette liste comprend des universitaires de renom, les géants du secteur des technologies –Apple, Facebook, Twitter, Verizon, Google, Microsoft–, mais aussi de façon plus étonnante des organisations conservatrices, voire des militants des armes à feu soucieux de leur anonymat.

« Le progrès technologique implique que les informations qu’on gardait auparavant dans le tiroir de son bureau sont désormais entre les mains de tiers », résume Greg Nojeim, du Center for Democracy & Technology. Pour avoir accès au tiroir, « les autorités devaient obtenir un mandat auprès d’un juge, en démontrant l’existence d’une infraction ».

Les juges seront-ils sensibles à l’argument, avancé par les autorités, de l’impératif des enquêtes ?

Il y a encore peu les policiers traquaient les malfrats à coups de planques, filatures, écoutes occasionnelles, grâce à leur flair, rétorque Nathan Wessler.

Cela ne les empêchait pas de réussir de beaux coups de filet, sans savoir ce que les suspects avaient fait 24 heures sur 24 durant les six derniers mois, sans savoir chez qui ils avaient passé telle ou telle nuit, plaide-t-il.

En 2012, la Cour suprême avait interdit la pose d’un dispositif GPS de repérage sur un véhicule sans feu vert judiciaire. Deux ans après, les juges avaient imposé aux policiers d’obtenir un mandat pour consulter le contenu du smartphone d’une personne interpellée.

On saura d’ici fin juin 2018 s’il faudra l’autorisation d’un juge pour plonger dans l’intimité numérique de l’Américain connecté.

R.B. avec AFP

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