Quand le commerce de la guerre rapporte gros : à qui profitent les ventes d’armes à l’Ukraine ?

Par Ludovic Genin
4 octobre 2022 14:55 Mis à jour: 5 octobre 2022 19:32

Ce n’est pas un secret, la guerre enrichit les industriels de l’armement. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le marché de la défense n’a jamais été aussi florissant et avec lui les portefeuilles de leurs premiers actionnaires. Dans son rapport Quand la souffrance rapporte gros, publié en mai 2022, l’association Oxfam accusait les grandes entreprises de tirer profit de la pandémie de Covid-19. Pour la guerre en Ukraine, à qui profite le crime ?

Dès les premiers mois du conflit, les États-Unis avaient fourni 4,3 milliards d’euros d’assistance militaire à l’Ukraine. Ceux qui verraient là uniquement un effort altruiste peuvent se raviser, il est aussi question d’intérêts financiers et de ventes d’armes. « L’Europe était déjà un de leur plus gros marché à l’export, si l’Europe se réarme, il est tout à fait logique que ce soit en premier lieu auprès des industriels américains », analysait Vincent Lamigeon, spécialiste de la défense chez Challenges, cité par Franceinfo.

Avec la guerre en Ukraine, c’est le marché de l’armement qui redevient florissant et avec lui les comptes de ses grands actionnaires, groupes d’investissements et gestionnaires d’actifs.

Selon les dernières données publiées le 3 août 2022 par l’Institut Kiel, cité par Le Monde, au moins 84,2 milliards d’euros d’argent public ont été dépensés par 41 pays pour soutenir l’Ukraine. Les États-Unis sont de loin les premiers « donateurs », avec près de 45 milliards d’euros annoncés depuis la fin du mois de janvier 2022, dont 25 milliards prévus en aide militaire. L’Union européenne (UE) est bon second avec 23,28 milliards d’euros versés, destinés à l’aide humanitaire, à la logistique et à l’envoi d’armes.

100 millions d’euros des armes fournies à l’Ukraine par la France ?

En mai 2022, la France débloquait 1,7 milliard d’euros d’argent public pour soutenir le « budget de l’État ukrainien et ses investissements ». Selon François Heisbourg, membre de l’International Institute for Strategic Studies, la participation de la France aux livraisons d’armes à l’Ukraine ne s’élèverait qu’à 1,4% du budget mondial, loin derrière les États-Unis, la Pologne, l’Allemagne ou l’Italie.

Cet effort militaire français était estimé à 100 millions d’euros en juillet. Mais cela ne reflète pas l’effort réel français si on compte l’envoi de 18 canons Caesar pris sur les stocks de l’armée de Terre (soit un budget de 85 millions d’euros), l’envoi de missiles Milan et Mistral, d’une soixantaine de véhicules avant blindé), de mines antichars, etc.

À côté de ces dépenses financières et matérielles, les dépenses françaises en armement se retrouvent aussi dans les dépenses européennes.

Un budget militaire de 2,5 milliards d’euros pour l’UE

En septembre 2022, l’UE a fourni une aide de 2,2 milliards d’euros à l’Ukraine pour soutenir les missions de l’État pendant le conflit. Elle a débloqué également 2,5 milliards d’euros pour des équipements militaires à travers la Facilité européenne pour la paix (FEP), un fond européen extra-budgétaire.

Selon Europarl, les deux tiers du budget européen sont directement alimentés par les 27 États membres, qui versent chaque année une contribution en fonction de leur revenu national brut. Cette contribution pour la France est de 18% du budget européen, soit un montant de 28,8 milliards d’euros en 2021.

Ces 2,5 milliards d’euros d’équipements militaires de l’UE fournis à l’Ukraine sont dépensés ensuite sur le marché européen des équipements de défense, c’est-à-dire auprès de groupes industriels français, allemands, italiens. Dans cette course à l’armement, la France s’illustre en tant que 3e exportateur d’armes dans le monde et 1er en Europe.

Des bons résultats pour l’industrie de la défense française

On compte parmi les premiers groupes du secteur militaire français, les entreprises Airbus Defence & Space, Thalès, Safran, Naval Group et Dassault. L’industrie d’armement française représente près de 2.000 entreprises avec un chiffre d’affaires total de 30 milliards d’euros. Selon le site du gouvernement Vie-Publique.fr, ces entreprises ont en charge la fabrication des armes et des équipements militaires (comme les véhicules blindés, les navires de guerre, les hélicoptères, les avions de transport et de combat) et proposent des produits et services technologiques tels que des solutions de cybersécurité, du matériel informatique, des systèmes automatisés ou des outils de renseignement.

Parmi ces grands groupes, Thalès et Dassault ont connu une forte hausse de leurs ventes. Au début de la guerre en Ukraine en février 2022, Les Echos titrait un article Les valeurs de Défense, comme Thales, s’envolent à la Bourse de Paris . Les actions de la défense étaient jusque-là boudées sur les marchés, à cause d’un climat de réticence à financer des fabricants d’armes. La guerre en Ukraine a changé radicalement la perception de la guerre par les Européens, y compris les Français. L’intérêt pour les questions de défense, et donc des entreprises du secteur, s’est largement accru.

Lorsque l’on vérifie les premiers actionnaires de ces grands groupes, on retrouve des gestionnaires de fond d’investissement comme Vanguard ou des gestionnaires d’actifs comme BlackRock. Selon Libération, « le groupe Vanguard, deuxième plus grand fonds d’investissement au monde après BlackRock » possède des actions dans toutes les grandes sociétés de l’industrie pharmaceutique aux géants de la Big Tech. Quant à BlackRock, il serait pour Le Monde, un « gourou de la finance qui murmure à l’oreille des puissants ».

Depuis le début de la guerre, les actions de Thalès et de Dassault ont bondi sur les marchés boursiers. L’action de Thalès a par exemple progressé d’une valeur de 83 euros avant le début de la guerre en Ukraine à une valeur de 112 euros aujourd’hui, soit une augmentation de 35%. Même dynamique pour Dassault, même si le cours de ces entreprises diminue depuis le mois d’août en même temps que diminue la livraison des armes à l’Ukraine.

Si les industries militaires françaises bénéficient de l’effort de guerre en Ukraine, ce sont les groupes industriels américains qui raflent la majeure partie du lot.

Les États-Unis, premier fournisseur d’armes en Ukraine

Selon L’Opinion, les États-Unis ont livré 3,7 milliards d’euros d’armes à l’Ukraine depuis le début de la guerre et 4,4 milliards d’euros depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. Le 21 mai 2022, le président américain signait une loi débloquant 37,8 milliards d’euros, dont 6 milliards en véhicules blindés et matériels de défense anti-aérienne. En septembre, Washington annonçait une nouvelle série de livraisons, notamment 36.000 munitions pour obusiers «compatibles avec les pièces d’artillerie fournies par le Royaume-Uni» ou encore des missiles antiradars Harm, pour un total de 775 millions de dollars.

Aux États-Unis, on retrouve parmi les industries militaires les plus connues General Dynamics, Lockheed Martin, Raytheon Technologies et Kratos Defense. Si l’on se penche sur les actionnaires principaux de Lockheed Martin, la première entreprise américaine et mondiale de défense et de sécurité, on retrouve à nouveau en 2e et 3e actionnaire les groupes Vanguard et BlackRock. Comme pour Thalès et Dassault, les actions de Lockheed Martin ont grimpé en flèche depuis le début du conflit, ainsi que la valeur des portefeuilles de leurs premiers actionnaires.

Des groupes d’investissements privés s’enrichissent dans les conflits armés et les épidémies

Alors à qui profite la guerre en Ukraine ? Aux grandes entreprises ainsi qu’à leurs actionnaires principaux dont les deux plus grands sont Vanguard et BlackRock. Après avoir tiré des superprofits dans les laboratoires pharmaceutiques et les GAFAM pendant l’épidémie de Covid-19, ces deux groupes privés réalisent à présent des superprofits avec la guerre en Ukraine, dans les secteurs de l’énergie, de l’alimentaire et de l’industrie militaire. Entre d’autres termes, ces grands groupes s’enrichissent grâce aux crises et aux conflits, bénéficiant entre autres choses des budgets publics dépensés par les États.

Avec 6.500 milliards de dollars (au 31 mars 2020) confiés par ses clients, la société de gestion BlackRock est le numéro 1 mondial du secteur de la gestion des actifs. La société de fonds d’investissement Vanguard n’est qu’à une courte tête derrière, avec ses 6 200 milliards de dollars d’actifs.

En août, 19 procureurs généraux américains exhortaient BlackRock d’arrêter d’imposer un programme politique aux États-Unis. Selon eux, la société d’investissement faisait passer son programme politique et économique avant les intérêts de ses clients et la sécurité nationale. Une enquête Epoch Times en juin montrait également les relations entre les responsables de BlackRock et la Maison Blanche. Nous publiions en avril une tribune de ​​Guy de la Fortelle sur les rencontres entre le patron de BlackRock et Emmanuel Macron, dénonçant l’entrisme des grands milieux de la finance dans la politique française.

L’enrichissement autour des crises ne s’arrête pas à l’armement

Dans son rapport Quand la souffrance rapporte gros publié en mai 2022, l’association Oxfam accusait les grandes entreprises de tirer profit de la pandémie mondiale de Covid-19.

Selon le rapport, les milliardaires des secteurs de l’agro-alimentaire et de l’énergie ont vu leur richesse augmenter de 453 milliards de dollars depuis 2020, alors que la hausse du prix des denrées alimentaires pourrait faire basculer jusqu’à 263 millions de personnes dans l’extrême pauvreté en 2022. Les secteurs du numérique ou de l’industrie pharmaceutique ont également connu des records de bénéfices grâce à la crise.

L’opacité des groupes industriels d’armement russes

Il est plus difficile de trouver ces informations pour la Russie. On sait que la Russie est devenue le deuxième plus gros producteur d’armement en 2017 (avec 9,5 % des ventes mondiales), loin derrière les États-Unis (27% des ventes mondiales). Son complexe militaro-industriel est proche du pouvoir et des agences d’État monopolisent le marché.

Rosoboronexport est l’une d’entre elles. Cette agence d’État est responsable de l’exportation de l’armement russe en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, souvent auprès de régimes autoritaires. Dans le rapport de l’Ifri Rosoboronexport, fer de lance de l’industrie russe d’armement, on apprend que son directeur, le général Sergueï Tchemezov, est un proche du président Poutine et que Rosoboronexport possède le quasi-monopole (90%) des exportations d’armement russe à l’international, représentant une manne financière sans précédent.

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