ANALYSE : Pourquoi Kim Jong-un a-t-il rencontré Poutine et qu’est-ce que cela signifie pour Xi Jinping?

Par Sophia Lam
25 septembre 2023 16:03 Mis à jour: 12 avril 2024 14:29

Pékin risque de voir son influence sur la Corée du Nord diminuer, ont expliqué des experts à Epoch Times samedi dernier.

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a rencontré le président russe Vladimir Poutine au cosmodrome de Vostochny, un port spatial russe, mercredi dernier. Kim a ensuite poursuivi sa visite à Komsomolsk-sur-Amour et à Vladivostok, où il a visité l’usine de production du principal avion de combat russe, le SU-35, ainsi que la base de la flotte russe du Pacifique.

Les dirigeants de deux régimes sanctionnés – en raison de l’invasion de l’Ukraine par Moscou et des essais d’armes nucléaires et de missiles balistiques de Pyongyang – ont déclaré que les deux pays coopéreraient dans des domaines « sensibles ».

Les experts estiment que ces deux hommes se sont rencontrés principalement pour échanger des armes, du carburant, de la nourriture et de la technologie militaire, chacun prenant ce dont il a besoin. Cependant, à mesure que Pyongyang et Moscou se rapprochent, cela pourrait finir par nuire aux intérêts du régime communiste chinois.

Des armes contre de la nourriture, du carburant et un soutien technologique

Shen Ming-shih, directeur général adjoint de l’Institut taïwanais de recherche sur la défense et la sécurité nationales, a déclaré à Epoch Times que la rencontre entre les deux dirigeants était motivée par leurs propres besoins.

« En ce moment, la Russie se prépare probablement au durcissement de la guerre qu’elle mène en Ukraine, mais son armée manque de munitions. Si la Corée du Nord peut leur fournir des munitions ou d’autres fournitures militaires, le plus tôt sera le mieux », a-t-il précisé.

On estime que la Russie a tiré 10 à 11 millions d’obus en Ukraine l’année dernière, alors qu’elle n’en fabrique que deux millions par an. Le stock de munitions de la Corée du Nord pourrait être d’une aide immédiate très importante pour la Russie, a noté Lu Sibin, chercheur à la Taiwan Defense Policy Initiative.

« Le stock de munitions de la Corée du Nord, y compris les obusiers de 122 et 152 mm de fabrication soviétique, est l’un des trois plus importants au monde, avec des millions d’obus. Cela apporte effectivement une aide importante à la Russie à court terme », a-t-il expliqué à Epoch Times le 16 septembre.

Vladimir Poutine (2e à g.) et Kim Jong-un (2e à dr.) visitent le cosmodrome russe de Vostochny, le 13 septembre 2023. (Mikhail Metzel/AFP via Getty Images)

De son côté, M. Shen a fait remarquer que l’accord entre la Russie et la Corée du Nord est susceptible d’échanger des armes nord-coréennes contre de la nourriture et du carburant, entre autres choses.

« D’autre part, la Corée du Nord a besoin de carburant et de nourriture à l’approche de l’hiver. Ce serait encore mieux si elle pouvait obtenir l’aide de la Russie en matière de technologie militaire, en particulier en ce qui concerne les sous-marins nucléaires et les satellites d’espionnage militaire russes. Naturellement, les deux pays préféreraient régler ces questions le plus rapidement possible. »

Yang Uk, expert en stratégie militaire et en systèmes d’armes auprès du groupe de réflexion sud-coréen Asan Institute for Policy Studies, a déclaré à l’Associated Press le 13 septembre que la Corée du Nord pourrait vouloir lancer un satellite militaire à l’aide d’une fusée spatiale russe et qu’elle pourrait « demander à la Russie de construire un satellite espion plus puissant que celui qu’elle essayait déjà de lancer ».

Pékin soutient les accords sur les armements, selon les experts

Malgré le fait que Washington ait menacé la Corée du Nord de nouvelles sanctions en cas de fourniture à la Russie d’armes susceptibles d’être utilisées dans la guerre en Ukraine, Pékin semble soutenir les accords de fourniture d’armements de la Corée du Nord, selon un expert de la Chine basé en Australie.

« Le Parti communiste chinois (PCC) tente de maintenir de bonnes relations avec la Russie. Toutefois, le PCC craint également que la Russie ne soit vaincue à long terme. Il n’est pas disposé à soutenir un perdant potentiel et à en payer un prix très élevé », a indiqué Feng Chongyi, professeur associé d’études chinoises à l’université de technologie de Sydney, dans une interview accordée à Epoch Times le 16 septembre.

Le dirigeant chinois Xi Jinping rencontre le président russe Vladimir Poutine le jour de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver, à Pékin, le 4 février 2022, vingt jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’occasion a été marquée par une « déclaration commune » annonçant un « partenariat sans limites » entre la Chine et la Russie. (Alexei Druzhinin/Sputnik/AFP via Getty Images)

« La Chine souhaite vendre des armes et des munitions [à la Russie], mais elle craint que l’Europe et les États-Unis ne lui imposent des sanctions globales. Cependant, elle souhaite s’opposer aux États-Unis tout en gardant Vladimir Poutine comme allié. De tels accords de fourniture d’armement [nord-coréen] sont bénéfiques pour le PCC, qui ne bloquera donc certainement pas ces transactions », a-t-il poursuivi.

La coalition Corée du Nord-Russie pourrait affaiblir l’influence de Pékin, selon les experts

Une importante coopération militaire et économique entre la Russie et la Corée du Nord pourrait avoir un impact sur le statu quo géopolitique en Asie du Nord-Est, selon les analyses des experts. Si la Russie et la Corée du Nord continuent à se rapprocher, l’influence de Pékin sur les deux pays pourrait diminuer. Kim Jong-un, un dictateur qui reçoit une aide militaire de la Russie, pourrait devenir encore plus audacieux et imprévisible, ce qui constituerait une menace pour l’État-parti chinois.

M. Lu estime que les relations entre ces trois « pays de l’axe du mal » sont instables, car ils « manquent de confiance mutuelle, ont des valeurs différentes et des stratégies diplomatiques différentes ».

« Il s’agit purement d’une relation d’intérêts stratégiques matérialistes », a-t-il noté. « En ce qui concerne la sécurité dans la péninsule coréenne, sur cette question la Chine, la Corée du Nord et la Russie ne peuvent pas former d’alliance ; elles cherchent uniquement ce qui leur manque. Ils ne sont pas comme les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud qui ont des valeurs démocratiques communes à défendre. »

M. Shen a souligné qu’une Corée du Nord dotée d’armes nucléaires pourrait constituer une menace majeure pour le régime chinois.

« Si la Corée du Nord possède des sous-marins à propulsion nucléaire [fournis par la Russie], associés à des armes nucléaires, et si la Corée du Nord refuse d’écouter le PCC qui pourrait perdre son contrôle sur Pyongyang, ou s’il y a un futur conflit entre les deux pays, alors ces armes nucléaires constitueraient une menace importante pour le PCC », a-t-il souligné.

M. Lu a fait remarquer qu’une fois que la Corée du Nord aura obtenu de la Russie la technologie des satellites militaires et des armes nucléaires, elle obtiendra probablement aussi des commandes pour la fourniture du matériel militaire et une aide alimentaire gratuite de la Russie, ce qui réduira le contrôle de Pékin sur la Corée du Nord.

M. Feng reconnaît également que l’influence de l’État-parti chinois sur la Corée du Nord n’est pas aussi importante qu’on le pense souvent. La Corée du Nord ne suit pas nécessairement Pékin dans tous les domaines.

Les deux experts sont d’avis que Kim Jong-un, contrairement aux chefs d’État démocratiquement élus, prend ses décisions en fonction des avantages qu’il retire de son règne sur la Corée du Nord.

« La Chine a des différends territoriaux avec la Corée du Nord, et les relations entre Kim Jong-un et le dirigeant chinois Xi Jinping ne sont pas aussi harmonieuses qu’elles peuvent paraître aux yeux des étrangers », a-t-il laissé entendre.

« Actuellement, Kim Jong-un renforce ses liens avec Poutine pour montrer à Xi Jinping qu’il ne compte pas uniquement sur un seul allié. Cela réduit la dépendance de Kim Jong-un et de la Corée du Nord à l’égard du PCC. »

M. Lu a constaté qu’aujourd’hui la Corée du Nord penche vers la Russie et que cela affaiblira certainement l’influence diplomatique de Pékin sur la Corée du Nord.

De son côté, Poutine a déclaré aux journalistes que la Russie et la Corée du Nord avaient « de nombreux projets intéressants » dans des domaines tels que les transports et l’agriculture, et que la Russie accordait une aide humanitaire à la Corée du Nord.

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