ANALYSE : La purge de Xi Jinping des hauts dirigeants militaires révèle une crise majeure au sein du PCC

Par Venus Upadhayaya
9 août 2023 10:25 Mis à jour: 9 août 2023 10:25

La récente révocation des deux principaux commandants chargés de superviser l’arsenal nucléaire chinois révèle de graves fractures au sein du régime du dirigeant chinois Xi Jinping et nuira à la modernisation militaire de ce pays, selon des analystes.

La semaine dernière, le général Li Yuchao, commandant de la Rocket Force de l’Armée populaire de libération (APL), et le commissaire politique Xu Zhongbo, commandant en second de la branche, ont été démis de leurs fonctions après avoir disparu de la scène publique pendant des mois. La raison de leur licenciement et le lieu où ils se trouvent actuellement ne sont pas connus.

Xi Jinping a nommé l’ancien chef adjoint de la marine Wang Houbin au poste de commandant le 31 juillet, tandis que Xu Xisheng, officier de l’armée de l’air et membre du comité central de l’élite du Parti communiste chinois (PCC), a été promu au poste de commissaire politique.

Il convient de noter que les deux hommes sont extérieurs à cette branche et n’ont aucune expérience au sein de la Rocket Force, la branche de l’APL responsable de l’arsenal nucléaire et des missiles balistiques du pays. Les analystes estiment que leur nomination risque de compromettre la capacité du régime à mener une guerre, alors qu’il cherche de plus en plus à défier les forces nucléaires des États-Unis et de la Russie.

Le général Li et M. Xu font partie des nombreux responsables de la Rocket Force qui ont disparu ces derniers mois et qui font vraisemblablement l’objet d’une enquête, ce qui laisse présager une purge générale des hauts gradés de la branche.

Il s’agit notamment du lieutenant-général Liu Guangbin, commandant adjoint de la Rocket Force, et du lieutenant-général Zhang Zhenzhong, ancien commandant adjoint de la branche, selon le sinologue Frank Lehberger, établi en Allemagne.

Outre les disparitions, la mort du général Wu Guohua, 66 ans, ancien commandant adjoint des forces armées, le 4 juillet, qui n’a été confirmée par les médias d’État chinois qu’à la fin du mois de juillet, a fait naître chez de nombreuses personnes l’hypothèse que les purges résultaient d’actes de corruption ou de fuites de secrets militaires.

Trois semaines après sa mort, les médias d’État chinois ont annoncé que le général Wu était décédé d’une maladie non spécifiée. Sa mort avait déjà été rapportée par des médias étrangers de langue chinoise, ce qui avait alimenté les spéculations sur un suicide du général.

Le dirigeant chinois Xi Jinping (devant-centre) et des responsables de la marine chinoise et étrangère posent pour une photo de groupe lors d’un événement commémorant le 70e anniversaire de la marine de l’Armée populaire de libération (APL) chinoise à Qingdao, dans la province chinoise du Shandong, le 23 avril 2019. (SCHIEFELBEIN/AFP via Getty Images)

Disparitions et décès

Ces purges sont intervenues à un moment où le PCC, parti des plus opaque, était en proie à de profonds bouleversements.

« Les récents changements au sein de la Rocket Force de l’APL sont plus qu’apparents, surtout à un moment où le ministre chinois des Affaires étrangères a disparu », a déclaré Claude Arpi, historien français et expert du Tibet résidant en Inde, à Epoch Times.

Le précédent ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, a disparu pendant un mois avant d’être officiellement démis de ses fonctions, sans explication.

Les circonstances suspectes entourant la mort du général Wu ont également été relevées par M. Lehberger.

« Aucune raison n’a été donnée pour expliquer pourquoi sa mort a été tenue secrète pendant trois semaines. Fin juillet, il a eu droit à des funérailles inhabituellement discrètes, sa notice nécrologique omettant son statut de membre de premier plan du PCC. Une humiliation, en somme. Aucune raison n’a été fournie pour expliquer ce choix », a indiqué M. Lehberger.

Le général Wu n’est pas le seul haut responsable militaire à être décédé au début de l’année et à voir sa mort tardivement confirmée par le régime.

Le général Wang Shaojun, 67 ans, ancien chef du Bureau de la Garde centrale, est décédé d’une maladie non spécifiée à Pékin le 26 avril, a rapporté l’agence de presse chinoise Xinhua le 27 juillet.

Le général Wang était auparavant le garde du corps principal de Xi Jinping et d’autres membres de haut rang du PCC.

« Aucune raison n’a été donnée pour expliquer pourquoi sa mort a été gardée secrète pendant trois mois », a ajouté M. Lehberger, précisant que le cas des deux généraux était « quelque chose d’inédit » dans l’histoire du régime communiste.

Corruption

Nishakant Ojha, un analyste géopolitique établi en Inde, a indiqué qu’il pensait que la purge de l’ensemble du commandement de la Rocket Force serait liée à une mesure de répression de la corruption.

« Il est possible que la Rocket Force n’ait pas atteint certains objectifs de haut niveau », a indiqué M. Ojha à Epoch Times, ajoutant ainsi qu’une enquête sur l’utilisation de l’argent a dû être ouverte.

Selon un rapport publié le 28 juillet par le South China Morning Post, citant des sources anonymes, plusieurs généraux de haut rang de la Rocket Force de l’APL ont fait l’objet d’une enquête pour corruption par l’organisme de surveillance militaire pendant des mois, dont le commandant en exercice de la force, Li Yuchao, et ses adjoints Zhang Zhenzhong et Liu Guangbin.

Pour M. Ojha, cette situation est comparable à l’enquête sur la corruption du fonds d’investissement chinois des semi-conducteurs, soutenu par l’État et connu sous le nom de « Big Fund », qui a conduit l’année dernière à la détention de plusieurs cadres supérieurs, dont l’ancien président du fonds, accusés d’avoir participé à des actes de corruption.

Des véhicules militaires transportant des missiles DF-17 participent à un défilé militaire sur la place Tiananmen à Pékin, le 1er octobre 2019, pour marquer le 70e anniversaire de la prise de pouvoir par les communistes en Chine. (Greg Baker/AFP via Getty Images)

Fuite de renseignements

He Qinglian, une éminente économiste et commentatrice chinoise établie aux États-Unis, pense que ce remaniement est la conséquence de la divulgation de secrets militaires qui ont été mis au jour lorsque le groupe de réflexion de l’armée de l’air américaine a publié un rapport de 255 pages sur la Rocket Force de l’APL (pdf), le 24 octobre 2022.

Le rapport décrit la structure organisationnelle de la Rocket Force, une branche connue pour son opacité, avec un nombre remarquable de détails, ce qui a incité des analystes, dont Mme He, à conclure qu’il avait été divulgué par de hauts responsables de la Rocket Force.

« Il n’est pas trop difficile d’obtenir ce genre d’informations », a-t-elle souligné, rappelant que les services de renseignement américains recrutent régulièrement des informateurs chinois.

« De plus, le PCC a toujours traité avec sévérité ce type d’espionnage qui porte atteinte à la sécurité nationale, conformément au principe ‘tuer mille personnes plutôt que d’en relâcher une’ », a-t-elle ajouté, faisant référence à une citation de l’ancien dirigeant chinois Mao Zedong.

Mme He a dit se souvenir d’incidents antérieurs comme la purge de 2010, qui a vu le PCC démanteler une opération d’espionnage menée par la CIA en Chine en exécutant ou en emprisonnant des dizaines d’informateurs sur une période de deux ans.

Facteurs multiples

Certains analystes ont noté que le remplacement par Xi du commandement de la Rocket Force était intervenu peu de temps après la mutinerie du groupe russe Wagner à la fin du mois de juin, dirigée contre le président Vladimir Poutine.

Pour M. Lehberger, Vladimir Poutine est un ami personnel de Xi Jinping et la mutinerie russe aurait ébranlé le dirigeant chinois au plus haut point.

Bien que cette information ne puisse être confirmée, M. Lehberger a noté que « le moment particulier et la rapidité avec laquelle le remplacement au sein de l’APL a eu lieu » confèrent une certaine crédibilité à cette hypothèse, surtout si l’on tient compte du fait que le dirigeant Xi a probablement été confronté à des menaces de coup d’État au cours de son mandat.

« C’est pourquoi certains commentateurs qualifient toute cette affaire de ‘moment Wagner pour la Chine’. »

La Rocket Force, la branche la plus récente de l’APL, créée par Xi lors de ses vastes réformes militaires menées en 2015, supervise les missiles de précision qui visent des cibles fixes et mobiles partout à Taïwan, au Japon, en Inde, dans les territoires américains du Pacifique tels que Guam, Wake Island, Hawaï et la partie continentale des États-Unis, selon M. Lehberger.

« La plupart des missiles de précision (non nucléaires) contrôlés par la Rocket Force pourraient hypothétiquement être dirigés par les futurs putschistes chinois contre Xi Jinping lui-même. Ainsi, ces missiles pourraient devenir un moyen sûr et infaillible d’éliminer Xi Jinping du pouvoir chinois, à la différence du coup d’État manqué des mercenaires du groupe Wagner, armés uniquement de fusils, qui visaient Vladimir Poutine à Moscou », a-t-il expliqué.

M. Lehberger a également indiqué que les messages récents du PCC concernant l’APL révélaient les causes de la purge.

Les discours prononcés par Xi depuis le 24 juillet et les divers éditoriaux publiés dans les médias d’État du PCC mettent en évidence quatre problèmes principaux au sein de l’armée : « le manque d’éthique au sein de l’APL, le manque de supervision de l’APL, la formation de factions au sein de l’APL et la divulgation active de secrets militaires de premier ordre par l’APL », a-t-il souligné.

Les deux premiers facteurs peuvent être qualifiés de corruption et de diverses formes de manquement à l’éthique, et les deux derniers sont des délits politiques graves et des actes de trahison qui menacent directement la survie du régime du PCC et de Xi en particulier, d’après le sinologue.

« Ces quatre points corroborent mon opinion : toute cette affaire n’est pas seulement imputable à la corruption, au comportement ou à la mauvaise conduite éthique, mais le statut de Xi comme dirigeant autocratique de la Chine se trouve également menacé », a poursuivi M. Lehberger.

Effets sur la capacité militaire de l’APL

La nomination de deux personnes extérieures à la direction de la Rocket Force de l’APL a attiré l’attention des analystes.

« Il ressort clairement que Xi Jinping est confronté non seulement à un énorme problème de discipline au sein de l’APL, mais qu’il a également de sérieuses difficultés à trouver des officiers en qui il peut avoir confiance », a estimé M. Arpi.

Selon M. Lehberger, la nomination du général Wang n’est pas seulement singulière, elle est aussi préjudiciable à la capacité de combat de la Rocket Force.

La biographie officielle du général Wang mentionne qu’il a commencé sa carrière en tant qu’officier subalterne au sein du détachement des forces aériennes de la marine de l’APL. Le général Wang serait plutôt un bureaucrate. Il n’a jamais piloté d’avion à l’époque et n’a donc pas d’expérience en matière de vol.

Plus tard, il est devenu officier au quartier général de l’état-major de la marine de l’APL. En tant que tel, il n’a jamais été impliqué dans le commandement d’un navire de guerre et manque donc d’expérience pratique.

« Wang n’a été félicité que pour avoir été un officier loyal, docile et travailleur … au sein du quartier général de l’état-major. Paradoxalement, ce sont ces qualités, associées à son manque total de savoir-faire technique ou professionnel, qui ont joué un rôle crucial dans le choix par Xi Jinping de l’amiral Wang Houbin comme nouveau commandant de la Rocket Force », a poursuivi M. Lehberger.

Le manque d’expérience du général sera particulièrement préjudiciable à la Rocket Force car, selon M. Lehberger, cette force revêt une plus grande importance que les autres branches et se doit d’être dirigée par un officier supérieur spécialisé dans les missiles balistiques.

« En outre, le principal adversaire de la ‘Rocket Force’ est la redoutable force nucléaire stratégique américaine, qui la contraint à ne pas commettre d’erreurs maladroites susceptibles de provoquer des répercussions catastrophiques pour le PCC », a ajouté l’expert.

« Un novice et un étranger comme le général Wang Houbin à la tête de la Rocket Force ne fera que susciter la colère, le mépris et l’insubordination du corps des officiers et du personnel militaire, ce qui renforcera les soupçons et la paranoïa de Xi jinping », a-t-il ajouté, qualifiant cette situation de « cercle vicieux ».

Le remaniement massif des forces que le dirigeant Xi a personnellement créées indique que ses réformes militaires sont confrontées à des problèmes graves et sans précédent, estime M. Lehberger.

« Ce constat est corroboré comme suit : à l’exception d’une poignée de hauts officiers de l’APL qu’il connaît personnellement depuis des décennies, Xi ne fait confiance à personne d’autre au sein du corps des officiers de l’APL ; il est visiblement mal à l’aise lorsqu’il rencontre des officiers de l’APL ou de simples soldats », a-t-il affirmé.

En décembre 2015, Xi Jinping a créé la Rocket Force et la Force de soutien stratégique de l’APL, chargée de la guerre psychologique, de la cyberguerre et de la guerre de l’information.

« Xi les a dotés d’officiers triés sur le volet, soigneusement contrôlés pour leur loyauté envers lui personnellement », a conclu M. Lehberger.

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