Les habitants de la frontière racontent le conflit Inde-Pakistan
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Un soldat de l’armée indienne garde la Ligne de Contrôle (LoC) entre le Pakistan et l’Inde, dans la région du Kashmir administrée par l’Inde, le 19 mai 2025.
[JAMMU, Inde] — Shyam Lal Sharma et sa famille venaient de rentrer d’une réception de mariage de son neveu vers minuit le 6 mai. Quelques heures plus tard, vers 2 heures du matin, ils entendirent une forte explosion.
Un avion de chasse indien s’était écrasé dans un village voisin.
« Cela a explosé comme une immense boule de feu », a déclaré M. Sharma à Epoch Times. « Cela a tout illuminé bien plus que le soleil lui-même. »
Deux pilotes se sont éjecté de l’avion ; un d’eux a subi une fracture, selon des villageois.
M. Sharma vient d’un village nommé Sungal dans la région de Jammu-et-Cachemire contrôlée par l’Inde, une zone frontalière où s’est déroulé le conflit Inde-Pakistan en mai.
Dans des interviews accordées à Epoch Times en août, les habitants ont raconté ce conflit de quatre jours, marqué comme le pire face-à-face entre l’Inde et le Pakistan depuis des décennies, ainsi que ses suites.
Le conflit, composé majoritairement de frappes de missiles et de drones, a causé des dizaines de morts avant qu’un accord de cessez-le-feu ne soit conclu le 10 mai.
Les hostilités ont suivi un massacre perpétré par des terroristes qui ont tué 26 personnes dans une station touristique du Cachemire sous contrôle indien en avril. L’Inde a accusé le Pakistan de soutenir le groupe terroriste responsable de l’attaque. Islamabad a nié ces accusations.
Le Pakistan a affirmé avoir abattu six avions indiens durant le conflit, ce que l’Inde a démenti. Cependant, un responsable indien de la défense a reconnu qu’un nombre non précisé d’avions indiens avait été abattu.
Epoch Times n’a pas pu confirmer de manière indépendante le crash rapporté par les villageois. Le ministère indien de la Défense n’a pas répondu à la demande de commentaire de la publication.
Le personnel de sécurité indien bouclant la zone après un crash d’avion à Pampore, près de Pulwama, en Inde, le 7 mai 2025 après que l’Inde eut lancé des frappes aériennes au Pakistan et au Cachemire administré par le Pakistan. (BASIT ZARGAR/Middle East Images/AFP via Getty Images)
Évolution des tactiques de guerre
M. Sharma, 71 ans, président d’une coopérative agricole régionale, a été témoin de tous les conflits entre l’Inde et le Pakistan sauf le premier en 1947.
« Autrefois, les guerres se déroulaient de telle manière que le Pakistan passait de notre côté ou que nous marchions sur leur territoire », a-t-il déclaré.
Bien qu’il y ait eu quelques escarmouches à la frontière en mai, la tension y a été moindre que lors des guerres précédentes, a-t-il ajouté. « Cette fois, c’était un combat à coups de missiles et de drones. »
Le conflit de quatre jours a vu l’Inde utiliser pour la première fois deux types de missiles de croisière contre le Pakistan, dont un développé en coopération avec la Russie et un missile européen, selon le centre de réflexion Stimson basé à Washington, D.C. De même, le Pakistan a déployé plusieurs missiles balistiques à courte portée pour la première fois contre l’Inde.
« Immédiatement après l’attaque terroriste, notre région a été placée en alerte maximale. Dès le lendemain, nous avons vu beaucoup de mouvements de troupes. Des chars de l’armée sont passés par notre village », raconte Anil Kumar, enseignant dans une école publique de Sungal.
Situé à seulement six kilomètres de la frontière indo-pakistanaise et à 25 kilomètres de la frontière contestée appelée Ligne de Contrôle, Sungal est particulièrement vulnérable en période de conflit.
Les deux camps ont également utilisé des drones à grande échelle pour la première fois dans leurs combats réciproques.
(Illustration par Epoch Times, Getty Images)
Lorsque les frappes de drones ont commencé, elles ciblaient visiblement un système de défense indien dans un village voisin, situé à six kilomètres, explique M. Kumar. Les drones survolaient Sungal en se dirigeant vers leur cible.
Avant ces frappes, M. Kumar précise que les habitants des villages environnants situés sur les collines autour du système de défense ont été déplacés vers des zones plus sûres.
Vikrant Dogra, président de la fédération coopérative de Jammu-et-Cachemire sous contrôle indien, habite dans la grande ville de Jammu, dans le Cachemire administré par l’Inde.
En général, lors de combats transfrontaliers ou de bombardements, les affrontements n’atteignent pas cette ville densément peuplée, située à environ 15 kilomètres de la frontière, explique M. Dogra.
« Mais cette fois, c’était comme un jeu vidéo ouvert où le ciel faisait écran », a-t-il décrit.
Jammu a été l’une des nombreuses zones frappées par des drones pakistanais durant le conflit, ce qui a provoqué des contre-attaques indiennes au Pakistan.
M. Dogra a envoyé ses deux enfants vivre chez leur grand-mère dans un État voisin pour les protéger du conflit.
Relocalisation
Plus de 70.000 personnes de la grande région d’Akhnoor, qui inclut Sungal, ont volontairement quitté leurs foyers pour se réfugier dans des zones plus sûres pendant les tensions frontalières, selon Ram Paul Sharma, chef de village à Sungal.
Même si ce conflit s’est déroulé différemment des précédentes confrontations, avec moins de combats au sol, la perception des habitants n’a pas changé, ce qui a engendré une confusion généralisée.
En tant que leaders communautaires, Ram Paul Sharma et Shyam Lal Sharma ont tenté d’expliquer aux habitants qu’il n’y aurait pas de violents combats frontaliers cette fois-ci, et qu’ils pouvaient rester chez eux.
La prédominance de la guerre aérienne est la nouvelle réalité à laquelle sont confrontées les régions frontalières, souligne Shyam Lal Sharma.
Il estime que si l’Inde n’avait pas été préparée à attaquer et à se défendre contre les drones et les missiles, les habitants de la frontière auraient été davantage menacés.
Sans le cessez-le-feu, Shyam Lal Sharma affirme que « l’armée serait aussi venue nous évacuer et reloger ».
Le gouvernement a fourni à certains habitants d’Akhnoor des parcelles pour s’abriter en période de conflit, affirme M. Dogra. Il existe aussi des bunkers le long d’autres parties de la frontière contestée. Cependant, selon les habitants, la région d’Akhnoor manque de bunkers suffisants pour sa population.
De nombreux habitants d’Akhnoor ont migré vers les collines, chez des proches ou dans des sites de pèlerinage locaux, explique Jagdish Raj, membre du conseil villageois de Sungal.
« Ils ont migré vers des zones plus sûres que ces drones ne pouvaient atteindre », précise-t-il.
Impact sur les enfants
Ce conflit a particulièrement laissé des séquelles chez les enfants.
« Même un pétard la nuit leur fait croire qu’il y a des tirs », rapporte M. Kumar, l’enseignant. « Les enfants sont devenus très attachés, ils ne quittent plus leurs parents par peur que les drones n’arrivent à tout moment. »
À la suite du conflit, les habitants de Sungal ont lancé un appel au gouvernement indien pour davantage de programmes sociaux. Ils demandent des mesures spécifiques pour l’éducation, l’emploi et les soins médicaux des enfants des régions frontalières.
Ils expliquent que les enfants de ces zones souffrent particulièrement, car toute tension à la frontière provoque la fermeture des écoles. Le conflit de mai a perturbé le cursus scolaire normal dans les établissements frontaliers pendant plus d’un mois.
La rivière Chenab, un cours d’eau transfrontalier du bassin de l’Indus, en crue dans la ville d’Akhnoor, Jammu, Inde, à environ 19 miles de la frontière internationale indo-pakistanaise, le 9 août 2025. (Venus Upadhayaya/Epoch Times)
Suspension du traité sur l’eau
Après l’attaque terroriste d’avril, New Delhi a suspendu sa participation au traité des eaux de l’Indus, un accord vieux de 65 ans qui répartit le contrôle des rivières s’écoulant de l’Inde vers le Pakistan et régule le partage de l’eau.
Le traité attribuait trois rivières à chaque pays. L’Inde se voyait accorder l’usage des rivières orientales Sutlej, Beas et Ravi ; le Pakistan recevait celles de l’ouest, Indus, Jhelum et Chenab.
Des villageois de Sundal, situé sur la rivière Chenab, ont déclaré à Epoch Times avoir observé l’arrêt du débit de la rivière pendant environ six heures le 23 avril. Ils ont aussi constaté des variations significatives du débit entre le 23 avril et le 7 mai.
En annonçant son retrait du traité, l’Inde a déclaré qu’elle le maintiendrait « jusqu’à ce que le Pakistan renonce de manière crédible et irrévocable à son soutien au terrorisme transfrontalier ».
L’Inde a cessé le partage des données hydriques avec le Pakistan dans le cadre de cet accord, a indiqué Sant Kumar Sharma, journaliste vétéran et coauteur de deux ouvrages sur le traité des eaux de l’Indus.
Citant la méfiance de longue date entre les deux pays rivaux, Sant Kumar Sharma a estimé que la suspension de ce pacte ne serait pas levée de sitôt.
« Le traité des eaux de l’Indus n’existe plus », a-t-il affirmé à Epoch Times.
Venus Upadhayaya s'intéresse à de nombreux sujets. Son domaine d'expertise est la géopolitique indienne et sud-asiatique. Elle a rendu compte de la très instable frontière indo-pakistanaise et a contribué à l'intégration de la presse écrite en Inde pendant environ une décennie. Les médias communautaires, le développement durable et le leadership restent ses principaux domaines d’intérêt.