ANALYSE : Le Panchen Lama reconnu par Pékin a commencé à ordonner des moines et défend la ligne du Parti communiste

Depuis plus de vingt-cinq ans, l'endroit où se trouve l'actuel chef spirituel tibétain demeure un mystère.

Par Venus Upadhayaya
28 décembre 2023 01:14 Mis à jour: 28 décembre 2023 01:14

Gyaincain Norbu a achevé une tournée de six mois au Tibet occidental, durant laquelle il s’est rendu dans des monastères et a ordonné 28 moines. Mais ce chef spirituel, qui est censé être la réincarnation du Panchen Lama, la deuxième plus haute figure spirituelle du bouddhisme tibétain. est en réalité soutenu par Pékin, et a été choisi par le Parti communiste chinois (PCC) en 1995.

Les ordinations de moines ont eu lieu entre le 6 octobre et le 7 novembre au monastère tibétain de Tashi Lhunpo, vieux de 700 ans, et siège traditionnel du Panchen Lama. Le 7 décembre, le média d’État chinois Xinhua a rapporté que la tournée et les ordinations – une première pour ce chef spirituel – étaient le signe de « réalisations bouddhistes et d'[élévation du] statut religieux » de ce dernier.

Pendant des siècles, le monastère, situé dans la région montagneuse de Xigazê, que les Tibétains appellent Shigatse, a été le siège des Panchen Lamas successifs. Traditionnellement, ce titre était attribué à l’un des lamas réincarnés, dont l’autorité spirituelle n’est surpassée que par celle du dalaï-lama. Le Panchen Lama réincarné est traditionnellement identifié par des moyens tels que les rêves, les présages et une reconnaissance officielle par le Dalaï Lama.

Le 14 mai 1995, le 14e Dalaï Lama – qui a fui les persécutions du PCC en 1959 et vit actuellement en exil en Inde – a désigné Gedhun Choekyi Nyiama, âgé de 6 ans à l’époque, comme la 11e réincarnation du Panchen Lama. Mais à la suite de cette annonce, l’enfant et sa famille ont été enlevés par le PCC, qui a nommé son propre candidat, Gyaincain Norbu, six mois après l’enlèvement.

Aujourd’hui, Gyaincain Norbu, âgé de 33 ans, occupe de nombreuses fonctions au sein d’organes constitués par le PCC et apparaît souvent lors d’événements importants organisés par le Parti. Il est président de la branche Xizang (région autonome du Tibet) de l’Association bouddhiste de Chine et membre du principal organe consultatif du PCC, le comité permanent du comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois. Il est également vice-président de l’Association bouddhiste de Chine.

Parallèlement, on ne sait toujours pas où se trouve le leader reconnu par le Dalaï Lama. En 2020, 25 ans après sa disparition, le PCC a publié une brève déclaration indiquant que Gedhun Choekyi Nyiama était diplômé de l’université, qu’il avait un emploi stable, et que sa famille et lui préfèrent que leur « vie normale actuelle » ne soit pas perturbée.

Les médias tibétains à l’étranger, ainsi que les médias d’État chinois, ont donné un écho favorable à la tournée du Panchen Lama du PCC au Tibet. Ce dernier aurait déclaré que le bouddhisme tibétain devrait « s’adapter à la société socialiste et à la nouvelle ère du socialisme aux caractéristiques chinoises », insistant pour que la communauté bouddhiste tibétaine « étudie et applique l’esprit » du 20e congrès national du PCC.

Le message qu’il a délivré au Tibet était apparemment favorable à l’établissement du « statut du camarade Xi Jinping comme noyau du Comité central du Parti et de l’ensemble du Parti », et aurait promu « la pensée de Xi Jinping pour guider le socialisme aux caractéristiques chinoises pour la nouvelle ère ».

De nombreux Tibétains ne considèrent pas Gyaincain Norbu comme le Panchen Lama légitime. La Commission américaine pour la liberté religieuse internationale a demandé à plusieurs reprises la libération de Gedhun Choekyi Nyiama.

Le 11e Panchen Lama Gyaincain Norbu (C), nommé par le PCC,avec d’autres délégués lors d’une conférence politique du PCC au Grand Hall du peuple à Pékin, le 14 mars 2016. (Greg Baker/AFP via Getty Images)

Quels sont les enjeux ?

Lorsque le Dalaï Lama a fui le Tibet pour l’Inde, de nombreux monastères tibétains ont été rétablis en Inde. Ainsi, il existe également un monastère Tashi Lhunpo dans l’État de Karnataka, dans le sud de l’Inde. Epoch Times s’est entretenu avec le vénérable Kekhang Rinpoche, secrétaire général du monastère de Tashi Lhunpo dans le Karnataka, sur l’importance de la tradition du Panchen Lama.

Derrière le Panchen Lama, se cache un héritage mondial qui remonte à 1500 ans. Il tire ses racines de l’ancien Mahavihara de Nalanda, une université monastique bouddhiste située dans ce qui est aujourd’hui le centre de l’Inde. L’une des écoles qui s’y est développée a jeté les bases de la tradition du Panchen Lama.

L’étude à l’Université Nalanda était axé sur les écoles philosophiques indiennes classiques, qui mettaient l’accent sur la logique et le raisonnement, et qui se sont transmises essentiellement en sanskrit, a expliqué le moine à Epoch Times.

La ville de Nalanda (5e-12e siècle après J.-C.) était très bien desservie par certaines des plus anciennes voies de communication terrestres et maritimes et recevait des étudiants du monde entier.

Kekhang Rinpoche a expliqué à Epoch Times que le centre monastique Nalanda a produit de nombreux maîtres érudits, dont le moine philosophe Nagarjuna, considéré comme l’un des plus importants philosophes du bouddhisme. D’autres maîtres érudits sont Acharya Aryadeva, Buddhapalita, Bhavaviveka, Chandrakirti, Shantideva, Shantarakshita et Kamalashila.

Ces érudits, connus sous le nom de « maha pandita », ont contribué au développement de ces traditions philosophiques qui sont devenues le fondement du bouddhisme mahayana dans de nombreuses nations d’Asie de l’Est. Le terme tibétain « panchen » est lui-même dérivé du mot sanskrit « pandita », signifiant érudit, et « chenpo » en tibétain, signifiant grand. Panchen Lama signifie donc « grand érudit » ou maha pandita.

Dans les années 1190, le centre universitaire monastique de Nalanda a été détruit par des envahisseurs turco-afghans. Cependant, son influence, et les textes sanskrits de ses nombreuses écoles, se sont largement répandus. Des centaines de ces textes ont été rapportés en Chine par le moine bouddhiste chinois Xuanzang, qui a passé deux ans à Nalanda, et par le moine de l’ère Tang, Yijing, qui y a passé dix ans.

Des militants tibétains tiennent un portrait de Gendun Choekyi Nyima, l’enfant de 6 ans qui a été choisi par le Dalaï Lama pour devenir le 11e Panchen Lam en 1995. (David Reid)

La pétition en 70.000 caractères

Bien que le 14e Dalaï Lama ait fui le PCC, le dixième Panchen Lama est resté au Tibet. Le Parti lui a donné quelques « titres fantaisistes », dont celui de vice-président du Congrès national du peuple. Après l’annexion du Tibet à la Chine, un grand nombre de Tibétains ont été emprisonnés. Les protestations du Panchen Lama ont été balayées par le régime, les qualifiant d’ « inévitables [et de typiques] de tous les mouvements de réforme », selon le Département de l’information et des relations internationales du gouvernement tibétain en exil.

En 1962, le dixième Panchen Lama s’est rendu dans différentes régions du Tibet, au Xinjiang et dans le sud de la Chine. Troublé par ce qu’il voyait, il rédigea une longue pétition à l’intention des chefs du régime communiste chinois.

« Ceux qui ont des connaissances religieuses s’éteindront petit à petit, les affaires religieuses stagnent, les connaissances ne sont pas transmises, l’on craint qu’il n’y ait pas de relève à former, et nous assistons donc à l’élimination du bouddhisme, qui était florissant au Tibet et qui transmettait la connaissance et l’éveil », a déclaré le Panchen Lama. « C’est quelque chose que moi et plus de 90% des Tibétains ne pouvons supporter. »

Sa pétition, connue sous le nom de « pétition en 70.000 caractères », a été soumise en mai 1962 au premier ministre de la Chine Zhou Enlai, qui a demandé au département du Front uni et aux cadres communistes de revoir leur travail au Tibet.

Malheureusement, Mao Zedong a qualifié la pétition de « flèche empoisonnée » visant le Parti, et le Panchen Lama, de « seigneur féodal réactionnaire ». Furieux des critiques du chef spirituel à l’égard du PCC, Mao l’assigne à résidence, puis le condamne. Les titres qui lui avaient été conférés par le PCC lui sont retirés et il doit passer par des « sessions de lutte », et des humiliations publiques ainsi que des actes de torture.

La Révolution culturelle chinoise s’est étendu au Tibet dès le début de l’année 1966. Au cours de la décennie suivante, le sort du dixième Panchen Lama s’est aggravé. Notamment, en août 1966, les gardes rouges chinois ont fait intrusion et l’ont paradé, brutalisé et torturé en public en août 1966. Jusqu’en 1977, il a été emprisonné, période au cours de laquelle le monde n’a eu que peu ou pas d’informations à son sujet. Il est soudainement réapparu au début de l’année 1978 et, un an plus tard, ses fonctions de vice-président du Congrès national du peuple lui furent restituées.

Mais il refusait d’être réduit au silence. Il meurt subitement le 28 janvier 1989, à l’âge de 51 ans, peu après avoir prononcé un discours critiquant la Révolution culturelle. Nombreux sont ceux qui pensent qu’il a s’agit d’un empoisonnement.

Le 10e Panchen Lama lors d’une « session de lutte » en 1964 (Domaine public)

Défense du Panchen Lama

La question de l’enlèvement du 11e Panchen Lama a de nouveau fait la une des journaux ces derniers mois, coïncidant avec la tournée de six mois de Gyaincain Norbu. Cette question est d’autant plus importante que le Panchen Lama joue traditionnellement un rôle clé dans l’identification de la prochaine réincarnation du Dalaï Lama.

Le 15 décembre, le PCC a inauguré une exposition d’art bouddhiste et de reliques culturelles appartenant à la lignée des panchen-lamas dans la région administrative spéciale de Macao. L’exposition présente 137 pièces rares provenant du monastère de Tashi Lhunpo et du musée du palais de Pékin et se tiendra jusqu’au 17 mars 2024, selon le média chinois Xinhua.

Selon un reportage de Radio Free Asia, le régime chinois verse 100 yuans (13 euros) aux Tibétains pour chaque visite de bénédiction qu’ils rendent à Gyaincain Norbu lors de ses déplacements dans la région.

La campagne visant à renforcer la popularité du Panchen Lama nommé par Pékin se déroule dans un contexte où la prochaine réincarnation du 14e Dalaï Lama, aujourd’hui âgé de 88 ans, fait objet de discussion. Ce dernier a déclaré qu’il pourrait renaître en dehors de la Chine continentale, voire ne pas renaître du tout.

Dans un livre blanc publié le mois dernier, le PCC a affirmé que tout successeur du Dalaï-lama devrait venir de Chine continentale et être approuvé par le Parti. Le régime a déjà tenté de réglementer la réincarnation avec ses « Mesures d’État sur la gestion de la réincarnation des bouddhas vivants du bouddhisme tibétain » de 2007.

Dans le récent livre blanc, le régime a déclaré que « les bouddhas tibétains vivants réincarnés, y compris les dalaï-lamas et les panchen rinpochés, doivent être recherchés à l’intérieur du pays, décidés par la pratique du tirage au sort de l’urne d’or, et recevoir l’approbation du gouvernement central ».

Kekhang Rinpoché a dénoncé cette mesure du PCC, qu’il qualifie de « distorsion des lignées et du processus de reconnaissance des maîtres ». L’imposition d’une réglementation gouvernementale sur un processus spirituel est un acte qui porte atteinte aux traditions anciennes et identitaires, qui sont le fruit d’une histoire et se sont enrichies au cours de millénaires de civilisation, a-t-il déclaré.

« Le Dalaï Lama et le Panchen Lama sont étroitement liés et chacun participe au processus de reconnaissance des réincarnations de l’autre. »

« L’éradication des fondements spirituels d’une culture est le moyen le plus facile de manipuler les masses. L’ingérence du PCC dans les idéaux et les rituels de lignée plus anciens que sa propre histoire est une violation flagrante de la liberté, des droits de l’homme et de l’héritage culturel [du Tibet], au profit de son agenda politique superficiel ».

Afin de faire connaître et promouvoir la tradition du Panchen Lama, le monastère indien de Tashi Lhunpo a lancé le 5 décembre une « Initiative de sensibilisation au Panchen Lama ». Lors du lancement de la campagne, les législateurs indiens ont été invités à faire pression sur la Chine afin qu’elle libère le 11e Panchen Lama.

« Je lance cet appel du fond du cœur dans le contexte de la situation désastreuse du Tibet », a déclaré Tenzin Thupten Rabgyal, l’abbé du monastère de Tashi Lhunpo, dans un communiqué.

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