Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin

4 janvier 2016 09:36 Mis à jour: 9 novembre 2019 01:11

La compagnie La Cordonnerie présente Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin au Théâtre de la Ville.

Sensible, intelligent et parsemé d’une grosse poignée de magie, le dernier ciné-spectacle de la compagnie lyonnaise invite grands et petits à regarder de l’autre côté du miroir des contes des fées.

« Miroir, miroir qui est la plus belle du Royaume ? »

Dans Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim explique comment les contes répondent aux angoisses des enfants en les informant sur les épreuves à venir et les efforts à accomplir avant d’atteindre la maturité. Selon le psychanalyste, la méchante marâtre représente souvent pour l’enfant un aspect insupportable de sa vraie mère. Dans cet ouvrage, il explique : « Tout conte de fées est un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu’exige notre passage de l’immaturité à la maturité. Pour ceux qui se plongent dans ce que le conte de fées a à communiquer, il devient un lac paisible qui semble d’abord refléter notre image ; mais derrière cette image, nous découvrons bientôt le tumulte intérieur de notre esprit, sa profondeur et la manière de nous mettre en paix avec lui et le monde extérieur, ce qui nous récompense de nos efforts.

Pour Métilde Weyergans et Samuel Hercule, fondateurs de la compagnie La Cordonnerie, le conte est « un réservoir inépuisable qui nous permet de passer de la petite à la grande histoire, de l’intime à l’universel ».

Les deux artistes s’emparent du conte pour lui tordre le cou, le dépouiller. N’hésitant pas à inverser les rôles des personnages et à en ajouter d’autres tout en gardant le squelette de l’intrigue pour donner un autre angle au récit, bafouant le cliché au profit d’un regard frais.

Le décalage

Dans Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin, le spectateur trouvera une belle-mère, une Blanche, sept nains, une pomme rouge, un chasseur, une forêt, un prince par défaut, un royaume et un miroir sauf que… cette fois-ci la parole est donnée à la belle-mère :

« Je m’appelle Elisabeth, j’ai 42 ans et mon rôle dans cette histoire, c’est celui de la méchante… Personne ne m’a jamais demandé ma version des faits. Eh bien, puisque vous êtes là, je vais vous la donner… »

Eh oui, la marâtre est plutôt gentille, Blanche est une ado rebelle et difficile à supporter, le miroir sème la méfiance et l’intrigue, les nains ont été volés dans les jardins du quartier, les pommes sont des pommes d’amour envoyées par un père qui a empoisonné la vie de sa fille en quittant le foyer, le prince charmant a peur de sa maman et « Le Royaume » n’est rien d’autre que le nom du HLM qui abrite Blanche et sa belle-mère.

Blanche perd sa mère à sa naissance. Son père, trapéziste, épouse Elisabeth, une hôtesse de l’air très belle qu’il abandonne aussitôt pour partir à l’aventure dans un cirque en Russie alors que la jeune fille n’a que six ans. Depuis, c’est sa belle-mère, Elisabeth, qui s’en occupe, avec amour.

On est 1989, à la radio on parle des événements qui précèdent la chute du mur de Berlin.

Entre Elisabeth et sa belle-fille, un mur se lève.

La mère sort tôt et rentre tard pour subvenir aux besoins de la petite famille. Peu à peu, la communication se limite à des phrases toutes faites :

« Range ta chambre, ma chérie ! »

« Blanche, c’est pas gratuit le téléphone. »

« Tu feras bien tes devoirs, ok ? »

Et en retour toujours la même réponse, un regard vide et une énorme bulle de chewing-gum qui s’éclate sur le visage.

Puis un jour, la fille fugue, la belle-mère se rend au commissariat, le policier part en week-end à la chasse, et entre-temps, le miroir complote…

Mais un jour, le mur de Berlin tombe et c’est le moment d’ouvrir le cœur. Elisabeth décide de briser le mur du silence et de la routine désenchantée, et de dire à Blanche qu’elle l’aime.

Le conte de Blanche-Neige s’inscrit dans le contexte historique de la guerre froide, proposant plusieurs niveaux de lecture selon les âges. C’est un conte des temps modernes, léger et profond à la fois, intelligent et magique.

Une histoire qui se fabrique sous nos yeux

Et nous n’avons pas encore parlé de la mise en scène qui mêle plusieurs disciplines – cinéma et spectacle vivant – ni de la manière dont elle prend forme directement devant les spectateurs.

L’intrigue est projetée sur un écran, parfois divisé en deux, présentant des moments simultanés du quotidien : Elisabeth dans l’avion en pleine démonstration – masques à oxygène, issues de secours – alors que Blanche planche sur son bureau à l’école.

Sur scène, accompagnant l’action en direct, à l’aide de deux musiciens, Métilde Weyergans et Samuel Hercule prêtent leur voix aux personnages. Métilde joue aussi, et à merveille, de l’harmonica. Lui, fait les bruitages avec des instruments de récup’ qui arrivent l’un après l’autre sur une sorte de tapis roulant : une vieille radio d’enfant, une lampe torche (pour la nuit), un petit arbre (pour la nature), du papier (pour les pas sur les feuilles sèches). Chaque élément crée une ambiance, amène une nouvelle sonorité et apparaît au parfait moment. Des petits moments magi-comiques.

Métilde Weyergans et Samuel Hercule portent une attention méticuleuse à tout ce qu’il y a à voir et à entendre sur le plateau.

Le gros plan sur Elisabeth et le policier en train de prendre le café est l’un des moments phares de cette synchronisation étourdissante de rigueur.

Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin est un spectacle total, d’une qualité rare, drôle et subtil et qui – quel bonheur – montre un énorme respect pour l’enfant lui-même et pour sa capacité de jugement.

Infos pratiques

Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin

Conception et réalisation : Samuel Hercule et Métilde Weyergans.

Avec à l’écran : Valentine Cadic, Métilde Weyergans, Samuel Hercule, Quentin Ogier, Neil Adam, Jean-Luc Porraz, Alix Benezech, Vannina Furnion, Florie Perroud, Thimothée Jolly.

Théâtre de la Ville (Théâtre des Abbesses). Jusqu’au 8 janvier

En tournée : 18 au 24 janvier à Genève, 28 au 6 février au Nouveau Théâtre de Montreuil, 10 au 12 février à la Maison des Arts de Créteil, 25-26 à Reims (Le Manège), 1er au 3 mars à Besançon (les 2 scènes), 17 au 19 mars à Villefranche/Saône, 31 mars et 1er avril à Creil (La Faïencerie), 14-15 avril à Vélizy (L’Onde), 19 au 22 avril à Rouen (CDN), en mai à Gap (La Passerelle), 18 au 21 mai à St-Etienne (CDN), 7 au 10 juin à Lyon (Théâtre de la Croix-Rousse).

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