Amazon: c’est l’intelligence artificielle qui décide de licencier les livreurs, occasionnant des injustices systémiques

Par Léonard Plantain
4 juillet 2021 08:26 Mis à jour: 4 juillet 2021 08:26

L’agence Bloomberg, dans son enquête sur l’automatisation des ressources humaines au sein du programme de livraison Flex d’Amazon, a mis en lumière certaines dérives du management par l’intelligence artificielle (IA).

Après l’installation par Amazon de caméras à l’intérieur des camionnettes de livraison, une enquête de Bloomberg évoque désormais le licenciement des chauffeurs par des robots via le programme Amazon Flex, inauguré en 2015 par Amazon pour assurer les livraisons en quelques heures de son service Prime Now.

Bien que ces deux choses ne soient pas directement liées, la première suggère une surveillance toujours plus intrusive des travailleurs, tandis que la seconde confirme un « management augmenté », c’est-à-dire une gestion des salariés aidée, voire dictée, par l’intelligence artificielle.

En effet, selon Bloomberg : les embauches, les rapports de performances et les licenciements sont autant de sujets liés aux ressources humaines qui sont désormais traités de manière presque totalement automatique par des logiciels développés en ce sens, à base d’algorithmes. Une situation rendue possible car les chauffeurs utilisent au quotidien une application fournie par Amazon sur leur smartphone, pour signaler l’heure à laquelle ils commencent leur tournée, signer les documents que leur présente leur employeur, organiser et optimiser leurs livraisons et rapporter tout problème rencontré.

Un système qui agrège également dans le profil des chauffeurs d’innombrables notations concernant leur ponctualité, le temps moyen entre deux livraisons, la satisfaction exprimée par les clients ainsi que l’état dans lequel arrivent les colis, indépendamment des situations rencontrées par les chauffeurs (bouchons sur les routes, digicodes, etc.).

Autant de données qui sont passées en revue par une IA, pouvant ensuite déclencher l’envoi d’avertissements, de blâmes et même d’avis de licenciements par courrier électronique, a rapporté le site web Les Numériques.

Une question s’est alors posée à l’agence Bloomberg : l’automatisation à l’extrême de la relation salarié-employeur doit-elle être vue comme une forme de maltraitance au travail ? Non, pour Amazon, qui a déclaré : « Nous avons beaucoup investi dans la technologie et les ressources afin de fournir aux conducteurs une visibilité sur leur statut et leur capacité à continuer à livrer pour le compte d’Amazon, sachant que les conducteurs peuvent parfaitement faire appel lors de ces procédures. »

Cependant, cette transparence vantée par Amazon n’existe pas toujours du point de vue des chauffeurs, qui ont relevé de nombreux dysfonctionnements. En effet, sur des forums Internet et dans les entretiens accordés par certains d’entre eux à Bloomberg, c’est un système plutôt opaque qui est constaté. Et il n’est pas rare que des chauffeurs ne comprennent pas la raison pour laquelle leur notation se met subitement à baisser. De plus, dans certains cas, les avis de licenciement sont envoyés sans explications, et le compte de ces chauffeurs est automatiquement clôturé.

Via leur enquête, l’agence Bloomerg a montré comme exemple la mauvaise expérience de Neddra Lira, une livreuse sans problèmes qui a vu sa notation être sévèrement impactée, après avoir dû rebrousser chemin jusqu’à son entrepôt un jour de crevaison. Dans les semaines qui ont suivi, Neddra Lira a tout fait pour retrouver une notation correcte, et est même parvenue à revenir au statut Super dans l’application, juste en dessous du meilleur échelon (Fantastique) ; cependant, cela n’a pas empêché le système de la licencier peu après, pour « violation des conditions de service ». Neddra Lira a évidemment fait appel de cette décision, mais Amazon ne l’a pas réhabilitée depuis ce jour.

Un exemple parmi tant d’autres, d’autant que les raisons pour lesquelles une livraison peut échouer sont nombreuses, et souvent le chauffeur n’y est pour rien (Amazon Locker en panne, destinataires injoignables, portes fermées, etc.).

De plus, un autre problème souvent évoqué : les dysfonctionnements des protocoles basés sur la reconnaissance faciale.

En effet, depuis 2019, Amazon demande à ses chauffeurs de prendre un selfie chaque fois qu’ils montent à bord d’une camionnette de livraison pour démarrer leur tournée. Photo qui est analysée et comparée à celle fournie par les chauffeurs lors de leur inscription sur la plateforme. Une sécurité prise par Amazon pour éviter que plusieurs personnes puissent livrer sur un même compte employé, comme c’est le cas chez Uber pour vérifier l’identité des chauffeurs, a rapporté Les Numériques.

Une sécurité compréhensible dans la mesure où Amazon souhaite se protéger dans le cas où ses livraisons sont assurées par des personnes qu’elle ne connaît pas ou si des incidents se produisent (vols, accidents de la route, etc.). Problème, de nombreux témoignages d’ex-livreurs dont le compte a été fermé évoquent que les selfies fournis « ne remplissaient pas les prérequis du programme Amazon Flex ».

Les raisons ? Perte de poids, barbe touffue, moustache rasée, cheveux attachés ou encore changement de lunettes, autant de modifications que les algorithmes de vérification d’image ont apparemment du mal à appréhender. De plus, les photos réalisées dans des conditions de faible luminosité, lors de tournées matinales ou nocturnes, posent également problème et peuvent être un motif de suspension pour les chauffeurs.

Selon Bloomberg, les chauffeurs qui ont estimé avoir été licenciés abusivement par le système Amazon ont 10 jours pour faire appel et demander à être réintégrés. Mais là encore, un autre problème se pose, puisque le temps que cette procédure soit initiée et que le dossier soit examiné, les chauffeurs concernés ne peuvent pas travailler. En conséquence : ces chauffeurs injustement licenciés perdent de précieux jours de salaire avant de reprendre leurs tournées pour Amazon, dans le cas où ils ont la chance d’être réintégrés.

À noter que si la décision prise en appel leur est défavorable, ces chauffeurs peuvent demander un arbitrage. Une décision qui nécessite d’engager la somme de 200 dollars et qui s’avère généralement dissuasif.

De son côté, Amazon ne manque pas de main-d’œuvre. En effet, payés entre 18 et 30 dollars de l’heure, les chauffeurs Amazon Flex licenciés sont vite remplacés. Pour preuve, l’application Amazon Flex est téléchargée plusieurs centaines de milliers de fois chaque mois aux États-Unis. Un chiffre qui atteste d’un énorme roulement dans les équipes, et qui visiblement pourrait faire qu’Amazon n’accorde que peut d’importance à l’enquête de Bloomberg.

Selon un ancien ingénieur logiciel d’Amazon, qui a contribué au développement de ces outils assistés par IA : « Les dirigeants savaient que cela allait mettre la pagaille. Ce sont des choses dont ils parlaient dans les réunions. La seule question était de savoir à quel point l’utilisation de tels systèmes automatisés pouvait être néfaste », a-t-il confessé, évoquant ainsi qu’Amazon a bien l’intention de continuer malgré tout.

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