La Suède débordée, jusque dans sa police, par le crime organisé

Par Henri Mandel
2 mai 2024 14:50 Mis à jour: 2 mai 2024 15:34

Le Premier ministre suédois Ulf Kristersson a exprimé lundi son inquiétude après une enquête d’un quotidien révélant que des policiers auraient divulgué des informations à des membres de gangs avec lesquels ils avaient eu une relation intime et ce dans un contexte de guerre des gangs et de criminalité d’un niveau sans précédent.

La réaction du chef du gouvernement suédois fait suite à une enquête journalistique menée par le quotidien Dagens Nyheter (DN) dévoilant que plusieurs employés de la police détenant des informations sensibles en lien avec les gangs les ont transmises à ces mêmes criminels. Dans certains cas, ces policiers et employés de la police auraient entretenu une liaison avec ces personnes. Selon DN, dans quatre cas, ces fuites ont provoqué des représailles allant jusqu’au meurtre. Au moins 30 employés de la police ont dû quitter leurs fonctions, considérés comme des « risques de sécurité », selon le quotidien. Plusieurs criminels avaient entamé, de manière stratégique, « des relations sexuelles avec des policiers » sélectionnés au préalable, écrit DN. Il s’agit d’« informations très préoccupantes », a réagi auprès de l’agence TT Ulf Kristersson, soulignant le risque important d’une perte de confiance de l’opinion publique dans les forces de l’ordre de Suède. « C’est très grave et nous devons y remédier », a-t-il dit. « On ne peut entretenir l’idée que des méthodes mafieuses sont utilisées pour infiltrer » la police, a insisté M. Kristersson.

Plusieurs entreprises suédoises et certains domaines publics infiltrés

Cette infiltration s’inscrit dans le contexte d’un trafic de drogue en plein essor et d’une économie criminelle qui pèse jusqu’à 150 milliards de couronnes suédoises par an, soit l’équivalent d’environ 12,8 milliards d’euros. Les gangs d’immigrés auraient également infiltré plusieurs entreprises en Suède ainsi que certains domaines du secteur public, selon Anders Thornberg, chef de la police suédoise affirmant que les gangs criminels représentent désormais une menace directe pour la démocratie en Suède. En février dernier, des membres du réseau Vårby ont été accusés d’avoir infiltré le parti social-démocrate local de Botkyrka, une ville située au sud de Stockholm, où ils ont réussi à évincer un homme politique connu pour sa fermeté à l’égard des gangs criminels.

Dans un pays en état de choc

Mi-avril, le pays était sous le choc après la mort par balle d’un père de famille en plein jour en présence de son fils dans une banlieue de Stockholm. Plusieurs médias ont affirmé qu’il aurait été tué parce qu’il s’était opposé à une bande criminelle. Ce père de famille de 39 ans, identifié par son prénom Mikael dans les médias, a été tué d’une balle dans le front devant son fils mercredi en début de soirée alors qu’ils se rendaient à vélo à la piscine. Il est décédé jeudi, selon la police. Plusieurs médias, dont la chaîne de télévision TV4 et les tabloïds Aftonbladet et Expressen, affirment qu’il a été tué parce qu’il s’est confronté à une bande criminelle. La police, qui n’a procédé à aucune arrestation, n’a pas confirmé ce fait.

Le Premier ministre suédois Ulf Kristersson s’agenouille devant un mémorial improvisé près du centre de Skaerholmen, au sud de Stockholm, en Suède, le 11 avril 2024, où un père a été abattu devant son fils dans un passage souterrain dans la banlieue de Stockholm. (Photo CLAUDIO BRESCIANI/TT News Agency/AFP via Getty Images)

D’après le Conseil suédois de prévention de la délinquance (BRA), 113 personnes ont été tuées l’an dernier. En 2023, on recense une quarantaine d’homicides par arme à feu et 250 fusillades. C’est le plus fort taux en Europe avec 4 décès par million de personnes en Suède, contre 1,6 pour la moyenne européenne. Les armes sont facilement disponibles depuis la guerre des Balkans et les condamnations pour meurtre peu nombreuses. Seuls 25 % des cas sont résolus.

Le pays scandinave est aux prises avec une guerre des gangs qui a atteint un niveau sans précédent fin 2023 avec un nombre record de fusillades sur fond de lutte pour le contrôle du trafic de drogue. La Suède a désormais le taux de criminalité le plus élevé d’Europe du Nord, selon une nouvelle étude qui souligne les problèmes particuliers du pays en matière de violence des gangs et d’autres crimes liés aux activités des gangs, tels que la fraude, le trafic d’armes et le trafic de stupéfiants. Selon une étude de l’ONG Global Initiative (GI), la Suède a obtenu une note de 4,7 sur 10 dans son indice de criminalité organisée, soit le taux le plus élevé des huit pays d’Europe du Nord, qui comprennent la région scandinave et les États baltes.

Selon Johan Gustafsson, inspecteur au Centre national des armes à feu de la Direction nationale des opérations (Noa) : « Les gangs organisés des grandes villes utilisent fréquemment des armes et des explosifs illégaux. La disponibilité accrue des armes sur le marché noir et la demande croissante d’armes à feu illégales parmi les gangs criminels sont mises en évidence par un nombre croissant de saisies policières et une augmentation des rapports sur la possession illégale et les crimes commis avec des armes à feu. Le trafic d’armes vers la Suède provient essentiellement des Balkans occidentaux, bien qu’à une échelle relativement réduite. Le trafic d’armes semble être inextricablement lié au trafic de drogue. À la fin de l’année 2022, par exemple, les conflits entre gangs à Stockholm, résultant d’une guerre de territoire liée à la drogue, se sont transformés en un cycle d’attaques de vengeance. »

Selon Camille Leveillé, journaliste spécialisée sécurité / défense : 30 000 sur 10,4 millions. C’est le nombre de personnes en Suède qui seraient impliquées dans la criminalité liée aux gangs. Depuis une dizaine d’années, la situation sécuritaire du pays se dégrade. Ces derniers mois, la violence a passé un nouveau cap. Les fusillades et les attentats à la bombe ne se cantonnent plus aux quelques grandes villes du pays mais atteignent désormais de plus petites communes, ternissant l’image d’un pays “calme et paisible”…

Des enfants soldats au service des gangs

Les jeunes de douze et treize ans ne sont pas rares dans la guerre des gangs. Ils servent de passeurs de drogue, mais on leur fournit également des armes et des missions de meurtre en échange d’argent, de drogue, ce qui attire surtout les jeunes hommes immigrés sans perspectives. Dans les banlieues défavorisées de Suède, recruter des mineurs pour commettre des meurtres contre rémunération s’intègre dans la stratégie des gangs, puisque les moins de 15 ans ne peuvent pas être condamnés à une peine de prison. Les fusillades sont aujourd’hui plus dangereuses en partie parce que leurs auteurs sont très jeunes et ne savent pas manier les armes. En 2023, la police a déjà arrêté plus de 160 personnes de moins de 18 ans. Mais ces enfants reçoivent des peines moins longues et sont rapidement de retour dans la rue et dans leur gang ; en août de la même année, 69 personnes en dessous de 18 ans étaient en détention provisoire en Suède, contre 14 le même mois en 2021.

«Nous avons une situation où des enfants contactent eux-mêmes les bandes criminelles » pour commettre des meurtres, constate Anders Thornberg, le chef de la police suédoise. Le chef de la police de Stockholm, quant à lui, décrit un système bien huilé auquel ces criminels ont recours lorsqu’ils veulent tuer leurs rivaux : en faisant appel à des personnes externes, souvent mineures. « Ils leur fournissent les armes, et leur donnent l’adresse à attaquer. »
Mats Lindström, policier observateur dans la région de Stockholm qui a passé en revue de nombreuses messageries où ces meurtres sont commandités confirme que les jeunes sont très demandeurs de ces « contrats ». « Nous voyons qu’ils écrivent : “Y a-t-il des contrats ? Moi et mon ami sommes dispos pour 200.000 couronnes” », explique-t-il. Ils le font « pour obtenir un statut, devenir quelqu’un, avoir “l’aura d’un meurtrier” » comme le lui avait avoué un jeune lors d’une enquête.

La plupart des gangs « sont dominés par des Suédois non ethniques »

Dans les années 1990, la Suède a pris un tournant migratoire à 180 degrés et s’est mis à accueillir un nombre d’immigrés unique en Europe par rapport à sa population. De 0,7% de sa population d’origine extra-européenne en 1970, la Suède est passée à 11% en 2015. Aujourd’hui, la Suède enregistre aujourd’hui le plus haut taux de personnes nées loin  de l’Union européenne : essentiellement moyen-orientale (Irak, Syrie) et est-africaine (Érythrée, Éthiopie, etc.).

Plusieurs chefs de bande se trouvent désormais en Turquie. Là-bas, le « renard kurde », originaire d’Irak, a obtenu la nationalité grâce à des investissements dans le pays. L’homme de 36 ans ne sera donc pas expulsé, bien qu’il ait été condamné et inculpé à plusieurs reprises en Suède. Il dirige donc sa bande suédoise depuis le Bosphore et selon la chaîne de télévision SVT, « la police s’intéresse à 100 criminels en Turquie ».

Selon le rapport de  l’ONG Global Initiative (GI) : « La plupart des groupes et gangs du crime organisé en Suède sont dominés par des Suédois non ethniques originaires des Balkans et du Moyen-Orient, entre autres. Selon les rapports, les personnes nées à l’étranger et leur progéniture sont largement surreprésentées dans la criminalité, tandis que des groupes étrangers non basés en Suède – principalement originaires d’Europe de l’Est – entrent dans le pays pour commettre des cambriolages et des vols. Les groupes organisés de Roms sont également de plus en plus présents. Toutefois, les réseaux criminels nationaux continuent de dominer les villes suédoises, ce qui ajoute à l’insécurité croissante quant à leur influence sur la société suédoise. Les réseaux clandestins opèrent principalement dans les grandes villes, mais maintiennent également un fort ancrage dans les zones rurales défavorisées et les villes plus petites. La multiplication des fusillades et des explosions au cours des dernières années témoigne de la propension de ces groupes à la violence, ce qui a entraîné un risque accru pour les services de sécurité. »

Une collaboration renforcée avec les forces armées

Le gouvernement suédois a déclaré que les forces armées du pays pourraient venir collaborer avec les policiers afin d’intensifier la lutte contre ces gangs minant la sécurité du pays. Toutefois, aucun détail n’a été communiqué pour l’instant sur cette coopération à venir entre la police et l’armée suédoise. Cependant, la police peut désormais faire appel à l’armée pour s’appuyer sur son expertise en matière d’explosif, d’analyse de la sélection des cibles ou encore de l’utilisation des nouvelles technologies. La seconde étape de la réforme souhaitée entend modifier la loi pour abaisser le seuil de gravité de la violence à partir duquel la police peut recourir aux militaires.

« La Suède doit disposer d’une législation efficace »

La priorité est de muscler l’arsenal législatif : « Pour pouvoir lutter contre ce fléau, la Suède doit disposer d’une législation efficace, et nous ne l’avons pas aujourd’hui, car elle date des années 1960 » souligne Lise Tamm, procureure générale. Le Gouvernement a proposé d’adopter une loi relative aux « zones de contrôle et de fouille temporaires », qui s’appliquerait dès le début de cette année. Dans ces espaces, la police pourrait contrôler et fouiller toute personne sans même avoir besoin de se justifier. Une autre proposition vise à interdire à une personne de séjourner dans un lieu précis pendant une période donnée afin de prévenir les fusillades et les actes de vengeances. Si cette loi est adoptée, la police pourra utiliser la reconnaissance faciale, aidée par de l’intelligence artificielle, notamment pour faciliter l’identification des criminels.

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