En Chine, la bataille des factions pour le contrôle des médias

29 mars 2016 17:46 Mis à jour: 29 mars 2016 20:49

Suite à la visite du dirigeant du Parti communiste chinois Xi Jinping aux sièges des médias officiels en février dernier, les censeurs du Parti ont été particulièrement agressifs. Le réseau de micro blogging populaire d’un magnat immobilier a été effacé de l’Internet ; une publication financière chinoise respectée s’est permise de se plaindre de la censure, et ceci même deux fois (ce qui a évidemment conduit à davantage de censure) ; et un journaliste chinois a disparu sur le chemin pour Hong Kong. On pense que l’arrestation du journaliste est liée à sa lettre ouverte écrite dans un style inhabituel et appelant Xi Jinping à démissionner.

Xi Jinping est devenu dirigeant du Parti communiste chinois (PCC) en 2012, au milieu d’une lutte de pouvoir qui ne s’est jamais arrêtée. Vu de l’extérieur, le renforcement de la censure a été largement compris comme une indication des intentions du dirigeant de vouloir éradiquer complètement la liberté d’expression en Chine.

Toutefois, l’image devient plus complexe si l’on examine les luttes de pouvoir au sein de l’élite chinoise au cours des dernières années. Deux piliers ont permis aux dirigeants du Parti d’exercer leur contrôle sur les médias : la loyauté personnelle des responsables de la propagande d’une part, et le fait d’être celui qui tient le fusil, de l’autre.

Censure et résistance

Depuis des années, Ren Zhiqiang a été connu comme le « Donald Trump de Chine » à cause de ses remarques franches et parfois acerbes sur les désavantages du règne du PCC. Avec 38 millions d’adeptes, son compte sur Sina Weibo –l’équivalent chinois de Twitter- lui offrait une énorme plate-forme pour exprimer son point de vue. Or, ce compte a été supprimé fin février dernier.

Les censeurs chinois ont annoncé qu’ils avaient enlevé ce dernier du réseau en raison de son « impact nocif ». Par exemple, Ren Zhiqiang osait écrire : « Depuis quand le gouvernement du peuple a-t-il changé en gouvernement du Parti ? » pour commenter les visites de Xi Jinping aux médias officiels.

Malgré tout le pouvoir accumulé par Xi Jinping, il n’est toujours pas évident de déterminer s’il contrôle réellement la machine de la propagande.

La réduction au silence de Ren Zhiqiang a eu des répercussions sur les travaux des deux grandes réunions politiques annuelles tenues à Pékin au début du mois de mars. Comme cela a été remarqué par le délégué Jiang Hong et rapporté par le respectable magazine d’information économique Caixin, les responsables et les économistes avaient peur de parler franchement aux représentants même de la presse officielle relativement modérée. Cela a conduit à un bras de fer d’une rare ampleur entre Caixin et les censeurs : comme résultat le magazine a publié trois articles sur le contrôle de la presse qui ont été censurés par la suite.

Vers la fin des travaux de ces réunions, la situation est devenue encore plus dramatique.

Le 15 mars dernier, Jia Jia, chroniqueur du site d’informations chinois Wujie News, a disparu suite à la publication d’une lettre ouverte écrite par des « membres fidèles du Parti communiste ». Ces derniers  accusaient Xi Jinping d’entraîner la Chine dans le chaos par sa campagne anti-corruption et la consolidation de son pouvoir.

L’audace de Ren Zhiqiang, de Caixin et des auteurs de la lettre a été perçue comme la manifestation d’un ressentiment à l’ascension de Xi Jinping en tant que dictateur du genre Mao, bien que la lettre pourrait effectivement avoir été inspirée par la faction qui avait dès le début contesté le règne de Xi Jinping. Ainsi, malgré tout le pouvoir accumulé par Xi Jinping, il n’est toujours pas évident de déterminer s’il contrôle réellement la machine de la propagande.

La problématique de la propagande

On pourrait présumer que pour tout dictateur communiste, avoir la main-mise sur la machine de la propagande est vital. Or, l’histoire du PCC montre que c’est une tâche difficile.

Lorsque Mao Zedong, érigé en demi-dieu du Parti, a voulu lancer la Révolution culturelle en 1966, il n’a pas pu tout de suite publier ses éditoriaux dans les grands journaux d’État. Mao et sa femme Jiang Qing ont dû tirer les ficelles à Shanghai et les faire publier dans Wenhui Bao, journal semi-officiel de la ville.

De même, Deng Xiaoping, le dirigeant suprême du Parti après Mao, a dû promouvoir à Shenzhen son programme de réforme économique « Voyage dans le Sud ». L’ancien parton de la propagande Deng Liqun, ainsi que Gao Di, alors chef du Quotidien du peuple, étaient rivaux de l’ancien Premier Secrétaire, et l’ont empêché d’utiliser les canaux officiels pour introduire ses reformes.

Xi Jinping semble être dans une situation similaire. Sa visite aux principaux médias pourraient bien faire illustrer un paradoxe communément rencontré au sein du Parti : plutôt que de servir de preuve de son contrôle sur les médias, cette tournée semble fortement être le signe qu’il ne l’a pas encore acquis.

La résistance des factions

À ce jour, la propagande reste encore largement entre les mains de Liu Yunshan, l’un de sept membres du Comité permanent du Politburo fidèle à Jiang Zemin, l’ancien patron du régime et le plus important rival politique du Secrétaire Général.

Liu Yunshan a joué un rôle clé dans la censure, la publicité et l’endoctrinement massif menés par le régime depuis 2002. Pendant une décennie, il contrôlait directement le Département central de la propagande, et à partir de 2012 a été nommé président du Groupe pilote central de propagande et de l’idéologie, obscur organe de l’administration contrôlant ce département. Il est également président de la Commission Centrale d’Orientation de l’édification de la Civilisation Spirituelle, et président de l’École centrale du Parti, qui forme des cadres du PCC.

Cela rend Liu Yunshan l’un des hommes les plus puissants du régime. Il est loyal envers Jiang Zemin, le rival de Xi Jinping, qui a personnellement supervisé sa nomination dans le Politburo élargi et dominé par d’autres acolytes de Jiang Zemin alors que Hu Jintao était officiellement dirigeant du Parti. Et cela signifie que la propagande officielle ne reflète pas forcément l’état de la situation politique.

Glorifiez quelqu’un jusqu’aux cieux, et sa chute sera désastreuse.

Chen Pokong, auteur de livres et analyste politique.

Liu Yunshan n’est qu’un des éléments du puissant réseau de pouvoir informel de Jiang Zemin. D’autres positions clés ont été occupées par des responsables dont les noms sont devenus familiers au cours des dernières années, tels que Bo Xilai, l’ancien prétendant au poste le plus important en Chine ; Zhou Yongkang, ancien patron de la sécurité ; et les anciens principaux généraux Xu Caihou et Guo Boxiong. Tous ces hommes influents ont été mis hors-jeu en étant accusés de corruption après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping.

En réalité, quatre des sept membres du Comité permanent du Politburo, n’ont pas été nommés par Xi Jinping, mais ont été hérités par son administration lorsqu’il est arrivé au pouvoir fin de 2012. C’était le résultat d’un long marchandage politique, car le pouvoir n’est jamais remis volontairement.

Luttes intestines en coulisses

Certains analystes du système politique chinois soupçonnent même que donner à Xi Jinping une image d’une réincarnation de Mao Zedong fait partie d’un jeu de subterfuge – une affaire de ses rivaux politiques qui essayent de rehausser son image pour le faire chuter par la suite.

Ce point de vue est partagé, par exemple, par Xin Ziling, cadre du Parti à la retraite qui dirigeait le bureau de rédaction à l’Université de la défense nationale de Chine et qui a gardé des liens à un haut niveau du système politique chinois. Le flot de chansons élogieuses glorifiant le « Xi Dada » ou Oncle Xi, le visage rayonnant de Xi Jinping ornant des insignes et autres babioles, ainsi que la transformation du Gala annuel de la télévision d’État dans une fête de propagande, semblent à Xin Ziling être des éléments d’une propagande délibérément poussée trop loin.

Chen Pokong, auteur de plusieurs livres sur la culture politique chinoise, pense que Xi Jinping cherche en effet à s’établir comme un homme fort, car c’est la seule façon de contrôler réellement l’appareil du PCC. Mais il soupçonne que la machine de propagande dirigée par Liu Yunshan mène en même temps une campagne de « louanges meurtriers » ou « peng sha ».

« Glorifiez quelqu’un jusqu’aux cieux, et sa chute sera désastreuse », a expliqué Chen Pokong dans un récent programme de New Tang Dynasty Television (NTD), une chaine de télévision de langue chinoise basée à New York et faisant partie de Epoch Media Group.

D’après Chen Pokong, lorsque la Chine sera en proie d’une crise économique, financière ou autre, les ennemis de Xi Jinping vont alors refaire surface et l’accuser d’avoir installé un culte de personnalité. Le scénario peut paraitre grotesque dans sa complexité. Cependant, Chen Pokong souligne que c’est sur cette même base que Deng Xiaoping a réussi à faire chuter Hua Guofeng, le successeur désigné de Mao (pourtant il semble que Hua Guofeng était lui-même l’instigateur de ses propres éloges).

Selon Mingjing, un portail d’infirmations en ligne des chinois expatriés qui propage des informations provenant des différentes factions à Pékin, Xi Jinping a demandé aux responsables de la propagande de « ne pas l’appeler Xi Dada » et d’arrêter de propager son culte de personnalité.

Des théories sur les opérations secrètes des hommes politiques chinois sont plutôt des outils permettant de comprendre les événements que des affirmations empiriquement vérifiables et elles dépendent souvent de l’approche choisie pour comprendre et évaluer ces événements.

Selon Wen Zhao, commentateur politique du programme « Décodage des nouvelles de Chine continentale » de la NTD, si on lit la lettre appelant à la démission de Xi Jinping à la lumière de la guerre des perceptions en Chine, cette lettre porte des empreintes d’une nouvelle opération visant spécifiquement l’actuel Premier Secrétaire. La lettre a été envoyée aux adresses du courriel personnel de nombreuses personnes qui suivent le déroulement des événements en Chine.

Le site Wujie News est financé par le département de la propagande de la région autonome ouïgoure du Xinjiang, le Groupe Alibaba et le Groupe des médias SEEC. Wen Zhao souligne que le Xinjiang a longtemps été le bastion de Zhou Yongkang, ancien patron de la sécurité et proche lieutenant de Jiang Zemin, tandis que la région est actuellement dirigée par Chunxian Zhang, aussi un allié de Jiang Zemin.

Il est impossible de savoir si cette lettre fait partie du complot des ennemis politiques de Xi Jinping, même s’il apparaît comme évident que des ressources ont été attribuées pour financer sa large propagation. Toutefois il est clair que les turbulences politiques autour de la lettre font partie de la bataille pour le contrôle de la propagande en Chine.

Version anglaise : A Fractious Attempt to Control the Pen in China

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