La Chine et la guerre russo-ukrainienne : « Assassiner avec une épée de quelqu’un d’autre » ?

Par Guermantes Lailari
25 mars 2022 20:20 Mis à jour: 28 mars 2022 09:40

Que fait le président russe Vladimir Poutine en Ukraine ? Qui profite de cette guerre ?

Tout le monde sait que l’Ukraine est un pays riche en ressources. Certains articles économiques posent cette question : « Est-ce que les vastes ressources naturelles de l’Ukraine sont la véritable raison derrière l’invasion de la Russie ? »

Examinons ce point de vue bien pragmatique en supposant que l’invasion vise à acquérir les ressources ukrainiennes. Si tel était le cas, quelles en seraient les preuves ? Et qui voudrait ces ressources ?

Quelles sont les ressources ukrainiennes ?

Le grenier à blé du monde : l’Ukraine est le plus grand fournisseur de blé, d’orge et de maïs, et elle est la principale source de céréales pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Le pays est le n° 1 en Europe par la surface de terres arables et il possède 25 % de la surface mondiale de terres noires.

Réserves de combustibles fossiles : l’Ukraine possède la deuxième plus grande réserve de gaz inexploitée d’Europe. Ses réserves de charbon se classent au septième rang mondial.

Matières premières métalliques : l’Ukraine a des ressources d’uranium, de titane, de nickel, de magnésium, de mercure, de cuivre, de palladium, de platine, de cobalt, etc. Le pays est le cinquième exportateur mondial du minerai de fer, possède la plus grande source mondiale d’oxyde de lithium, jusqu’à 20 % des réserves mondiales de titane et la deuxième plus grande réserve au monde de gallium.

En d’autres termes, l’Ukraine serait un pays bien important pour toute superpuissance.

Un Palestinien montre les grains de blé dans un moulin traditionnel à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 21 mars 2022. L’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait signifier moins de pain sur la table de nombreux pays où des millions de personnes luttent déjà pour la survie. (Said Khatib/AFP via Getty Images)

Le rôle de la Crimée et de l’Ukraine orientale

En annexant la Crimée en 2014, la Russie a placé sous son contrôle une superficie maritime qui est trois fois supérieure à la taille du territoire de la Crimée.

Outre les droits historiques revendiqués par la Russie sur la Crimée, la véritable raison pourrait être le fait que la Russie était intéressée dans les riches gisements de pétrole et de gaz de la péninsule de Crimée – des gisements découverts et potentiels appartenant à l’époque à la zone économique exclusive ukrainienne. Les Russes ont également ajouté une grande partie de la mer d’Azov à leur revendication. En 2018, le ministère ukrainien de l’Énergie a déclaré que « l’Ukraine a perdu 80 % des gisements de pétrole et de gaz de la mer Noire et une partie importante des infrastructures portuaires en raison de l’annexion de la Crimée ».

La zone contrôlée par la république populaire de Donetsk (RPD) et la république populaire de Louhansk (RPL) – qui se sont autoproclamées indépendantes également en 2014 et ont été reconnues par Moscou – sont riches en minéraux. En outre, après 2014, l’Ukraine a gardé un accès bien réduit à la mer d’Azov. Si la Russie ne se retire pas du territoire entre la Crimée russe et la RPD conquise lors de l’invasion de 2022, l’Ukraine n’aurait plus d’accès à cette mer. En fait, la Russie contrôlerait la mer d’Azov et toutes ses ressources.

Le gaz russe

Les gazoducs russes alimentent non seulement l’Ukraine, mais aussi l’Europe. Trois grandes artères de gaz russe traversent l’est de l’Ukraine : l’une va vers le sud de la Russie jusqu’à la mer Noire, une autre va vers la Crimée et Odessa, et la troisième grande artère va vers les voisins européens de l’Ukraine (Pologne, Slovaquie, Hongrie, etc.).

La situation actuelle

L’armée russe ne manque pas d’expérience d’être appliquée dans des guerres réelles – les guerres en Tchétchénie (1994-1996 et 1999-2009), en Géorgie (2008), en Ukraine (2014) et en Syrie (2015-jusqu’à présent). Sa performance en Ukraine en 2014 était ingénieuse et bien planifiée. Pourtant, l’invasion actuelle semble être mal planifiée et mal exécutée.

En même temps, depuis le début de cette invasion (le 24 février), les Ukrainiens fuient leur pays vers des pays voisins qui les ont accueillis. Au 21 mars, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime que plus de 3,5 millions de réfugiés ont quitté l’Ukraine pour les pays voisins, que 2 millions de personnes se sont déplacées à l’intérieur du pays et que plus de 12,65 millions des 44 millions d’Ukrainiens sont directement touchés par le conflit.

Des réfugiés ukrainiens se préparent à monter dans un train pour la Pologne à la gare de Lviv, en Ukraine, le 18 mars 2022. (Charlotte Cuthbertson/Epoch Times)

Un « pacificateur » chinois ?

L’Europe et les États-Unis ont demandé à l’État-parti chinois de servir de médiateur entre les Russes et les Ukrainiens parce qu’ils estiment que seule la Chine peut raisonner Poutine, que la position de Pékin dans le conflit semble être neutre et que la Chine est vraisemblablement amie avec ces deux belligérants. Toutes ces raisons en feraient un négociateur idéal. Toutefois, une telle politique est bien dangereuse pour de nombreuses raisons.

Premièrement, le régime du Parti communiste chinois (PCC) et la Russie ont signé de nombreux accords au cours de la dernière décennie et maintiennent une proche coopération dans les sphères économique, politique et militaire. Par exemple, en mai 2014 (après l’annexion de la Crimée), la Russie et le PCC ont signé plusieurs accords, dont « le contrat du siècle » d’une valeur de 400 milliards de dollars pour la livraison du gaz à la Chine pendant 30 ans.

Selon les rapports de presse de l’époque, « la Russie aurait levé l’interdiction informelle de la propriété étrangère sur les actifs stratégiques, ouvrant apparemment la voie aux sociétés chinoises pour prendre part dans le développement des champs gaziers et des pipelines ».

Le 4 février 2022, la Russie et la Chine ont également signé une quinzaine d’accords commerciaux, y compris pour la livraison à la Chine de gaz et de pétrole russe pour un montant de 117,5 milliards de dollars. L’État-parti chinois a probablement profité des conditions favorables sur ces livraisons, en supposant qu’il était au courant de la prochaine invasion russe en Ukraine et qu’il a exploité le fait que la Russie serait soumise à des sanctions pendant le conflit.

Le PCC a également signé, en 2021, un accord pétrolier de 400 milliards de dollars sur 25 ans avec l’Iran alors que ce dernier était sous les sanctions les plus sévères imposées par l’administration Trump. Selon des responsables iraniens, le régime chinois a obtenu des prix fortement réduits.

En décembre 2013, le PCC et l’Ukraine, dirigée à l’époque par le président pro-russe Viktor Ianoukovytch, ont signé dix accords, dont la « Déclaration conjointe de l’Ukraine et de la Chine pour approfondir le partenariat stratégique ». La Chine a accepté de fournir un « parapluie nucléaire » à l’Ukraine si une puissance nucléaire utilisait des armes nucléaires contre elle.

Il s’agit d’un accord bien étrange, car il suggère que le régime chinois – qui revendique une politique de non-utilisation en premier des armes nucléaires – s’impliquerait dans une guerre nucléaire pour protéger un pays autre que la Chine. Pourquoi alors le PCC a-t-il signé un tel accord ?

Peut-être en raison de l’importance de l’Ukraine pour le PCC par rapport à ses ressources et sa technologie militaire ? Au cours de la dernière décennie, le volume du commerce entre les deux pays augmentait constamment : en 2019, la Chine était déjà le premier partenaire commercial de l’Ukraine.

En plus des liens commerciaux, le PCC avait des intérêts militaires en Ukraine. Par exemple, l’Ukraine a fourni la technologie des moteurs à réaction qui a comblé une lacune importante dans le programme de développement des chasseurs de l’Armée populaire de libération chinoise (APL) et, plus tard (en 2002), un porte-avions ukrainien est devenu le premier porte-avions de la marine de l’APL.

Deuxièmement, le PCC pourrait demander à l’Occident des conditions préalables à sa participation en tant que médiateur « efficace » dans la guerre en Ukraine. Par exemple, Pékin pourrait demander que les États-Unis et l’Europe promettent de ne pas intervenir dans sa future prise de contrôle de Taïwan.

Troisièmement, si le PCC réussit à convaincre la Russie d’arrêter et/ou de se retirer de l’Ukraine, il pourrait alors être autorisé à y envoyer ses forces militaires en tant que forces de maintien de la paix. Cet engagement placerait les Ukrainiens à la merci de deux autocraties kleptocratiques (la Chine et la Russie) qui convoitent les ressources ukrainiennes.

Autoriser le personnel de l’APL à entrer en Ukraine reviendrait à laisser le renard entrer dans le poulailler. En cas de crise politique en Ukraine, le rôle de « pacificateur » chinois serait pour le moins discutable et au pire traître.

Quatrièmement, permettre à Pékin de négocier pour l’Europe et les États-Unis permettrait au PCC de contrôler le niveau de pression exercé par l’Occident sur la Russie. L’Ukraine possède d’énormes ressources, mais la Russie en possède beaucoup plus, et le PCC voudrait bien les exploiter d’une manière encore plus intensive. Par conséquent, l’État-parti chinois serait en mesure d’obtenir davantage de contrôle sur la Russie et, en fin de compte, soit l’absorber soit en faire un État vassal soumis aux caprices de Pékin.

Cinquièmement, en 1994, l’Ukraine a signé avec la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis le Mémorandum de Budapest, selon lequel l’Ukraine (ayant 3000 armes nucléaires) a accepté d’adhérer au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et de livrer ses armes à la Russie.

La Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni ont accepté de faire ce qui suit :

(a) respecter l’indépendance et la souveraineté ainsi que les frontières existantes de l’Ukraine et

(b) réaffirmer leur obligation de s’abstenir de la menace ou de l’usage de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de l’Ukraine, et qu’aucune de leurs armes ne sera jamais utilisée contre l’Ukraine.

Il est clair que la Russie a violé le Mémorandum de Budapest en 2014 et en 2022, ainsi que l’esprit de l’accord Chine-Ukraine de 2013. Pourquoi alors l’Ukraine ferait-elle confiance à la Russie, à la Chine ou à l’une des parties de ces accords ?

Finalement, depuis que Poutine et le dirigeant Xi Jinping ont signé leur déclaration commune du 4 février 2022, ils sont des partenaires stratégiques engagés. La Russie et la Chine pourraient surprendre tout le monde en déclarant qu’elles ont formé une alliance de sécurité dont le point essentiel est semblable à l’article 5 de l’OTAN – l’article qui prévoit que toute attaque contre l’un de ses membres entraînera une riposte collective.

Vladimir Poutine et Xi Jinping posent pour une photo lors de leur rencontre à Pékin, le 4 février 2022. (Alexei Druzhinin/Sputnik/AFP via Getty Images)

Un tel pas vers une alliance sécuritaire des régimes autocratiques et kleptocratiques annoncera au reste du monde que tout pays ne faisant pas partie d’une alliance sécuritaire avec un État doté des armes nucléaires présenterait un « intérêt » pour la Chine et la Russie, en particulier les pays proches de leurs frontières.

Sur la base de l’analyse ci-dessus, on peut se demander si le PCC a toujours voulu que la Russie s’empare d’une plus grande partie de l’Ukraine. Cela pour permettre à la Chine d’acquérir un accès plus facile aux riches ressources ukrainiennes et pour empêcher l’Occident, avant tout l’Europe, de bénéficier d’accès libre à ces ressources ?

En d’autres termes, est-ce que le PCC a employé la fameuse troisième maxime du traité classique de stratégie chinois Les 36 stratagèmes : « Assassiner avec une épée de quelqu’un d’autre » (借刀殺人 – signifiant faire le sale boulot par les mains de quelqu’un d’autre) ?

Est-ce que le PCC a encouragé les Russes à attaquer rapidement l’Ukraine (le 24 février – quatre jours après la clôture des JO de Pékin) en signant les accords commerciaux le 4 février ? Et est-ce, au moins en partie, la raison pour laquelle l’armée russe n’a pas été bien préparée ?

Guermantes Lailari se spécialise dans les problèmes du Moyen-Orient et de l’Europe, ainsi que dans le contre-terrorisme, la guerre non traditionnelle et la défense antimissile. Il a étudié, travaillé et servi au Moyen-Orient et en Afrique du Nord pendant plus de quatorze ans ainsi qu’en Europe pendant six ans. Il a été attaché de l’armée de l’air américaine au Moyen-Orient et est titulaire de diplômes d’études supérieures en relations internationales et en intelligence stratégique.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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