En Chine, le désespoir des parents en deuil de leur enfant unique

15 décembre 2015 11:47 Mis à jour: 25 février 2016 17:38

Xiao Kelian a essayé de se donner la mort après que sa fille unique soit décédée d’une leucémie à 13 ans. La mère en deuil a survécu, mais un an plus tard, son mari a demandé le divorce afin de pouvoir se remarier et avoir un fils. Au moment de la mort de leur fille, Xiao Kelian était dans sa quarantaine et trop vieille pour avoir d’autres enfants. Son mari lui a dit qu’il « avait besoin de descendants », soupire Xiao Kelian.

Xiao Kelian, qui a maintenant 54 ans, travaille occasionnellement à Shenyang. Elle est l’un de ces millions de «  parents orphelins » que compte la Chine. Le terme se réfère aux parents qui ont perdu leur unique enfant.

Avec l’abolition de la politique de l’enfant unique, annoncée à la fin d’octobre dernier, les couples chinois sont dorénavant autorisés à avoir deux enfants. Beaucoup de parents orphelins ont appris cette nouvelle avec amertume car ce changement est survenu trop tard pour eux.

«Installez-le, installez-le », me disaient-ils alors que j’allaitais encore.
– Xiao Kelian citant les paroles des agents de planification familiale de l’Etat chinois

Les parents orphelins sont confrontés au divorce, à la dépression et à la perspective de vieillir dans une Chine où le coût de la vie monte en flèche tandis que le régime n’offre pas grand-chose dans le domaine de sécurité sociale.

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Dans ce pays, les enfants sont traditionnellement censés à soutenir leurs parents, remplissant ainsi le rôle que les établissements de soins et pensions de vieillesse jouent en Occident.

School children leave their elementary school at the end of classes in Beijing on March 13, 2012. A six grade child in an elementary school in China abusing power as the class leader to extort money from classmates, according to state news media on May 8. (Mark Ralston/AFP/Getty Images)
Des enfants rentrent de l’école primaire à Pékin, le 13 mars 2012. (Mark Ralston / AFP / Getty Images)

Dans certains cas, tels que celui de Xiao Kelian, la mort d’un enfant peut être accompagné par de factures médicales bien salées. « Mon enfant est mort après 10 ans de traitement médical », a t-elle confié dans une interview téléphonique. Le traitement contre la leucémie de sa fille a laissé Xiao Kelian avec une dette d’environ 280 000 yuans (40 000 d’euros).

« Je suis devenu de nouveau orpheline », a déclaré Mme Xiao, qui a perdu ses parents biologiques quand elle était jeune. Avec les décès de ses parents adoptifs et de sa fille arrivés presqu’en même temps, ainsi que son divorce, elle revit la douleur de se trouver sans famille pour la deuxième fois.

L’histoire de Xiao Kelian est typique pour des millions de Chinois

Yi Fuxian, un chercheur à l’Université du Wisconsin et auteur de l’ouvrage A Big Country With an Empty Nest (Un grand pays dans un nid vide), estime que sur 218 millions d’enfants uniques chinois, 10 millions mourront probablement avant l’âge de 25 ans. Ce qui porte à 20 millions le nombre de parents courant le risque de devenir orphelins avant de devenir grands-parents.

Une étude effectuée en 2012 par le ministère chinois de la Santé estimait que le nombre de parent orphelin devrait augmenter de 76 000 chaque année.

« Installez-le, installez-le »

Lorsque la fille de Xiao Kelian est née en 1986, des agents de planification familiale de l’État lui ont rendu visite – non pour vérifier l’état de santé du bébé, mais pour poser à Xiao Kelian un dispositif intra-utérin afin de prévenir une autre grossesse.

«’Installez-le, installez-le’, me disaient-ils alors que j’allaitais encore », se souvient-elle.

Depuis que le Parti communiste chinois (PCC) a introduit sa politique de l’enfant unique dans les années 1980, les unités de planification familiale de l’État ont imposé ce règlement avec des mesures draconiennes et souvent brutales sans aucun respect de la vie privée.

« Les familles avec un enfant unique marchent sur une corde raide à l’échelle nationale, et nous sommes ceux qui sont tombés. »
– Un parent orphelin

Les parents chinois mettent ainsi tout leur cœur dans leur enfant unique, en espérant de lui donner une vie meilleure que la leur, ainsi qu’en comptant sur l’enfant pour s’occuper d’eux dans leur vieillesse.

Nine-year-old Ding Shaonan has supper at Wang Jiayu Orphanage of Sanshilipu Village in Yingshang County of Anhui Province. China village child, left by their migrant parents, is subject to series of risk. The rape of minors, including boys, is getting more serious and the age of victims is getting younger. But the draconian law allows Communist perpetrators to avoid their due punishment. (Photo by China Photos/Getty Images)
Ding Shaonan, 9 ans, prend son souper à l’orphelinat Wang Jiayu dans le village de Sanshilipu du canton de Yingshang de la province d’Anhui. Les enfants de paysans chinois, abandonnés par leurs parents migrants, sont exposés à de nombreux risques. (China Photos / Getty Images)

Lorsque les enfants adultes mors prématurément, les parents perdent tout espoir.

« Qui va s’occuper de nous lorsque nous tomberons malades ? », demande Xiao Kelian. « N’a-t-on pas sacrifié notre génération ? »

Les autorités offrent une maigre allocation aux parents orphelins. Xiao Kelian reçoit 340 yuans (48 euros) par mois, soit le maximum. Cette somme s’ajoute à sa retraite de 1 900 yuans (près de 275 euros). Il suffit de le comparer aux 2 000 yuans qu’elle a payé en frais médicaux rien qu’en octobre dernier et au revenu moyen urbain de 2,632 yuans par mois – selon les statistiques publiées par le Bureau de statistiques de Shenyang et le Bureau national des statistiques-.

A 56 ans, mère de jumeaux

En étant désespéré, certains parents orphelins ont recours à des moyens non conventionnels.

Selon un mini-documentaire présenté en novembre par la chaine de télévision Phoenix de Hong Kong, en 2010, Guo Min a choisie l’insémination artificielle comme moyen pour devenir mère de jumeaux à 56 ans.

Guo Min, qui a maintenant 61 ans, explique qu’elle sentait qu’elle ne pouvait plus vivre lorsqu’elle a perdu sa fille en 2005. Cinq ans plus tard, elle a emprunté à sa mère 4 300 d’euros pour se faire inséminer dans un laboratoire. Aujourd’hui, elle s’inquiète constamment de la santé de ses enfants de 5 ans (une fille et un garçon), car elle n’aura pas de moyens pour payer les factures médicales.

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On lui a offert jusqu’au 135 000 d’euros pour l’inciter à laisser adopter l’un de ses enfants, affirme-t-elle, mais elle a refusé de s’en séparer. « Même si je dois devenir mendiante, je les amènerai avec moi et je ne me séparerai jamais d’eux. Ils sont ma lumière, mon espoir, mon avenir », explique Guo Min.

Dans The Difficult Path of Rebirth ( Difficile chemin de renaissance), He Xiaoqing écrit la douleur des habitants du Sichuan, devenus parents orphelins après le grand séisme de Wenchuan de 2008 qui a « enterré près de 100 000 vies, privant plus de 6 000 familles de leur unique enfant ».

Le livre raconte l’histoire triste à briser le cœur de Liu Wenzhong.

Quand la terre a commencé à trembler, Liu Wenzhong s’est précipité de son travail à l’école de sa fille de 12 ans et a été stupéfait par ce qu’il a vu : le bâtiment de l’école coupé en deux au milieu, les corps des écoliers éparpillés dans tout les endroits et les parents qui pleuraient en essayant de sauver leurs enfants.

Même quatre jours après le tremblement de terre, M. Liu essayait toujours de trouver des survivants. Il restait devant les restes du bâtiment, ses bras et ses jambes couvertes du sang des enfants qu’il avait essayé de sauver. Il ne ressentait plus rien si ce n’est la douleur d’avoir perdu Liu Xirui, sa fille unique.

Grieving parents holding portraits of their deceased children voice their complaints at government officials after taking their protest from along a highway on the outskirts of Mianzhu to government offices in Deyang on May 25, 2008. (Frederic J. Brown/AFP/Getty Images)
Les parents en deuil tiennent les images de leurs enfants décédés et se plaignent auprès des représentants du gouvernement après avoir manifesté le long de l’autoroute à la périphérie de Mianzhu et arrivé aux bureaux du gouvernement à Deyang, le 25 mai 2008. (Frederic J. Brown / AFP / Getty Images)

Les parents orphelins du Sichuan ont mis en place des groupes de discussion en ligne sur Tencent QQ, un service populaire de messagerie instantanée chinoise, en tant que moyen de se connecter, de communiquer, se soutenir mutuellement et de trouver un réconfort.

« Les familles avec un enfant unique marchent sur une corde raide à l’échelle nationale, et nous sommes ceux qui sont tombés », a écrit un parent orphelin dans un de ces groupes de chat. Une citation largement reprise ensuite par la presse chinoise.

Nulle part où aller

Selon Beijing News, lorsque les parents orphelins vieillissent, ils ne peuvent même pas aller dans une maison de retraite, car la préférence est donnée à ceux qui ont des enfants ou des parents capables d’agir comme garants financiers.

« Que faire s’ils deviennent séniles et deviennent incapables de payer leurs frais ? Cela représente un grand risque pour nous », a confié au Scientific Life Weekly un employé d’un établissement médico-social dans le district de Huairou de Pékin. Cet établissement particulier, dont le nom n’a pas été révélé dans le reportage, accepte seulement les parents orphelins qui peuvent présenter comme garants au moins deux membres de leurs familles.

Les parents orphelins âgés sont censés pouvoir obtenir un certificat de leur ancien employeur, ou une aide des autorités locales pour obtenir une place dans un établissement médico-social. Toutefois, selon Beijing News, il n’y a pas de dispositions spécifiques relatives à la délivrance de ces documents, ce qui les rend parfois impossible à obtenir.

En 1985, peu de temps après le lancement de la politique de l’enfant unique, les slogans du régime faisaient croire que les autorités assumeront la charge traditionnellement porté par les enfants. « Juste un enfant, cela ira. L’État vous soulagera dans la vieillesse », clamait un fameux slogan-dicton.

Trente ans plus tard, les parents orphelins sont confrontés à la réalité que le régime ne leur a rien donné et qu’ils ne pourront aller nulle part pour soulager leurs jours de vieillesse.

 

Larry Ong a contribué à ce rapport.

Version anglaise : China’s Orphan Parents Are Falling Through the Cracks

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