Plateformes chinoises Shein et Temu : « Sans action immédiate, des dizaines de milliers d’emplois supplémentaires pourraient disparaître », réagit la Fédération française du prêt-à-porter féminin

Par David Vives
1 mai 2025 19:57 Mis à jour: 1 mai 2025 20:00

Mardi 29 février, le gouvernement s’est attaqué aux plateformes chinoises de ventes en ligne. Celles-ci sont accusées de dumper l’Europe de produits dangereux, tout en employant des techniques commerciales douteuses. Certains acteurs de l’industrie du textile dénoncent un désastre pour le secteur, avec la fermeture de marques françaises. Le président de la Fédération du prêt à porter féminin, Yann Rivoallan, revient sur la question pour Epoch Times.

Selon les chiffres du gouvernement, 800 millions de colis en provenance de Chine d’une valeur inférieure à 150 euros ont été livrés en France en 2024 – sur un total de 1,5 milliard de colis. Comment mesurez-vous l’impact du dumping chinois en ce domaine et ses effets sur les produits français ?

Yann Rivoallan : Ces deux dernières années, le secteur textile français a été durement touché par ces plateformes asiatiques. Par exemple, plus de 10.000 emplois ont été supprimés dans ce secteur. Des entreprises emblématiques, comme Camaïeu, ont disparu, tandis que d’autres, comme Kaporal, ont été placées en liquidation judiciaire. Récemment, la société C&A a licencié 300 employés. Ces chiffres illustrent l’ampleur de l’impact sur le prêt-à-porter français.

L’industrie textile française, qui représente 600.000 emplois, est globalement menacée. Shein vend 300 millions de produits par an en France, soit 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Ces produits de mauvaise qualité, issus de l’exploitation d’ouvriers chinois et nuisibles à l’environnement, détruisent nos marques, nos emplois et la créativité de la mode française. Sans action immédiate, des dizaines de milliers d’emplois supplémentaires pourraient disparaître.

Le gouvernement a proposé des mesures, notamment une multiplication des contrôles sur les colis en provenance de Chine et l’imposition de ‘frais de gestion’ sur les petits colis entrant en France. Ces mesures vous semblent elles adaptées ?

Les mesures annoncées par le gouvernement sont, au mieux, des mesurettes. Elles sont très en deçà des attentes du secteur et des actions nécessaires pour contrer ce tsunami de produits. La ministre elle-même a reconnu que plus de 90 % des produits importés par ces plateformes sont illicites ou dangereux, nuisant à l’emploi, à l’environnement et aux consommateurs. Pourtant, les mesures proposées se limitent à une taxe dérisoire : environ 2 euros par colis et 50 centimes par produit. Pour un colis moyen de 50 euros contenant cinq produits, cela représente une taxe de seulement 4,50 euros. À titre de comparaison, aux États-Unis, une taxe de 100 dollars est appliquée sur ce type de colis. Ces mesurettes ne suffisent pas à freiner les importations ni à protéger le secteur.

Une taxe de 4,50 euros par colis n’a aucun impact dissuasif, surtout quand on sait que ces plateformes génèrent des milliards de chiffre d’affaires. L’objectif semble être de financer de nouveaux postes de douaniers ou des technologies de contrôle, mais cela ne s’attaque pas à la racine du problème. Si l’État veut vraiment protéger les Français, il doit investir immédiatement pour bloquer ces plateformes, imposer des taxes significatives et contrôler rigoureusement ces produits. Une action au niveau européen est également indispensable, car si la France agit seule, les colis pourraient transiter par d’autres pays, comme l’Allemagne ou l’Espagne, ce qui compliquerait les choses sans résoudre le problème. Cela ajouterait un niveau de complexité logistique, mais cela restera relativement facile à contourner pour les plateformes.

Justement, une action au niveau européen est-elle envisageable ? On sait que la France n’est pas la seule touchée par ce phénomène.

Une action européenne est essentielle. Cependant, l’Union européenne est d’une lenteur consternante : il faut plus de 1000 jours pour décider, par exemple, de taxer la TVA sur les produits de moins de 150 euros. Aux États-Unis, Joe Biden et Donald Trump ont agi rapidement pour mettre fin à l’exemption fiscale sur les colis de moins de 800 dollars. L’Europe doit agir dès les prochains mois, et non attendre 2028, pour protéger ses industries et ses consommateurs.

Pour contextualiser, peut-on relier ce dumping à destination de l’Europe à la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis ? S’agit-il d’une stratégie récente, ou simplement d’une hausse de la consommation européenne ?

Ce phénomène s’inscrit dans un mouvement de longue date, avec des plateformes comme AliExpress, Shein, et maintenant Temu. Nous sommes passés de presque aucun colis il y a quelques années à des milliards aujourd’hui. Nous avons été extrêmement naïfs, l’Europe a laissé ses marchés devenir des passoires. Pour stopper ce flux, il faut instaurer des taxes, informer les consommateurs sur la dangerosité de ces produits et appliquer des sanctions, comme la loi anti-fast fashion votée en France il y a un an. Cette loi permet de créer des systèmes de bonus-malus et de limiter la publicité de ces plateformes.

Ces plateformes exploitent nos biais cognitifs pour nous pousser à surconsommer. Elles utilisent des fausses promotions, modifient constamment les prix pour créer un sentiment d’urgence et incitent les consommateurs à acheter immédiatement par peur de rater une offre. En France, la loi exige qu’un produit soit en stock pendant 30 jours avant d’être mis en promotion, une règle que ces plateformes ignorent. Elles piratent également nos données : par exemple, des publicités frauduleuses sur Instagram proposaient des bons d’achat pour des produits chinois. Sur Temu, des mini-jeux, comme le « jeu de la ferme », encouragent les utilisateurs à passer des heures sur la plateforme pour gagner des récompenses, ce qui les pousse à perdre de vue l’inutilité de leurs achats. Ces pratiques manipulent les consommateurs et doivent être régulées, comme nous tentons de le faire avec les réseaux sociaux.

Qui sont les principales cibles de ces plateformes ? S’agit-il d’un phénomène répandu sur tous les âges ?

Au départ, ces plateformes ciblaient surtout les jeunes, notamment via TikTok et des influenceurs de leur génération. En 2020, elles s’adressaient principalement à cette population. Aujourd’hui, elles touchent tout le monde : plus de 3 millions de Français visitent Temu ou Shein quotidiennement, et l’âge moyen des consommateurs est de 38 ans. Ce ne sont plus seulement les jeunes, mais l’ensemble des Français et des Américains qui consomment sur ces plateformes.

Le commerce en ligne français a-t-il une chance de pouvoir exister face à cette concurrence ? Est-il impossible de rivaliser avec cette plateformes ?

On ne peut pas rivaliser avec des acteurs qui fraudent à chaque étape. Ces plateformes pratiquent la contrefaçon à grande échelle – par exemple, Lacoste a engagé une procédure contre Shein pour copie. Toutes les semaines, des marques m’envoient des copies de contrefaçons réalisées en Chine. Donc dans un premier temps, ces plateformes volent les créations françaises. Ensuite, elles exploitent leurs travailleurs, payés une misère pour des semaines de 75 à 100 heures avec à peine un jour de congé par mois.

Également, elles fraudent fiscalement en ne payant ni la TVA ni les taxes d’importation, et déclarent un chiffre d’affaires bien inférieur à la réalité. Shein réalise 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, mais ne déclare qu’une fraction de ce montant. Enfin, elles utilisent nos données de manière abusive, en violation des lois comme le Digital Markets Act. Les marques françaises, qui respectent les lois, protègent leurs salariés et l’environnement, ne peuvent pas concurrencer un modèle basé sur l’illégalité. La seule solution est d’interdire ces plateformes pour rétablir une concurrence saine.

Parlons de la dangerosité pour les consommateurs. On sait que 19 % des jouets importés de Chine ne respectent pas les normes de sécurité européennes. Faut-il s’inquiéter pour la santé des consommateurs et pour la qualité de ces produits ?

Oui, il y a un double problème : la dangerosité et la mauvaise qualité. Les jouets peuvent être dangereux pour les enfants, et des tests menés en Belgique il y a un an ont montré que 10 des 25 produits textiles analysés contenaient des substances nocives, comme des perturbateurs endocriniens. Les consommateurs ne peuvent pas détecter ces dangers eux-mêmes, car ils n’ont ni les moyens ni les informations pour tester les produits. L’État et l’Europe ont le devoir de nous protéger en contrôlant ces produits et en interdisant ceux qui sont dangereux. Malheureusement, les actions actuelles sont insuffisantes.

Environ 80 % de ces vêtements sont composés de polyester, donc de plastique. Cela pose deux problèmes : premièrement, leur mauvaise qualité, et deuxièmement, leur impact environnemental. Le plastique est presque indestructible, finissant dans des décharges ou brûlé, ce qui pollue l’air. Les microplastiques se retrouvent dans les océans, puis dans les poissons et notre alimentation. Cette pollution affecte notre santé, car ces microplastiques s’accumulent dans nos corps. Pour contrer cela, il faut promouvoir une mode durable, avec des matériaux comme le coton bio.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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