Crise à Strasbourg: l’archevêque poussé au départ

L'archevêque de Strasbourg Luc Ravel.
Photo: PASCAL PAVANI/AFP via Getty Images
Une enquête ordonnée par le Vatican, des critiques sur sa gouvernance « solitaire », et des fidèles qui manifestent : Luc Ravel, l’archevêque de Strasbourg, est poussé vers la sortie mais s’accroche à son poste.
« Ravel démission. » Pancarte à la main, une quinzaine de catholiques ont manifesté devant la cathédrale mardi, alors qu’à l’intérieur était célébrée la messe chrismale, à quelques jours de Pâques. Une protestation inédite qui exprime le « mécontentement » de nombreux prêtres et paroissiens devant la gestion du diocèse, explique à l’AFP Jean-Paul Blatz, responsable du groupe Jonas d’Alsace, à l’initiative de cette contestation. « Monseigneur Ravel décide tout seul dans son coin », avance-t-il. « Il voit l’évêque comme un général qui commande à des prêtres, qui eux-mêmes commandent à des laïcs. C’est une vision très pyramidale de l’Église mais ça ne marche plus comme ça aujourd’hui. »
« Erreur de casting » du Vatican
Le père Marcel Metzger, professeur émérite de la fac de théologie, estime qu’en nommant à Strasbourg en 2017 ce fils de général et ancien évêque aux armées, le Vatican a fait une « erreur de casting » : « Il n’a pas d’expérience pastorale de terrain, et puis il fonctionne à la façon militaire… » À son arrivée, « il a renvoyé les femmes membres du conseil épiscopal » et a « dissous » le conseil de la pastorale, où siégeaient plusieurs laïcs.
Certains lui reprochent également l’arrivée de « prêtres traditionalistes » dans les églises Saint-Louis de Strasbourg et Saint-Joseph de Colmar. « À Saint-Joseph, des traditionalistes ont été implantés par Mgr Ravel sans le consentement des paroissiens », affirme Gérard Valette, ancien collaborateur du diocèse. Cela se traduit par « une priorité donnée au latin et une orientation politico-religieuse qui n’est pas celle du pape », décrit-il. « Ils font preuve d’une certaine fermeture, tout en se croyant les dépositaires de la vérité. » « Ça donne parfois envie de dire qu’on ne fait plus partie du club. Il y a même des gens qui disent qu’ils ne donnent plus à la quête. Voyez jusqu’où ça peut aller », témoigne Gérard Valette.
Derniers remous en date : en mars, Christian Kratz, évêque auxiliaire, est exclu du conseil épiscopal, l’apprenant par une « lettre glissée sous la porte » dans laquelle Mgr Ravel lui reprochait de lui avoir « caché des choses » dans l’affaire d’un ancien aumônier visé par une plainte pour viol, qui s’est suicidé le 1er janvier. Pour Mgr Kratz, c’est l’incompréhension : « Ce n’est pas moi qui m’occupais de ça », explique-t-il à l’AFP. « Je ne sais pas ce qu’il me reproche, ça fait trois semaines ou plus qu’on ne se parle plus », s’étonne Mgr Kratz, affirmant avoir reçu des « centaines de lettres, de SMS et de coups de fil de soutien » depuis son éviction.
Une inspection en attente depuis 2022
Pour Marc Larchet, ancien responsable de la communication du diocèse, Mgr Ravel, polytechnicien et titulaire d’une maîtrise de philosophie est un « homme de paradoxes », capable de se montrer tour à tour « sympathique » ou « dur » et « pas à l’écoute ». « J’ai l’impression qu’au fur et à mesure de sa gouvernance du diocèse, il s’est coupé, fermé », dit-il à l’AFP.
Les critiques, remontées jusqu’à Rome, ont poussé le pape à ordonner une inspection générale en juin 2022. Mais ses conclusions se font attendre. « Mes sources sûres me disent qu’une décision a été prise et qu’elle a été communiquée à l’intéressé » mais « personne ne communique », regrette le chancelier de l’archevêché, Bernard Xibaut.
En vertu du régime concordataire en Alsace-Moselle, l’archevêque de Strasbourg est nommé par décret du président de la République, après décision du Saint-Siège. Interrogé, le ministère de l’Intérieur rappelle que « dans les territoires concordataires, l’État se borne à prendre les décisions administratives découlant des décisions des autorités religieuses ». « Rome demande la démission » de Mgr Ravel, assure un ex-cadre du diocèse. Mais « Luc Ravel a envoyé à Rome une pseudo-lettre de démission qui n’en est pas une, il continue à se débattre, il joue sur cette situation particulière ». Sollicités par l’AFP, ni le Vatican ni la nonciature (représentant du pape en France) ni l’archevêché n’ont souhaité communiquer.
L’archevêque de 65 ans est « le premier blessé dans cette histoire », concède Bernard Xibaut. « Mais sont blessés également les agents pastoraux, qui ne savent plus tellement à quel saint se vouer. » Selon une source ecclésiastique, « on assiste à la chute d’un très grand ambitieux. » « Il cherche à se cramponner jusqu’au bout. Il va tomber. »

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