Derrière la planification écologique, la crainte d’une «QR code-isation de la société»

Par Etienne Fauchaire
18 décembre 2023 16:45 Mis à jour: 18 décembre 2023 16:45

Pour lutter contre le changement climatique, le gouvernement veut dématérialiser les notices papiers des médicaments en les remplaçant par des QR codes. En ce sens, une expérimentation va être lancée en 2024 afin de déterminer si les Français pourraient s’accoutumer à cette nouvelle mesure, qui s’inscrit dans un mouvement plus large d’une numérisation des différentes activités du quotidien.

Symbole d’une digitalisation progressive des sociétés, le QR code s’étend, se normalise, s’impose à nos vies. Désormais, ce sont les notices papiers des médicaments qui pourraient prochainement disparaître au motif d’une volonté de « planification écologique » du système de santé. Au premier trimestre 2024, le gouvernement va lancer une expérimentation de dématérialisation des notices papiers, qui sera pilotée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et la Direction générale de la santé. À l’initiative du projet, les ministres Agnès Firmin Le Bodo (Organisation territoriale et professions de santé), Roland Lescure (Industrie) et Stanislas Guérini (Fonction publique).

Selon les ministères en question, seront concernés certaines molécules grand public du type paracétamol et ibuprofène, des antibiotiques, ou encore des médicaments prescrits contre des maladies chroniques, comme le cancer. Si les notices papier seront « immédiatement » supprimées à l’hôpital, elles seront toutefois conservées dans les officines de ville, du moins dans un premier temps. Un QR code sera ajouté sur la boite des médicaments, qui renverra vers différents médias : « des vidéos, des fiches plus lisibles, interactives ». Pour les personnes « en difficulté d’accès à l’information numérique », plusieurs « solutions » sont néanmoins étudiées, notamment une possible « mise à disposition pour les pharmaciens de notices papier ».

L’objectif du gouvernement : par cette expérimentation, « évaluer l’appropriation du QR code par les patients » en vue, à terme, d’une suppression complète de l’utilisation du papier devant réduire l’empreinte carbone des médicaments.

« QR code-isation de la société »

Consulter le menu d’un restaurant, rediriger un client vers un site Internet, accéder à un établissement… Depuis la crise du Covid-19, l’utilisation du QR code s’est considérablement généralisée, accélérée, démocratisée. Devenu un incontournable mécanisme du pass sanitaire, puis vaccinal, le petit pictogramme colonise désormais l’ensemble de nos espaces sociaux : dans le train, à l’école, aux musées… Au point que certains chercheurs évoquent aujourd’hui une « QR code-isation de la société » ou même une « civilisation du sans-contact ».

À l’origine, le QR code avait été créé pour répondre aux besoins du secteur industriel en matière de traçage logistique des marchandises. Depuis, le dispositif s’est étendu à la vie courante de l’homme, devenu lui-même un objet d’identification. Emblématique, la nouvelle carte nationale d’identité électronique (CNIE), qui compte notamment des données biométriques intégrées dans une puce et une signature électronique dans un QR code.

L’outil n’est pas innocent. « N’en déplaise à une croyance tenace, ces technologies ne sont pas neutres. Elles structurent des formes de pouvoir », portant en elles le rêve industriel d’identification et de traçage total, souligne à Reporterre Olivier Tesquet, journaliste à Télérama. En Chine, dans le Xinjiang, les autorités imposent l’installation d’un QR code à l’entrée des logements pour surveiller le déplacement des habitants et le passage de leurs invités. Elles exigent aussi que soit gravés des QR codes sur la lame du moindre couteau disponible en quincaillerie. Simple d’utilisation et peu onéreux, cet outil fait désormais office de repoussoir au sein d’une large partie de la population française, puisqu’il est perçu, depuis la crise sanitaire, comme l’un des marchepieds vers un redouté « contrôle social à la chinoise ».

« L’honnête citoyen sera bientôt davantage surveillé et contrôlé que le fiché S »

En témoigne le tollé suscité par l’annonce des restrictions de circulation lors des Jeux olympiques de Paris 2024, qui a ramené à la surface de mauvais souvenirs. Pour circuler aux abords des sites olympiques et paralympiques, les riverains devront se munir d’un QR code, a fait savoir le préfet de police Laurent Nunez le 29 novembre dans une interview au Parisien. Est notamment prévue la mise en place d’une zone « rouge » dans laquelle il sera interdit de circuler en voiture, sauf exception : « Le principe est l’interdiction de circulation, sauf dérogation », a-t-il déclaré. Des restrictions qui ont fait bondir plusieurs sénateurs.

« Ce sont des mesures extrêmement attentatoires aux libertés », a dénoncé la sénatrice centriste Nathalie Goulet. « L’utilisation du QR code nécessite la création d’un outil informatique pour les générer et les vérifier, mais aussi la collecte dans un fichier d’informations déclaratives qui ne sont pas neutres », a abondé le sénateur centriste Loïc Hervé, indiquant également avoir saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ainsi que le ministère de l’Intérieur.

Sur Europe 1, le journaliste au Figaro Alexandre de Vecchio s’est lui aussi indigné de cette mesure : « Cela m’a rappelé la mauvaise période du Covid. Nous revoilà revenus au temps des attestations et du pass sanitaire et de l’infantilisation du citoyen ». L’occasion pour lui de souligner que « la pandémie conjuguée à l’accélération de la révolution numérique a tout de même précipité le basculement vers une société moins libre, une société du sans-contact déshumanisée, aseptisée et bureaucratisée ». À ses yeux, la mise en place d’un QR code lors des JO 2024 résulte de « l’ensauvagement du pays » et de la « faillite de notre justice ». Si bien que « l’honnête citoyen sera bientôt davantage surveillé et contrôlé que le fiché S », n’hésite-t-il pas à marteler en conclusion de son éditorial.

Vers un pass climatique ?

La polémique de l’annonce d’un QR code pour se déplacer dans Paris l’été prochain a ensuite laissé place à la polémique sur le « confinement olympique », en référence à un commentaire ironique du Canard Enchaîné. De quoi confirmer chez certains commentateurs les craintes selon lesquelles il existerait bel et bien une volonté gouvernementale d’habituer la population à des mesures privatives de liberté : « Le prétexte, cette fois-ci, ce sont les Jeux olympiques. Le prétexte avant pour les pass et QR codes, c’était l’épidémie. Le prochain prétexte, ce sera sans aucun doute le climat ou une nouvelle épidémie. D’une crise à l’autre, d’un évènement à l’autre, nous vivrons en permanence dans une prison numérique sans que personne ne dise rien, sans que cela ne soit voté, sans que le peuple ne soit consulté », a aussitôt dénoncé Béatrice Rosen sur Twitter/X en découvrant l’annonce d’un « confinement olympique » dans le Monde. Formule cependant attribuée à tort au préfet d’Île-de-France Marc Guillaume, dont l’utilisation a été démentie par l’intéressé.

Pour autant, ces mesures restent « dans cet état d’esprit », a estimé Mathieu Bock-Côté sur CNews : « Il faut comprendre que l’imaginaire du confinement n’est manifestement pas étranger aux gouvernements partout dans le monde occidental, comme s’il s’agissait peut-être d’une méthode de gestion qui, pour certains, a de l’avenir ». Et de poursuivre : « Dans une société où chaque grand évènement accouchera de son QR code et de la possibilité chaque fois d’un confinement, et quand la crise climatique occupera une telle place dans le débat public, l’appel au confinement climatique, j’en suis certain, sera constant, brutal, et ceux qui s’opposeront au confinement climatique, au passeport climatique, seront alors traités de néo-complotistes ».

Règlement des achats via l’euro numérique au nom de la « souveraineté européenne », obligation de recourir à une identité numérique en ligne au nom de la lutte contre le « cyberharcèlement », poursuite de la vidéosurveillance algorithmique après les Jeux olympiques au nom de la lutte contre l’insécurité… La « planification écologique » servira-t-elle aussi de « prétexte » à une numérisation croissante de la société et à un traçage des individus ?

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