Au début du XXe siècle, les auteurs d’infractions ne pouvaient être condamnés que si des témoins oculaires avaient observé leur acte illégal. Cela a radicalement changé avec la recherche sur nos gènes et l’ADN.
En 1985, le biochimiste britannique Sir Alec John Jeffreys a réussi à mettre au point un test ADN permettant désormais de condamner les coupables à partir d’un simple échantillon de sang, de cheveux ou de salive. En l’espace de deux ans seulement, le test est devenu si fiable qu’un meurtrier a pu être identifié et arrêté pour la première fois, tandis que des personnes injustement emprisonnées ont été libérées.
Toutefois, cela ne fonctionne que si un échantillon de l’ADN du coupable est disponible à des fins de comparaison, qu’il ait été prélevé récemment ou stocké dans des bases de données. Si ce n’est pas le cas, les enquêteurs continuent de tâtonner dans l’obscurité.
Une invention de chercheurs chinois pourrait changer la donne. Le modèle qu’ils ont développé, appelé « Difface », est capable de reconstituer une image tridimensionnelle du visage à partir de l’ADN seul, donnant ainsi un visage aux auteurs non identifiés. Cela permet finalement de retrouver le coupable à l’aide de bases de données d’images et de caméras de surveillance.
Le visage codé dans l’ADN
Dans le nouveau modèle, l’ADN est également la clé du succès. L’acide désoxyribonucléique est une longue chaîne de composés chimiques qui contient notre information génétique.
Environ 99,9 % de l’ADN humain est identique dans l’ensemble de la population. Les 0,1 % restants codent les caractéristiques personnelles qui diffèrent d’une personne à l’autre, telles que la couleur des cheveux et des yeux. Mais il contient également des caractéristiques morphologiques distinctives. Les caractéristiques particulières du visage, comme le nez, les yeux et la bouche, présentent un intérêt particulier pour les médecins légistes.
Dans le passé, les portraits-robots, c’est-à-dire les reconstitutions du visage d’un criminel à partir de la description de témoins, ont permis à plusieurs reprises d’arrêter des criminels. Grâce à Difface, Mingqi Jiao et ses collègues de l’Académie chinoise des sciences n’ont désormais plus besoin de témoins oculaires, mais seulement d’un échantillon d’ADN prélevé sur les lieux du crime.
Dans le cadre de projets antérieurs, des chercheurs du monde entier avaient déjà tenté d’établir un lien entre les données génétiques et les traits du visage. Mais aucune de ces tentatives n’avait jusqu’à présent permis de reconstituer un visage.

Testé sur des Chinois, applicable à tous
Avec Difface, cela est désormais possible, même à grande échelle, ce qui le rend adapté non seulement à l’identification médico-légale, mais aussi à la médecine personnalisée, comme le mentionnent à plusieurs reprises les chercheurs dans leur étude. Le modèle combine des informations génétiques complexes avec des traits faciaux visibles. Il est également possible de prendre en compte l’âge, le sexe et l’indice de masse corporelle, mais cela n’est pas encore standard.
Les chercheurs dirigés par Mingqi Jiao ont d’abord formé et testé Difface sur 9674 échantillons d’ADN provenant de la base de données Han China. Le modèle a ainsi puisé dans un pool de données génétiques vaste mais relativement homogène, car les traits faciaux de la population chinoise sont nettement moins diversifiés que ceux des Européens, par exemple.
Plus il y a de variations, plus le taux d’erreur potentiel est élevé. La plus grande variation concerne le nez humain. Rien que dans la population chinoise, connue pour ses nez relativement larges et plats, il existe 107 variantes génétiques. Néanmoins, le modèle a montré « d’excellentes performances » et a pu « générer des images faciales en 3D d’individus à partir de leurs seules données ADN », selon les chercheurs de l’étude. Et cela ne se limite pas aux visages chinois.

Difface a également été capable de représenter des visages à tous les âges, passés ou futurs, et de refléter la variabilité naturelle des traits humains. De plus, le modèle a pu distinguer les reconstructions correctes des reconstructions erronées, c’est-à-dire déterminer si les données génétiques correspondaient à un visage donné. Difface surpasse ainsi tous les modèles précédents en termes d’efficacité, ce que les chercheurs attribuent principalement à l’apprentissage par contraste utilisé pour la formation.
L’ADN pose des difficultés techniques
De tels détails ne sont toutefois possibles qu’avec des données suffisamment complètes. Selon les chercheurs, lorsque la qualité et la quantité des données diminuent, Difface perd sa capacité à catégoriser avec précision certaines caractéristiques faciales comme le profil du nez, la forme de la pointe du nez et l’apparence des pommettes.
Lorsque seuls environ deux tiers des points de données nécessaires étaient encore disponibles, « les reconstructions ont commencé à perdre leur spécificité individuelle et ont convergé vers une structure faciale plus générale ». En d’autres termes, si les données disponibles sont insuffisantes, tous les visages reconstruits se ressemblent. Les chercheurs ont ajouté : « Ces résultats ouvrent la voie à de futures recherches sur les bases génétiques de l’architecture faciale et offrent des cibles potentielles pour l’étude des effets des variations génétiques sur la structure faciale. »

Il existe encore des possibilités d’amélioration en ce qui concerne la robustesse du modèle et son adaptabilité à différents ensembles de données. Selon les développeurs, le modèle pourrait alors être utilisé pour d’autres populations. Même si Difface a été testé sur la population chinoise, qui présente moins de différences dans les traits du visage, il a le potentiel d’apprendre les relations spécifiques entre l’ADN et les traits du visage dans différentes populations.
À l’avenir, d’autres variables comme l’âge et l’IMC seront également prises en compte. Difface devrait ainsi pouvoir mieux refléter les changements liés à l’âge et créer des reconstructions faciales encore plus précises pour toute une série de types de morphologies.
Adieu la vie privée ?
Cette innovation soulève toutefois des questions éthiques et juridiques, notamment en matière de protection des données génomiques. Parmi les risques importants figurent la réidentification potentielle, l’utilisation non autorisée des données et des questions juridiques complexes relatives à la propriété des données. En effet, outre la médecine légale, cette invention pourrait également être utilisée dans les domaines de la santé et de l’assurance.
En médecine légale, cette technologie offre certes des avantages pour l’identification des personnes à partir de matériel génétique, mais une utilisation inappropriée pourrait entraîner des dommages considérables, notamment des condamnations injustifiées et le profilage racial ou ethnique. Et comme Difface permet de prédire des caractéristiques physiques à partir d’informations génétiques, les chercheurs ont exprimé leurs inquiétudes quant à l’utilisation abusive de données personnelles sensibles pouvant mener à une discrimination génétique.
Dans les domaines de la santé et de l’assurance, il existe également un risque que les informations génétiques soient utilisées pour discriminer des personnes sur la base de risques présumés pour la santé.
Les chercheurs soulignent donc la nécessité d’un débat approfondi entre les défenseurs de la protection des données et les décideurs politiques afin de concilier cette invention innovante et le droit à la vie privée. Il reste donc à déterminer comment, où, quand et par qui ce modèle sera utilisé à l’avenir.
L’étude a été publiée le 7 mai 2025 dans la revue spécialisée « Advanced Science ».
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