Électricité: « On est en train de racketter une grande partie des PME françaises », affirme Loïk Le Floch-Prigent

Par Julian Herrero
27 mars 2024 09:45 Mis à jour: 15 avril 2024 14:05

ENTRETIEN – Les prix de l’électricité explosent et continuent d’entraîner la fermeture de nombreuses PME. 400 PME mettent la clé sous la porte tous les mois en partie à cause de la forte augmentation des prix de l’énergie. L’ancien président d’Elf Aquitaine et de Gaz de France, Loïk Le Floch-Prigent revient pour Epoch Times sur les raisons qui nous ont conduit à cette situation. Pour l’industriel et auteur de Pour une France Industrielle, l’entrée de la France dans le marché européen de l’électricité en 2010 a été une erreur majeure. Il estime également que le fait de ne pas avoir quitté ce même marché au début de la guerre en Ukraine a « tué notre tissu industriel ».

Epoch Times : L’expert de l’énergie Nicolas Meilhan affirmait il y a quelques jours sur l’antenne de Cnews que 400 PME mettent la clé sous la porte tous les mois notamment à cause des prix de l’électricité, ajoutant que nous avons dépassé le niveau de la crise financière de 2008 et que ce n’est pas près de s’arrêter. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Est-ce principalement lié à des mauvais choix stratégiques ou à des « cygnes noirs » comme la guerre en Ukraine ?

Loïk Le Floch-Prigent : Non, le problème essentiel a été d’arrêter de fixer le prix aux particuliers comme aux entreprises, avec des considérations de coût de l’énergie pour nous, c’est-à-dire des coûts du nucléaire et de l’hydraulique, et donc de rentrer en 2010 dans le marché de l’électricité européen. C’est un marché artificiel qui nous a conduit à créer des fournisseurs d’électricité, qui ne sont ni des producteurs, ni des distributeurs, ni des transporteurs. Ils sont seulement des gens qui jouent sur le marché et qui essaient de gagner de l’argent.

Et lorsqu’il y a eu l’augmentation des prix du gaz, dans un premier temps pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec la guerre, puis l’augmentation due aux sanctions contre la Russie, tout a explosé. Le tarif demandé aux particuliers a augmenté, mais celui demandé aux entreprises a été multiplié par 7 et tout ceci a mis en difficulté la plupart des entreprises industrielles, en particulier celles qui étaient énergivores.

C’est donc un défaut occasionné par la rentrée de la France dans le marché de l’électricité en 2010 avec la création de la rente, ce qui permet aux spéculateurs et aux fournisseurs de vivre. Après cette première erreur de 2010, il y en a eu une deuxième commise lorsque le prix du gaz a doublé au moment de la guerre en Ukraine. À ce moment-là, nous n’avons pas quitté le marché électricité et nous avons tué une grande partie de notre tissu industriel.

Et comme l’a rappelé Nicolas Meilhan, la Cour des comptes vient de montrer qu’entre le coût de production et le prix que les entreprises et les particuliers ont payé, des gens ont pris 37 milliards sur deux ans, ce qui est considérable.

Est-ce une situation franco-française ou d’autres pays européens connaissent le même sort ?

C’est une situation franco-française. Le phénomène de non-protection des entreprises a été total chez nous. Les particuliers ont été protégés, mais pas les entreprises, en particulier les PME, puisque les plus grandes se protègent depuis longtemps des augmentations des prix.

Et parmi les PME, il y a deux sortes d’entreprises : celles qui sont seules et celles qui se trouvent dans des groupements. Dans un premier temps, les pouvoirs publics ont considéré que toutes ces PME pouvaient demander un amortisseur. Elles l’ont demandé et l’ont obtenu. Mais depuis un mois, les fournisseurs leur demandent le remboursement de cet amortisseur parce que les critères ont changé. Maintenant, on est en train de racketter une grande partie des PME françaises.

Pourtant, depuis 2017, on nous parle de réindustrialisation, de réouverture d’usines. La France ne réindustrialise donc pas du tout ?

La France continue de se désindustrialiser. Les entreprises créées actuellement sont indépendantes et liées à Internet, elles ne conduisent pas réellement à la création d’emplois et de richesse. D’ailleurs, ce n’est pas avec les GAFAM que nous allons réindustrialiser le pays.

Ce sont les filières qui rendent une nation indépendante et souveraine. Et ces filières sont massacrées actuellement : militaire, nucléaire, et même dans l’automobile, etc.

L’an dernier, dans une précédente interview à notre média, vous déclariez que « la France devait immédiatement sortir du marché de l’électricité ». Des spécialistes affirment que cela serait difficilement envisageable parce que la France est « le pays le plus interconnecté d’Europe » et que nous serions plus « exposés aux aléas ». Qu’en pensez-vous ?

C’est complètement idiot. Nous sommes interconnectés parce que nous l’avons voulu. Et par ailleurs, en ce qui nous concerne, quand on gère bien notre situation, il y a des pics de consommation qui peuvent arriver l’hiver. Nous sommes sur le marché, nous pouvons très bien acheter les mégawattheures qui nous manquent à un prix convenable. Leurs arguments ne sont donc pas pertinents.

Un ancien haut fonctionnaire à la direction générale de l’énergie de la Commission européenne, Samuel Furfari, écrivait dans son dernier ouvrage Énergie, mensonges d’État, la destruction organisée de la compétitivité de l’UE que « l’Union européenne a sacrifié sa politique énergétique au profit d’une politique climatique ». Faites-vous le même diagnostic ?

Effectivement, nos dirigeants ont placé le climat au-dessus de la compétitivité tout en faisant croire qu’il y aurait des investissements et donc de la compétitivité. Mais la réalité est qu’il y a eu des délocalisations.

Lorsqu’on vous demande d’investir 2 à 3 fois plus qu’un Indien ou un Chinois, vous avez intérêt à aller en Inde ou en Chine, c’est aussi simple que cela. Nous ne sommes plus compétitifs à cause des mesures qui ont été prises à propos du climat et à cause de la philosophie sous-jacente du Green Deal qui est celle de la décroissance et de la critique de la consommation.

On nous donne des leçons de morale, mais le consommateur, s’il a envie de consommer, il consomme. Au cours de mes études d’industriel, on m’a toujours dit que le patron, c’est le client. Si le client a envie de quelque chose, il faut le lui fournir.

Et ce n’est pas parce que madame Von der Leyen et un certain nombre de technocrates de Bruxelles disent quelque chose que le client change.

Prenez l’exemple des voitures électriques : on donne des subventions aux gens, mais toutes les personnes qui possèdent ce genre de véhicule finissent par le vendre et prennent un véhicule diesel.

Vous êtes un ardent défenseur de l’énergie nucléaire que vous voyez comme une énergie d’avenir. Mais en même temps, le nucléaire n’est pas très populaire. Selon une enquête d’opinion menée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en 2023, seulement 46 % des Français y sont favorables.

Il faut de la volonté politique et faire comprendre aux gens que leur vie et que la préservation de l’environnement serait plus difficile sans le nucléaire et que par conséquent, nous allons poursuivre ce développement nucléaire.

Mais le problème est qu’aujourd’hui, on déroule le tapis rouge aux ONG hostiles à cette énergie, mais également à des organismes comme l’ADEME qui affirment que l’on va pouvoir s’en sortir uniquement avec le solaire et l’éolien. Ce qui est totalement faux.

Pour que les gens aient accès à une énergie abondante et bon marché, est-ce que vous prônez la réouverture des centrales nucléaires fermées ou alors la réouverture en plus de l’ouverture de nouvelles centrales ?

Nous devons à la fois rouvrir d’anciennes centrales et construire des nouvelles parce que la construction de nouvelles infrastructures nucléaires demande un certain nombre d’années en raison des délais de sûreté. Cela peut prendre entre 7 et 10 ans.

En attendant, il faut que l’on ait des centrales qui puissent fonctionner 10 à 20 ans de plus. Nous avons la possibilité de négocier avec l’instance de sûreté pour prolonger la durée de vie des centrales. C’est ce que font les États-Unis et la Suède. Il est important de faire cela dans les années qui viennent.

Et par ailleurs, il faut que les centrales comme celles d’Allemagne ou de Fessenheim soient rouvertes. Cela reste moins onéreux que d’en construire des nouvelles. Il faut être raisonnable et comprendre que nous ne sommes plus aujourd’hui des pays indépendants et souverains sur le plan énergétique et revenir au concept d’accès à une énergie abondante, bon marché et souveraine est absolument essentiel pour notre développement industriel.

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