En Afghanistan, les femmes victimes de violences abandonnées à leur sort

Par Epoch Times avec AFP
2 janvier 2022 13:20 Mis à jour: 2 janvier 2022 13:41

Mariée à sept ans à un homme de 80, puis à un autre, Fatema a enduré les viols, la faim et les coups jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus et tente de se suicider.

Après une énième fuite, elle se cache aujourd’hui dans un des rares refuges pour femmes resté ouvert en Afghanistan depuis l’arrivée au pouvoir des talibans mi-août.

Les larmes aux yeux, la jeune femme de 22 ans raconte les violences conjugales comme cette fois, à 10 ans, où « ma tête s’est écrasée contre un clou dans le mur et mon crâne a craqué ».

« J’en suis presque morte », ajoute-t-elle.

87% des femmes ont déjà vécu une forme de violence

En Afghanistan, où traditions patriarcales, pauvreté et manque d’éducation freinent depuis des décennies les droits des femmes, 87% d’entre elles ont déjà vécu une forme de violence physique, sexuelle ou psychologique, selon l’ONU.

Sous l’ancien gouvernement, le pays de 38 millions d’habitants ne comptait que 24 refuges — quasiment tous financés par la communauté internationale et mal vus par une partie de la société. Déjà très imparfait, ce système de protection s’est effondré.

Des femmes et des filles assistent à un cours de dessin dans un refuge pour femmes et filles afghanes victimes de violences sexistes à Kaboul, le 11 décembre 2021. Photo Elise BLANCHARD via Getty Images.

Si le refuge de Fatema ferme, elle n’aura nulle part où aller: son père est décédé, ses belles-familles souhaitent la tuer. Dans son foyer, une vingtaine d’autres survivantes se cachent de leurs anciens bourreaux.

Déplacer une centaine de femmes et d’employées vers Kaboul

Sous couvert d’anonymat, la directrice d’une ONG raconte à l’AFP avoir suivi avec inquiétude la prise de contrôle progressive de l’Afghanistan par les talibans.

Dans les provinces les plus instables, elle s’est préparée des mois à l’avance, renvoyant les pensionnaires le souhaitant dans leurs familles et en transférant d’autres.

Puis il a fallu, en panique, déplacer une centaine de femmes et d’employées vers Kaboul. Quand la capitale est tombée, les dernières sont retournées dans leurs familles, parties chez des amis ou avec le personnel.

Une femme prie tandis que deux autres se reposent dans un refuge pour victimes de violences sexistes à Kaboul, le 11 décembre 2021. Photo Elise BLANCHARD via Getty Images.

« Nous devons recommencer de zéro, » déplore la directrice, qui n’a pas encore obtenu l’autorisation de rouvrir ses refuges.

Les talibans assurent pourtant avoir changé. Fin novembre, le porte-parole du mouvement Suhail Shaheen a affirmé à Amnesty International que les femmes battues pouvaient saisir les tribunaux.

Ne se sont pas prononcés officiellement sur les refuges

Leur chef suprême, Hibatullah Akhundzada, a dénoncé en décembre les mariages forcés.

Les combattants islamistes ne se sont pas prononcés officiellement sur les refuges ni n’ont ordonné leur fermeture, offrant même leur protection à certaines ONG. Insuffisant pour rassurer celles-ci: la plupart ont fermé leurs centres.

Les talibans ont rendu plusieurs visites à celui hébergeant Fatema, laissant une impression mitigée et l’« avenir incertain », selon une employée. Ils « disent que ce n’est pas un endroit sûr pour les femmes, que leur place est à la maison. »

Une victime de violence sexiste aide un cuisinier à préparer le déjeuner pour les résidents et le personnel d’un refuge pour femmes et filles afghanes victimes de violence sexiste à Kaboul, le 11 décembre 2021. Photo Elise BLANCHARD via Getty Images.

Une autre est moins inquiète. Ils « sont venus, ont regardé les chambres, vérifié qu’il n’y avait pas d’hommes », raconte-t-elle. « C’était bien mieux que ce à quoi nous nous attendions ».

Selon plusieurs sources, certains centres officiellement fermés continuent à abriter des femmes n’ayant aucun point de chute.

Avant même la prise de Kaboul par les talibans, beaucoup de victimes ne savaient ni où, ni comment recevoir de l’aide et de graves manquements ont souvent été imputés aux institutions étatiques.

Les employées des refuges, « risquent des violences et la mort »

Zakia, menacée de mort par le père du mari qui la battait, se souvient que les employées du ministère des Femmes, chargé théoriquement de la protéger, « ne m’ont même pas écoutée et m’ont dit que ma situation n’était pas si mauvaise ».

Le ministère, fermé par les talibans, l’a accusée « de mentir », raconte Mina, 17 ans, qui a fui à 15 ans avec sa petite-sœur un oncle violent.

Mais le système restait vital. Désormais, de nombreuses femmes, mais aussi les employées des refuges, « risquent des violences et la mort », selon Amnesty International.

La militante afghane des droits des femmes Mahbouba Seraj, est assise dans son bureau à Kaboul, le 9 décembre 2021. Photo Elise BLANCHARD via Getty Images.

Plusieurs employées disent avoir été menacées au téléphone par des talibans cherchant des membres de leurs familles. Une fonctionnaire de l’ancien ministère des Femmes raconte que des talibans ont tenté d’obtenir d’elle les adresses des refuges.

L’heure est d’autant plus critique que la situation s’aggrave. « Quand la situation économique empire, les hommes sont sans travail, les cas de violence augmentent », décrit cette fonctionnaire.

Mahbouba Seraj, une figure centrale de la lutte pour les droits des Afghanes

Une inquiétude partagée par Alison Davidan, représentante d’ONU Femmes en Afghanistan: « La situation a probablement empiré (…) mais les services ont de façon générale diminué », dit-elle, précisant que l’ONU négocie la réouverture de refuges.

C’est aussi la mission que s’est fixée Mahbouba Seraj, une figure centrale de la lutte pour les droits des Afghanes. Son refuge resté ouvert a été inspecté par les talibans qui l’ont « en quelque sorte laissé tranquille ».

Mme Seraj souhaite continuer de discuter avec les islamistes, ayant l’espoir « qu’il va y avoir des changements ».

Mais elle s’inquiète surtout pour les victimes qui ne se manifestent plus: « Personne ne va s’occuper d’elles ».

*le nom des témoins a été changé.


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