EXCLUSIF – L’histoire d’Aiko Kawasaki, Japonaise d’origine coréenne qui a fui la Corée du Nord

Elle réussi finalement à s'échapper après avoir passé 43 ans dans un environnement "infernal"

Par Lee Yun-Jeong
31 octobre 2022 19:06 Mis à jour: 31 octobre 2022 19:11

Aiko Kawasaki, 17 ans, est montée à bord du navire en partance pour la Corée du Nord depuis le port de Niigata, au Japon. Alors que ses parents la suppliaient en larmes de ne pas partir, elle a insisté et leur a promis qu’ils se reverraient un an plus tard dans « un paradis terrestre », la Corée du Nord.

Mme Kawasaki raconte à Epoch Times comment, à l’époque, elle était pleine d’illusions et d’espoirs. Elle était convaincue qu’une vie meilleure l’attendait en Corée du Nord, sans pauvreté ni discrimination. Dès son arrivée au port de Chongjin, elle a compris ce qu’il en était vraiment. Mais c’était trop tard.

Elle a immédiatement pris conscience qu’elle avait été trompée par la publicité mensongère de la Chongryon (Association générale des résidents coréens au Japon), une organisation ayant des liens étroits avec la Corée du Nord, et par laquelle le pays avait été présenté comme un « paradis sur terre ».

Il n’existe pas de relations diplomatiques entre les deux pays et par conséquent la Chongryon faisait office d’ambassade de la Corée du Nord au Japon.

C’est ainsi que Mme Kawasaki est restée coincée dans ce pays isolé pendant 43 ans, séparée de sa famille au Japon.

En 2003, elle s’est finalement échappée. Toutefois, depuis lors, ses enfants et petits-enfants, qui se trouvent toujours en Corée du Nord, lui manquent.

Mme Kawasaki a maintenant plus de 80 ans. Bien qu’elle ait retrouvé sa liberté, elle dort mal. Les mauvais jours, elle se souvient toujours des moments misérables vécus en Corée du Nord.

Mme Kawasaki est née à Kyoto mais ses grands-parents étaient coréens. En 2014, elle a créé l’ONG Let’s Get Together, une organisation à but non lucratif basée au Japon, vouée à la défense des droits de l’homme en Corée du Nord.

Elle est l’auteur de Récits des ceux allés du Japon en Corée, publié en 2007 au Japon. La version coréenne du livre a été publiée en juillet 2021.

Elle est désormais très engagée dans diverses activités visant à sensibiliser le public aux réalités de la Corée du Nord. Avec deux autres transfuges ayant fui la Corée du Nord tout comme elle, elle a été invitée au bureau des Nations unies à Genève dans le cadre d’une enquête sur les droits de l’homme ciblant le pays communiste.

Elle fait partie des fugitifs nord-coréens et japonais d’origine coréenne qui ont déposé une pétition auprès de l’Association du barreau japonais. La pétition exhorte le gouvernement nord-coréen, le gouvernement japonais, la Chongryon, la Croix-Rouge nord-coréenne, la Croix-Rouge japonaise et le Comité international de la Croix-Rouge, qui ont tous été impliqués dans le projet de rapatriement de la Corée du Nord dans le passé, de reconnaître leurs torts et d’en révéler les détails au monde entier. De plus, la pétition réclame la libre circulation, au moins au Japon, des deuxième et troisième générations de personnes rapatriées en Corée du Nord.

Aiko Kawasaki fait partie des cinq personnes qui ont déposé plainte pour tromperie et violation des droits de l’homme contre le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un et le chef de Chongryon Ho Jong-man devant la Cour pénale internationale de La Haye, aux Pays-Bas, en 2018. (Avec l’aimable autorisation d’Aiko Kawasaki)

Seule en Corée du Nord à l’âge de 17 ans

Mme Kawasaki réussissait bien à l’école, mais elle s’apprêtait à renoncer au lycée car sa famille était trop pauvre. Un jour, un fonctionnaire de la Chongryon s’est rendu chez elle pour la persuader de fréquenter un lycée établi par la Chongryon. Il lui a proposé la bourse Kim Il-sung applicable uniquement aux Coréens et Japonais.

Après avoir accepté, elle a passé l’examen d’entrée du Lycée coréen de Kyoto avec la meilleure note et a fréquenté l’école gratuitement.

L’école enseignait aux élèves les Hymnes pour le général Kim Il-sung, mais Mme Kawasaki n’a jamais chanté ces chansons. Elle était jeune mais sentait instinctivement qu’il n’était pas correct de vénérer une personne.

La décision d’embarquer sur le navire

« Les professeurs de l’école nous enseignaient constamment que la Corée du Nord était un paradis sur terre, disant qu’il n’y avait pas d’impôts, des services médicaux gratuits, des logements gratuits et une éducation gratuite. Et les élèves étaient utilisés comme outils de propagande après l’école. Ils se rendaient dans les maisons où vivaient des Japonais d’origine coréenne et leur disaient : ‘La Corée du Nord est le paradis sur terre, alors nous devrions tous aller dans ce pays.' »

De nombreux Japonais coréens, comme Aiko Kawasaki, se préparent à embarquer pour un voyage vers ce qu’ils croient être « le paradis sur Terre » au port de Niigata, le 14 décembre 1959. (Avec l’aimable autorisation d’Aiko Kawasaki)

Mme Kawasaki n’a pas participé aux activités de propagande, c’est aujourd’hui un soulagement. Certaines de ses connaissances ont connu de grandes dépressions, se sont suicidées rongées par la culpabilité d’avoir incité d’autres personnes à déménager en Corée du Nord, vers une vie misérable.

« Mon père était originaire de la province de Gyeongsang, et ma mère de la province de Jeolla en Corée. Je n’avais donc aucune raison d’aller en Corée du Nord, car je n’avais aucun lien avec ce pays. Cependant, plus le temps passait, plus ma curiosité pour le pays grandissait, car je me demandais comment un pays socialiste pouvait tout fournir gratuitement, même sans collecter de taxes. J’ai donc finalement décidé de voir le pays de mes propres yeux et d’en faire l’expérience directe. »

Japonais coréens embarquant à destination de la Corée du Nord, le 14 décembre 1959. (Avec l’aimable autorisation d’Aiko Kawasaki)

L’arrivée

« Je n’avais pas du tout peur, sans doute à cause du lavage de cerveau que j’avais subi. Depuis mon entrée au lycée, j’avais été soumise à un lavage de cerveau en continu et j’étais convaincue que la Corée du Nord était un paradis sur terre. Donc, je n’étais inquiète de rien lorsque j’ai décidé de partir seule en Corée du Nord », se souvient Mme Kawasaki.

Cependant, le père de Mme Kawasaki a désespérément essayé de la dissuader. Sa famille a finalement accepté de la rejoindre là-bas au bout d’un an.

Cependant, la réalité de la Corée du Nord était totalement différente de ce qu’elle avait entendu au Japon.

« Lorsque les gens sur le bateau ont vu la terre ferme de loin, ils se sont précipités sur le pont et ils versaient des larmes de joie. Mais lorsque nous avons vraiment atteint le port de Chongjin, nous avons commencé à chuchoter entre nous. Tout était complètement différent de ce que nous avions entendu au Japon. Nous avons tout de suite su que nous avions été trompés. »

La ville entière était plongée dans l’obscurité, et les habitants qui étaient venus au port pour nous accueillir, des fleurs à la main, continuaient à chanter. Leurs visages étaient sombres et amaigris à cause de la malnutrition. Ils ne portaient même pas de chaussettes, et leurs vêtements grisâtres étaient tous en lambeaux. De plus, personne ne portait de chaussures en cuir. La plupart d’entre eux portaient des chaussures en tissu, dont les orteils dépassaient. En bref, c’étaient des mendiants affamés.

« Quelqu’un sur le bateau a crié en japonais pour que les soldats nord-coréens ne puissent pas comprendre : ‘Eh vous ! Les étudiants des écoles secondaires coréennes au Japon ! Ne descendez pas du bateau ! Retournez au Japon avec ce bateau.’ »

Face à cette réalité, Mme Kawasaki a écrit une lettre à ses proches pour les persuader de reporter leur arrivée.

Mme Kawasaki a suggéré dans cette lettre qu’ils attendent que son jeune frère, alors à l’école primaire, se marie avant de la rejoindre en Corée du Nord.

Cette lettre séparerait Mme Kawasaki de sa famille pendant plus de 40 ans.

La vie au Japon avant la Corée du Nord

« Ma famille était pauvre, et les Japonais d’origine coréenne étaient victimes de discrimination au Japon. C’était avant que le Japon n’entre dans une période de boom économique. Par conséquent, les Japonais coréens avaient du mal à survivre. Les Japonais ne voulaient pas nous embaucher, alors nous ne pouvions faire que des travaux manuels à l’époque. »

« Après la libération [de la Corée] du Japon en 1945, plus de deux millions de Japonais coréens vivant au Japon sont retournés en Corée. Mais environ 600.000 Japonais coréens ont choisi de rester au Japon pour une raison ou une autre. Dans les années 1960, la Corée du Nord a cherché à faire venir du Japon le plus grand nombre possible de Japonais coréens afin de compenser le manque de main-d’œuvre perdu pendant la guerre de Corée. L’économie japonaise de l’époque était mise à mal du fait que le pays avait perdu la Seconde Guerre mondiale. Par conséquent, le gouvernement japonais de l’époque a salué l’effort de la Corée du Nord, car il avait du mal à gérer les problèmes des Japonais coréens au Japon. »

« Suite à ‘l’Accord sur le rapatriement des Japonais de Corée’ conclu par les deux pays, le projet nord-coréen de rapatriement appelé ‘Un mouvement ethnique à grande échelle du capitalisme au socialisme’ a commencé sérieusement. De 1959 à 1984, pendant 25 ans, un total de 187 voyages de navires du port de Niigata au Japon vers le port de Chongjin en Corée du Nord ont été effectués. Au cours de cette période, un total de 93.340 Japonais coréens ont émigré en Corée du Nord. Parmi eux, il y avait 6800 Japonais, comme les épouses de ces Japonais coréens. Et 98% de ces Japonais coréens étaient originaires de Corée du Sud. »

Deux raisons principales expliquent pourquoi tant de Japonais coréens, environ 100.000, ont décidé d’aller en Corée du Nord.

Premièrement, ils ont été trompés par la propagande de Chongryon.

Deuxièmement, ceux qui hésitaient à émigrer en Corée du Nord ont été convaincus lorsque le Comité international de la Croix-Rouge est intervenu. De nombreuses personnes se sont senties rassurées, elles pensaient pouvoir faire confiance à une organisation aussi réputée.

Le journal japonais The Asahi Shimbun rapportant le départ des Japonais coréens. (Avec l’aimable autorisation d’Aiko Kawasaki)

Cet endroit était un véritable enfer

« Je pense que beaucoup de gens n’ont pas réussi à s’adapter à la vie nord-coréenne. »

« Beaucoup de gens souffraient de diverses formes de troubles mentaux. Et comme la situation économique était terrible, pratiquement tout le monde était malade sous une forme ou une autre. En plus de ces difficultés, nous étions catalogués comme des ‘subversifs potentiels’ et étions donc constamment surveillés et discriminés parce que nous venions du Japon, un pays capitaliste. »

Mme Kawasaki décrit son expérience et ses observations sur son séjour en Corée du Nord dans huit chapitres de son livre.

Des extraits du livre fournissent des descriptions poignantes des conditions de vie en Corée du Nord.

Extraits :

« Il était courant pour les enfants affamés de mâcher du charbon d’os mélangé à du charbon de bois et de l’argile, comme du chewing-gum. »

« Les trains sans fenêtres étaient toujours remplis de passagers, tellement serrés qu’il était tout simplement impossible de se rendre aux toilettes. Ils étaient donc obligés d’uriner et de déféquer sur leurs sièges. »

« Même le suicide n’était pas autorisé car il était considéré comme un acte d’insulte et de trahison envers le pays socialiste. »

« 43 ans en enfer »

« Les élèves qui ont fréquenté les lycées fondés par Chongryon au Japon ont été autorisés à fréquenter les lycées nord-coréens. J’ai obtenu mon diplôme du Collège de l’industrie chimique de Hamhung, en Corée du Nord, et j’ai travaillé dans une machinerie en tant qu’ingénieur. Ils me donnaient un peu d’argent pour mon salaire mensuel, à peine suffisant pour survivre. Le reste du salaire était pris par le gouvernement. J’ai alors su ce que signifiait un pays socialiste sans impôts. »

« Cela contrastait totalement avec les déclarations de Chongryon selon lesquelles toutes les formes de liberté étaient garanties en Corée du Nord, le pays n’avait aucune liberté ni aucun droit de l’homme. Ces 43 années de vie en Corée du Nord ont été dures et traumatisantes. »

Mme Kawasaki explique que le peuple nord-coréen n’a jamais eu aucune expérience réelle de la liberté. En effet, ils n’ont connu que le féodalisme de la dynastie Joseon, suivi du colonialisme japonais, puis du communisme imposé par l’Union soviétique via son pantin, Kim Il-sung.

« En raison d’une telle histoire, le peuple nord-coréen considérait comme allant de soi une structure hiérarchique dominateur-dominé. Par conséquent, la succession héréditaire du pouvoir par la famille Kim était naturelle pour eux », explique-t-elle.

La fuite

« Il n’a pas été très difficile de fuir la Corée du Nord, car de nombreuses personnes se rendaient en Chine ou en revenaient quotidiennement. »

Mme Kawasaki a eu de la chance. Elle s’est déguisée en Japonaise et a payé le double du prix à un passeur pour traverser la frontière entre la Corée du Nord et la Chine en toute sécurité. Après être arrivée avec succès en Chine en mars 2003, elle s’est installée au Japon l’année suivante.

« J’ai pensé qu’il était important de faire connaître les réalités de la Corée du Nord au monde extérieur, en particulier aux Japonais, puis d’obtenir leur soutien et leur coopération dans mes efforts. Avant de mettre à exécution mon projet d’évasion de Corée du Nord, je n’en ai parlé à personne. J’ai décidé que j’irais d’abord dans le monde libre et que je ramènerais ensuite mes enfants au Japon. »

Mais Mme Kawasaki n’a pas eu de nouvelles de ses proches en Corée du Nord depuis son départ.

« Je sais qu’ils sont constamment surveillés par les autorités depuis que j’ai quitté le pays. Je m’étais promis d’amener mes enfants dans le monde libre lorsque j’ai fui, mais maintenant il n’y a aucun moyen de le faire. La seule façon d’y parvenir c’est de renverser le régime nord-coréen. Je serais encore en vie quand ce régime tombera et je reverrais ma famille. »

Mme Kawasaki aimerait voir « les deux Corées réunifiées » de son vivant, le monde serait beaucoup plus pacifique si cela se produisait, déclare-t-elle.

« J’ai vécu séparément de ma famille pendant la majeure partie de ma vie. Mais malheureusement pour des personnes comme moi, le gouvernement coréen ne considère pas l’inclusion des familles séparées des Japonais coréens [comme] des familles séparées de Corée. »

« Ne vous faites pas de fausses idées sur le communisme »

Interrogée sur les leçons tirées de son expérience, Mme Kawasaki a déclaré vouloir enseigner aux gens à ne pas se laisser tromper par les idéaux du communisme et du socialisme, à ne pas croire ces régimes.

« Je veux leur dire qu’ils doivent se réveiller de l’illusion que les sociétés communistes sont égalitaires. Comme je le sais de par mon expérience angoissante des horribles réalités de la Corée du Nord, une économie planifiée ne peut être prospère, et les idéaux du communisme et du socialisme ne peuvent être réalisés. Le régime nord-coréen des trois Kim n’a fait qu’affamer et tuer les gens, sans jamais les faire prospérer. »

« Comme la Chine, la Corée du Nord connaît également de nombreux cas de prélèvements [forcés] d’organes. Et personne ne sait ce qu’il advient des prisonniers enfermés dans les camps de concentration en Corée du Nord. Ces pratiques sauvages ne peuvent exister dans des sociétés humaines. Je suis fermement convaincue que le monde sera un endroit véritablement pacifique lorsque les régimes communistes et le communisme lui-même auront disparu. »

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