Il faut rénover l’apprentissage en profondeur

30 décembre 2016 08:18 Mis à jour: 31 décembre 2016 15:34

Aujourd’hui, pour obtenir le CAP, que ce soit en apprentissage ou en lycée professionnel, il ne faut pas négliger les matières d’enseignement général : leur coefficient est de 6 points tandis que celui des matières professionnelles est de 16 points. Les élèves consacrent, en moyenne, aux matières d’enseignement général une dizaine d’heures par semaine de leur temps passé en classe. Le contenu, très académique, de ces enseignements généraux n’est pas en lien direct avec les compétences requises pour exercer les métiers auxquels se destinent les élèves des filières professionnelles.

En Allemagne, en Suisse et au Danemark, où les formations en alternance jouent un rôle de premier plan, l’enseignement des filières professionnelles propose un contenu et une organisation différents. Le poids des matières générales est bien moindre et l’enseignement est orienté vers l’acquisition de compétences pratiques, directement en lien avec les métiers. Dans ces pays, les entreprises jouent un rôle essentiel dans le pilotage de l’enseignement professionnel. En toute logique, elles accordent une attention particulière aux compétences professionnelles et contribuent à orienter l’écrasante majorité des élèves vers l’apprentissage. En outre, les apprentis passent une partie beaucoup plus importante de leur temps en entreprise que chez nous.

Un système très efficace pour les peu diplômés

En France, la participation des entreprises au second cycle de l’enseignement secondaire professionnel est très marginale. A ce niveau, c’est l’éducation nationale qui pilote le système. Insuffisamment en lien avec les entreprises, elle a du mal à développer l’apprentissage. Dans ce contexte, l’apprentissage se développe hors du champ de l’enseignement secondaire. En particulier, un grand nombre d’initiatives, portées par des établissements à la recherche de ressources, ont créé des formations en apprentissage dans l’enseignement supérieur. Ainsi, en France, l’apprentissage, en panne pour les plus bas niveaux de qualification, est en plein essor pour les plus diplômés.

Cette évolution n’est pas souhaitable. Les évaluations montrent en effet que l’efficacité de l’alternance en matière d’insertion dans l’emploi décroît avec le niveau de qualification. Très élevée pour les plus bas niveaux, son efficacité est en moyenne proche de zéro pour les plus diplômés. En outre, loin de jouer un rôle d’ascenseur social, l’apprentissage dans le supérieur maintient, voire accentue, la reproduction sociale. Il faut donc concentrer l’aide publique là où elle est efficace et équitable. Cet objectif est particulièrement important en France, où 120 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire avec au mieux le brevet des collèges. Il faut développer l’apprentissage dans le second cycle de l’enseignement secondaire. Pour toucher des publics en difficulté scolaire, le « pré-apprentissage » est par ailleurs crucial, car seuls des jeunes dotés des savoirs fondamentaux, et de capacités d’interactions sociales, peuvent s’intégrer dans l’entreprise. Or, les entreprises n’ont en général pas les moyens de remettre à niveau les jeunes sur ces aspects.

Simplifier la gouvernance de l’apprentissage

Pour atteindre ces objectifs, il faut en finir avec l’incroyable complexité du circuit de l’apprentissage en France, dans lequel interviennent de nombreux acteurs : l’Éducation Nationale, les régions, les chambres de commerce, des dizaines d’organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage (OCTA), les partenaires sociaux, les branches professionnelles, les entreprises, les centres de formation pour apprentis, pour ne citer que les principaux. En l’absence de pilote, leurs actions ne sont pas suffisamment coordonnées, et les acteurs n’ont pas les bonnes incitations à développer l’apprentissage là où il est le plus utile socialement.

Pour inverser cette tendance, il est indispensable d’instituer un système plus simple, plus transparent, dans lequel les parties prenantes sont incitées à développer l’apprentissage au niveau du second cycle de l’enseignement secondaire.

Rendre l’apprentissage plus attrayant à la fois pour les jeunes et pour les entreprises suppose ainsi de modifier la gouvernance de l’ensemble du système. Une instance nationale, composée de représentants des branches professionnelles, du ministère du travail et de l’Éducation Nationale, doit décider des orientations générales. Des agences de certification indépendantes doivent contrôler la qualité et la mise en œuvre des formations subventionnées créées à l’initiative des entreprises, des branches professionnelles et des collectivités territoriales.

S’agissant du financement, il est nécessaire de substituer aux OCTA une collecte par les Urssaf, et d’unifier l’ensemble des aides existantes au sein d’une subvention de soutien au développement de l’apprentissage. Cette subvention pourrait être aisément modulée en fonction du niveau de diplôme afin de donner des incitations à recruter des apprentis peu qualifiés.

Ce texte est issu des travaux de la Chaire Sécurisation des Parcours Professionnels / Institut Louis Bachelier.

The Conversation

Pierre Cahuc, Professeur d’économie à l’École Polytechnique et chercheur à ENSAE-CREST, ENSAE ParisTech – Université Paris-Saclay et Marc Ferracci, Chercheur ENSAE-CREST et professeur d’économie, Université Paris II Panthéon-Assas

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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