«Il n’est pas question que mon fils vive dans un pays communiste»: les manifestations résultant des élections au Brésil

Par Marcos Schotgues
9 novembre 2022 14:29 Mis à jour: 9 novembre 2022 17:12

CURITIBA, Brésil – Une famille est assise autour d’un petit feu improvisé. Ils campent là et se relayent depuis des jours, presque une semaine. Vendredi, selon leurs propres mots, ce fut un grand moment pour Luiz Henrique et sa famille, lorsqu’ils ont décidé de s’opposer à que le pays rechute vers ce qu’il était autrefois. Vers ce qu’il était sous le Parti des travailleurs. Ce même parti qui a permis à Lula da Silva d’être là pour un nouveau mandat. Le candidat de gauche a déjà été président du Brésil de 2003 à 2010. Le 30 octobre, dix ans plus tard, le voilà qui remporte le second tour du scrutin avec une marge très étroite et son investiture est prévue pour le mois de janvier.

La famille Henrique est loin d’être un cas isolé. Des centaines de familles ont planté leurs tentes autour de la forteresse de Pinheirinho, dans la ville de Curitiba. Nombreux sont ceux à travers tout le pays qui se mobilisent autour des quartiers généraux de l’armée. La plupart réclament le soutien ou l’intervention de celle-ci. Beaucoup doutent que les élections aient été libres et régulières. D’autres espèrent seulement que le Brésil ait encore une chance de ne pas suivre la voie de ses voisins comme le Venezuela ou l’Argentine, voire de tous ces pays plus lointains, avec un gouvernement socialiste.

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Luiz Henrique et sa famille boivent du « maté », également connu sous le nom de « chimarrao », une boisson traditionnelle du cône sud, Curitiba, 4 novembre 2022. (Frederico Vidovix/Epoch Times)

M. Henrique et sa famille sont en train de boire du « maté », également connu sous le nom de « chimarrao », une boisson traditionnelle du cône sud, et il explique : « J’ai des enfants. J’ai des petits‑enfants. Nous ne voulons pas qu’ils souffrent comme les gens souffrent dans les pays qui nous entourent, et nous voyons ça tous les jours. Nous ne voulons pas que le Brésil traverse la même chose. »

Il poursuit : « Nous sommes ici 24 heures sur 24, tous les jours, depuis que ce mouvement a commencé lundi. Nous nous relayons, moi et mes proches. Certains d’entre nous ont des entreprises à gérer, d’autres doivent travailler le jour. Certains restent le matin, d’autres l’après‑midi. Nous [en ce moment] nous sommes dans l’équipe de nuit. Nous nous coordonnons au sein de la famille. … Au moins notre famille… remplit son rôle, comme la plupart des Brésiliens. »

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Luiz Henrique pose devant un drapeau brésilien qu’il a accroché à côté de la tente de sa famille. (Frederico Vidovix/Epoch Times)

Da Silva entretient des relations amicales avec un certain nombre de dictateurs socialistes d’Amérique latine. Il les soutient à l’occasion. Parmi eux figurent le Vénézuélien Nicolas Maduro et le Nicaraguayen Daniel Ortega, qui se sont illustrés en persécutant les chrétiens et la presse, un point qui n’a pas manqué de faire l’objet des débats présidentiels en octobre. Da Silva a été élu alors qu’il fait alliance avec le Parti communiste brésilien (PCB). On s’inquiète du risque qu’il penche vers l’autoritarisme ou entrave la libre entreprise.

« Nous sommes dans une situation où soit on agit maintenant soit ce sera trop tard », explique un autre manifestant à Epoch Times. « Le plus dur est de se dire que si on ne fait rien, le pays risque de devenir comme le Venezuela. Je ne veux pas dire du mal du Venezuela, mais ils vivent maintenant dans la pauvreté parce qu’ils ont laissé [la gauche dure] prendre le pouvoir. »

Le 2 novembre correspond au Finados [Jour des morts]. Ce jour‑là, des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans tout le pays. Certains manifestants interrogés citaient les chiffres de la police selon lesquels près de 170.000 personnes se sont mobilisées dans la seule ville de Curitiba. Les manifestants étaient encore plus nombreux ce week‑end, et la tendance ne va pas s’affaiblir. Le 7 novembre des grèves ont commencé.

Certains appellent cela la lutte pour la liberté.

« Il n’est pas question que mon fils vive dans un pays communiste. Mon fils est né pour être libre », explique Fernanda, alors qu’elle sert dans ses bras, Joaquim, son fils collégien. « Notre pays est né pour être libre ! Et c’est pourquoi je l’ai amené ici. C’est pour cela que je suis ici. Mon pays n’aura pas un drapeau rouge. Il n’est pas possible de vivre dans ce type de pays. C’est pourquoi je suis ici pour me battre pour ma patrie, et pour la liberté de mon fils. »

Le garçon a accompagné sa mère aux manifestations, attentif à l’inquiétude des adultes autour de lui.

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Mère et fils : Fernanda et Joaquim sont représentatifs du type de personnes qui se sont mobilisées spontanément, massivement et en famille. (Frederico Vidovix/Epoch Times)

« Pas un seul cas de vandalisme »

Les personnes mobilisées assurent manifester en toute légalité et conformément à la Constitution. Elles précisent qu’elles militent à leurs propres frais ou en recevant des dons pour la cause.

« Nous n’avons pas eu un seul cas de vol, pas un seul cas de vandalisme, même pas une seule voiture, aucune bagarre enregistrée ici. Rien », déclare Ivo, un des premiers organisateurs des manifestations 24/7 à Curitiba. « C’est une démarche vraiment démocratique. Il y a des enfants, des personnes âgées, des familles. Et tout va bien. Les entrepreneurs nous soutiennent, … et les gens ordinaires aussi. »

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Ivo (3e de dt. à g.) tient le drapeau brésilien entouré de manifestants près de la forteresse de Pinheirinho à Curitiba le 4 novembre. Ancien membre de l’armée, c’est un des premiers initiateurs des manifestations 24/7 dans le sud du Brésil. Il a spontanément planté sa tente le 30 octobre, au moment du dépouillement des votes. (Frederico Vidovix/Epoch Times)

Certains juristes, des personnalités politiques locales, et des activistes de gauche, entre autres, dénoncent le caractère « illégal » et « antidémocratique » de ces manifestations. Ils préviennent que toute intervention de l’armée pour renverser les résultats des élections irait à l’encontre de la Constitution et des institutions brésiliennes. Les manifestants nient et rejettent ses arguments. Ils insistent sur le fait que leur mobilisation est pacifique et ordonnée, qu’il ne commettent aucun délit.

Les doutes sur la légitimité des résultats

Les manifestants ont expliqué à Epoch Times avoir le sentiment que le processus électoral n’a pas été régulier. Le passé de da Silva, voilà une réalité qui inquiète tout le monde. Da Silva a été condamné pour corruption et blanchiment d’argent, mais les peines prononcées à son encontre ont été annulées par le juge de la Cour suprême, Edson Fachin.

Da Silva n’a pas été acquitté après avoir prouvé son innocence, mais du fait d’un vice de procédure. Il faut savoir que le juge Fachin a été nommé à la Cour suprême par Dilma Rousseff, qui a succédé à Lula à la présidence. Or, elle‑même est une ancienne guérillera communiste. Fachin faisait également campagne pour le Parti des travailleurs avant de prendre ses fonctions.

« Nous voulons montrer aux forces de la république que nous ne sommes pas d’accord avec la façon dont ce processus électoral a été mené, et avec la méthode par laquelle le vainqueur a remporté la victoire », explique Eiko, un manifestant venu avec son épouse jusque sous le QG de l’armée, muni d’un drapeau brésilien.

« Très souvent, nous avons remarqué qu’un des candidats bénéficiait d’une liberté d’expression plus grande que l’autre, et c’est ça qui nous pose problème », ajoute‑t‑il. « Le problème, ce n’est pas le résultat. Il y a toujours un perdant et un gagnant. Le problème, c’est la façon dont ça s’est passé. »

Après la libération de Lula, selon les conservateurs, les règles du jeu ont été truquées. Les principaux organes de presse reconnaissent eux‑mêmes avoir subi des pressions (dans le meilleur des cas) ou la censure afin qu’il n’y ait pas de reportages sur le passé criminel de da Silva ni sur ses liens avec les dictatures d’Amérique latine. Tout cela est pourtant bien documenté et avéré.

La méfiance à l’égard du système judiciaire était palpable parmi les manifestants. Elle résulte de cette pression imposée par le Tribunal électoral brésilien. Les membres du Tribunal électoral, qui supervise les élections, siègent généralement à la Cour Suprême également. Or c’est précisément cette Cour suprême qui a permis à da Silva de revenir en politique.

Les tensions au Brésil ont été exacerbées vendredi par la diffusion d’une conférence de presse depuis l’Argentine, au cours de laquelle il a été question d’un audit indépendant révélant l’existence d’anomalies statistiques. Celles‑ci pourraient prouver les irrégularités du scrutin d’octobre. Le président du Tribunal électoral et juge à la Cour suprême, Alexandre de Moraes, a menacé d’attaquer au pénal ces contestations des résultats électoraux. Les personnes qui ont initié cette conférence de presse ont indiqué que le choix d’émettre depuis l’Argentine résultait en partie de ces menaces. Les manifestants ont déclaré à Epoch Times être inquiets du fait que les élections étaient probablement frauduleuses.

Ces informations relatives à l’audit ont suscité des controverses au Brésil, les experts et les partisans de da Silva les jugeant sans fondement et trompeuses. Mais pour les manifestants, la répression et la censure, ainsi que la réticence des institutions brésiliennes à aborder le sujet, ne font qu’attiser les protestations.

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Un manifestant, à l’écart de la foule, tient une banderole sur laquelle on peut lire « Nous ne faisons pas confiance à la Cour suprême, ni au Tribunal électoral » (Frederico Vidovix/Epoch Times)

Les inquiétudes liées la couverture médiatique

Les manifestants ont demandé aux reporters d’Epoch Times qui circulaient dans la foule de « faire connaître la vérité » sur le déroulement réel des manifestations. La méfiance à l’égard de la presse locale et étrangère était généralisée. Des slogans étaient affichés en anglais pour interpeller la presse internationale.

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Les manifestants avec une bannière en anglais : « Le peuple du Brésil en guerre contre le communisme. » (Frederico Vidovix/Epoch Times)

« Où allons‑nous, si cela devient un [pays] communiste ? », a déclaré un manifestant. « Que vont devenir mes petits‑enfants ? Que va‑t’il nous arriver à nous tous ? Nous sommes déjà sous le communisme, en fait. Nous sommes réduits au silence. Nous ne pouvons rien dire. Nous dépendons d’étrangers pour faire entendre ce qui est en train de se passer ici. »

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